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Intervention de Michèle Delaunay

Réunion du 6 octobre 2011 à 15h00
Conditionnements alimentaires contenant du bisphénol a — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Delaunay, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, mes chers collègues, depuis plusieurs années déjà, le bisphénol A – que nous appellerons BPA – est suspecté d'être responsable de perturbations endocriniennes et de troubles de la reproduction. Jusqu'à présent, les autorités sanitaires, notamment l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ex-AFSSA –, considéraient que les preuves n'étaient pas suffisantes pour justifier une interdiction.

La semaine dernière, un pas important a été franchi. En effet, dans un rapport, l'agence considère qu'« il existe aujourd'hui des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes. Cet objectif passe par la réduction des expositions au BPA, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires, qui constituent la source principale d'exposition des populations les plus sensibles ».

C'est dans ce contexte que la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi de Gérard Bapt visant à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire comportant du BPA, tout en prévoyant un délai raisonnable pour sa mise en oeuvre. Les revues bibliographiques et les auditions que nous avons menées permettent d'affirmer, premièrement, que les études sur la nocivité du bisphénol A doivent être prises au sérieux et, deuxièmement, que son remplacement par d'autres produits est possible.

Le bisphénol A est un composant qui permet de fabriquer des matériaux très performants, principalement les polycarbonates et les résines époxy. Ce n'est pas un additif, mais un élément indissociable de ces produits : sans BPA, on ne peut pas fabriquer de polycarbonates ni de résines époxy. Le polycarbonate est un plastique aux qualités indéniables – transparence, résistance aux chocs et à la chaleur, inaltérabilité dans le temps – qui est utilisé dans de nombreux produits, notamment les bonbonnes d'eau, les biberons, les vitres des voitures, les casques de moto, les bouilloires ou les amalgames dentaires. Les résines époxy servent, quant à elles, au revêtement intérieur des boîtes de conserve et des canettes.

Du fait de la ressemblance de sa molécule avec celle des oestrogènes, on sait, depuis les années 1930, que le BPA est un perturbateur endocrinien. Il est en effet capable de mimer l'effet d'hormones sexuelles qui ont un rôle dans la reproduction, mais aussi dans le développement des organes. Toutefois, il s'agit là d'effets constatés lors d'expériences où le bisphénol A est en contact direct avec les récepteurs d'oestrogènes. La question est celle de savoir si le bisphénol A contenu dans les matériaux peut se diffuser, venir au contact des récepteurs de l'organisme et avoir un effet nocif.

Malgré de nombreuses études scientifiques démontrant un effet négatif du BPA sur le développement d'animaux, les autorités sanitaires ont considéré pendant des années que celui-ci ne présentait pas de risque pour l'homme. L'année 2010 marque une évolution notable, puisque, le 29 janvier de cette année, l'AFSSA reconnaît la présence de « signaux d'alerte » dans les études scientifiques. L'agence commence alors à remettre en cause la notion de dose journalière admissible, qui fonde la réglementation de l'utilisation du BPA, en raison à la fois de son niveau élevé et de la mise en doute d'une relation dose-effet comme de la possibilité de définir une dose dépourvue d'effet. Dans son avis du 7 juin 2010, l'agence considère qu'il est souhaitable de maintenir aussi bas que possible l'exposition des consommateurs, notamment les plus sensibles, et recommande un étiquetage systématique des ustensiles en contact avec les aliments et contenant du BPA afin d'éviter leur utilisation par un chauffage excessif des aliments.

Enfin, les deux rapports publiés la semaine dernière par l'ANSES apportent des arguments nouveaux. L'ANSES a réalisé une méta-analyse de toutes les études scientifiques disponibles. Expertisées dans leur intégralité, les études publiées dans les revues à comité de lecture ont permis d'établir trois groupes d'effets, chez l'animal ou chez l'homme : les effets avérés, les effets controversés et les effets suspectés. Les études considérées comme non fiables ont été écartées.

Chez l'homme, on ne trouve que des effets suspectés ou controversés, et il faut se réjouir qu'il n'y en ait pas d'avérés : si nous disposions de chiffres établissant la toxicité, c'est que nous arriverions trop tard. En revanche, l'ANSES recense de nombreux effets avérés chez les animaux, qui sont extrêmement inquiétants – étant précisé qu'il est bien plus facile de réaliser des expériences sur les animaux que sur les jeunes enfants.

Parallèlement, l'ANSES a lancé la semaine dernière un appel à contributions visant à recueillir des données scientifiques sur les produits de substitution disponibles, dans le but d'éprouver leur innocuité. L'ANSES rappelle que les effets suspectés chez l'homme et avérés chez l'animal ont été mis en évidence à des doses notablement inférieures à la dose journalière admissible. Elle rappelle l'existence de fenêtres d'exposition et celle de populations sensibles : en premier lieu, et très logiquement, les organismes en formation, à savoir les foetus et les bébés. Enfin, comme il est dit en préambule, l'ANSES recommande la réduction des expositions au BPA, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des aliments.

