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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 6 octobre 2011 à 15h00
Interdiction de la différence de taux de sucre entre les régions d'outre-mer et la métropole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je remercie tous les orateurs de la qualité de leurs interventions, et de leurs propositions qui permettront d'améliorer encore ce texte.

Vous me permettrez de me réjouir de l'accord général qui se dégage sur le constat : certains auraient pu mettre en doute son caractère scientifique et la validité des liens de causalité ou de corrélation entre une surconsommation de sucre et l'obésité, les maladies cardiovasculaires, l'hypertension artérielle, les caries dentaires, et que sais-je encore.

Nous sommes donc presque tous d'accord sur ce lien-là, même si nous sommes également tous d'accord, parce que nous sommes réalistes, pour estimer que l'obésité est la conséquence de facteurs multiples : les sucres ne sont pas une cause unique. Je n'ai d'ailleurs jamais prétendu cela, et je ne l'ai pas écrit dans le texte qui vous est soumis aujourd'hui.

Vous me permettrez aussi de vous remercier d'avoir, si j'ose dire, changé de pied. Depuis les auditions et les débats en commission, il y a certains arguments que l'on n'entend plus. On me disait que l'adoption de ce texte déstructurerait la production locale, d'autant que, chez nous, il n'y a pas de lait frais – on utilise de la poudre de lait. Cet argument – venu du secteur agro-alimentaire – n'a été repris par aucun orateur aujourd'hui. Mais enfin, j'avais déjà répondu, comme par anticipation, à cet argument, et nous pourrons même y revenir si vous le souhaitez.

Il est bon, cependant, de dire clairement que l'utilisation du lactose n'est absolument pas en cause. Le lactose n'est pas concerné par cette proposition de loi ; les industriels peuvent en utiliser autant qu'ils veulent ! Nous parlons ici des glucides simples ajoutés, c'est-à-dire le saccharose, le glucose et le fructose. Il faut le dire très clairement : les gens pourront continuer d'utiliser le lactose.

D'ailleurs, l'application de cette loi n'impliquera pas de changements techniques, d'équipements, de chaînes de production – je dis cela notamment pour mon collègue Alfred Marie-Jeanne. Nous ne remettons donc absolument pas en cause l'utilisation du lactose en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion ou à Mayotte : j'ai moi-même dirigé une chambre d'agriculture, et je sais bien que la production de lait frais est difficile ; on fait donc venir de la poudre de lait. Cela ne pose pas de problème, puisqu'on sait quelles sont les vertus de l'utilisation du lactose : il sert pour la texture, la composition, pour la présentation et surtout – ce qui ne se crie pas sur les toits – pour améliorer la conservation.

Lorsque vous utilisez du lactose en surdose, en effet, le produit se périme moins vite. En clair, un yaourt fortement dosé en lactose peut être consommé dans un délai de quinze à vingt jours, contre dix à douze jours lorsqu'il en contient moins. Il s'agit donc seulement d'un argument commercial, qui ne remet nullement en cause l'emploi dans ce secteur. Aussi, aucune aide n'est nécessaire pour modifier les équipements. Les orateurs qui ne sont exprimés n'ont jamais avancé l'argument de l'emploi. Ils ont seulement émis quelques craintes sur la nécessaire phase de transition et les aides à octroyer si tant est qu'une mise aux normes techniques soit nécessaire.

En commission des affaires sociales, on m'a dit que les dispositions que je propose relèveraient plus du pouvoir réglementaire que de la loi. Mais ni vous, monsieur le ministre, ni les orateurs qui se sont exprimés ici n'ont repris cet argument. Et pourtant, Dieu sait à quel point il est martelé dans la presse par les porte-parole du secteur agroalimentaire ! Je le répète, on ne peut pas déléguer une politique de santé publique qui mettrait en cause dans quelque mesure la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre. Porter atteinte à ces libertés publiques ne saurait être délégué au pouvoir réglementaire. C'est donc bien à la représentation nationale qu'il appartient de légiférer.

M. le ministre et certains orateurs ont parlé d'une possible inégalité de traitement entre les produits importés de métropole, les produits fabriqués localement et les produits venant de l'étranger, notamment des États-Unis. S'ils pensent cela, c'est qu'ils ont mal lu ma proposition de loi ou qu'elle a été mal comprise. L'article 2 répond très explicitement et je dirai presque très exhaustivement à toutes les origines puisqu'il précise qu'il s'agit des produits distribués dans les régions d'outre mer. Et c'est le ministre qui aura la main, qui fixera le périmètre des produits éligibles, après avis du Haut conseil de la santé publique.

On pourrait m'objecter que cela risque de créer une inégalité de traitement, une distorsion de concurrence, c'est-à-dire que l'on traite différemment les produits étrangers et notamment américains, comme l'a dit M. Breton. À cela, je réponds non. En effet, l'article XX, paragraphe b, du GATT, repris et cité par Gérard Bapt, indique clairement que, pour des motifs de protection de santé publique, un membre du GATT, c'est-à-dire aujourd'hui de l'OMC, est autorisé à limiter les échanges et les importations si cela devait mettre en cause la santé publique. En l'espèce, c'est tout à fait cela. Il n'y a donc pas de distorsion de concurrence à l'égard des produits américains puisque l'article s'appliquera également aux produits venant de métropole, de l'étranger et à ceux fabriqués localement.

S'agissant de la bière Carib qui vient de Trinidad, elle n'entre pas dans le périmètre de cette proposition, et serait plutôt soumise à la taxe sur les boissons sucrées que le Gouvernement s'apprête à faire voter.

J'ajoute que peu de produits alimentaires viennent des États-Unis, à l'exception du Coca-Cola dont la société mère se trouve au Costa Rica. Elle fait produire chez nous cette boisson, sous licence ou sous franchise, selon un cahier des charges imposé. Et, comme vient de le dire Mme Gabrielle Louis-Carabin, le Coca-Cola a partout le même taux de sucre. Et c'est vrai, qu'il soit acheté à Paris, Cayenne, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Saint-Denis de La Réunion, Mamoudzou, Papeete ou Nouméa. Le taux de sucre ne change pas car la société Coca-cola n'a aucun problème de part de marché, de conquête ou de clientèle captive.

C'est en revanche cette même firme qui produit