Il faut maintenant agir : la nécessité de protéger les femmes enceintes et les enfants implique de prendre des mesures générales d'interdiction. L'hypothèse qu'émettent les endocrinologues est que le BPA aurait des effets négatifs pendant des périodes particulières du développement, si bien que certaines populations doivent être protégées : femmes enceintes et allaitantes, bébés, enfants et adolescents. Or, la suppression du BPA dans les biberons, ainsi que dans les contenants à destination des nourrissons et enfants en bas âge, est très loin de suffire à les protéger.

Les bébés sont, en effet, soumis à d'autres sources d'exposition. Dans son avis du 7 juin 2010, l'ex-AFSSA montre que les principaux contributeurs à l'exposition au BPA chez le jeune enfant sont le lait pour 39 % – le lait maternisé jusqu'à douze mois et, bien sûr, pour les enfants au-delà d'un an, toute forme de lait, en particulier en boîte – et les petits pots pour 24 %. La contribution des biberons à l'exposition n'est que de 4 %.

Quant aux foetus, ils sont, eux aussi, exposés, puisque le placenta ne protège pas l'embryon de l'exposition au BPA. Protéger les femmes enceintes et allaitantes et les enfants implique de protéger l'ensemble de l'alimentation. La principale source d'exposition de la population est alimentaire. L'ANSES indique que « pour les adultes et enfants de plus de trois ans, les aliments contribuant majoritairement à l'exposition sont les plats composés en conserve ».

La loi du 30 juin 2010 suspendant la commercialisation des biberons contenant du BPA a permis une prise de conscience utile, mais elle ne suffit pas : nous ne dépasserons pas le stade de l'affichage si nous ne protégeons pas l'ensemble de l'alimentation. Il faut aborder le problème de façon rationnelle, en prenant en compte le rapport bénéfice-risque du BPA comme des produits qui pourraient s'y substituer.

Cette interdiction du bisphénol A est-elle réaliste et raisonnable ? En ce qui concerne les contenants de denrées alimentaires, la réponse est oui. Les auditions que j'ai conduites ont montré qu'il existait d'ores et déjà des solutions alternatives au BPA. Pour cela, je vous renvoie à mon rapport. Le Japon, par exemple, est très en avance sur ce point. Les solutions de substitution ne sont, certes, pas toutes opérationnelles, mais la fixation d'un délai contraignant pour la disparition du BPA doit permettre de mobiliser les industriels dans la perspective de mettre au point des substituts et de démontrer leur innocuité.

J'avais proposé, en commission, de porter le délai à juillet 2013, afin de laisser aux industriels le temps de tester les produits de remplacement – en effet, il ne s'agit pas de substituer au BPA d'autres substances dangereuses. Cependant, après une longue discussion prenant en compte les contraintes imposées aux industriels, mais aussi aux scientifiques – pour la démonstration de l'innocuité des produits de remplacement –, ainsi que la crédibilité de notre texte, nous sommes parvenus à un consensus pour proroger le délai jusqu'à janvier 2014. Ce délai raisonnable, unique, donc lisible pour les industriels comme pour le public, permettra de mobiliser les industriels tout en protégeant la population et les enfants à naître, dans le délai le plus court possible. Comme le président Méhaignerie l'a souligné, ce consensus paraît satisfaisant, et il ne me paraît pas opportun de le modifier en dernière minute.

En attendant que le BPA ait disparu de notre alimentation, la sensibilisation au problème passe à la fois par une campagne d'information à destination des femmes enceintes et des jeunes mères, et par un étiquetage des produits contenant du BPA. Des fiches d'information à destination des femmes enceintes ont été réalisées par le ministère de la santé, et doivent désormais être en circulation – j'espère que M. le ministre pourra nous le confirmer.

Par ailleurs, sur ma proposition, la commission a adopté un amendement prévoyant un étiquetage des conditionnements au contact des aliments et contenant du BPA doit porter la mention « déconseillé aux enfants de moins de trois ans et aux femmes enceintes ou allaitantes » ; sans cela, nous ne serions pas crédibles en autorisant le délai.

Certains d'entre vous objecteront peut-être que cette loi serait contraire au droit européen. Cette objection paraît pouvoir être levée. D'une part, l'article 18 du règlement du 27 octobre 2004 prévoit des mesures de sauvegarde qui peuvent être provisoirement prises – d'où notre choix de proposer une « suspension » du bisphénol A. D'autre part, je vous rappelle que le Danemark a interdit le BPA dans les matériaux en contact avec l'alimentation pour les enfants de moins de trois ans, sans que la Commission européenne ouvre de procédure d'infraction.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est temps d'agir. Les rapports publiés par l'ANSES la semaine dernière montrent que les preuves scientifiques sont suffisantes pour dire que, même si le risque ne peut être quantifié, il y a un danger et que des mesures de précaution doivent être prises. C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous demande d'adopter cette proposition de loi sous la forme du consensus auquel nous sommes parvenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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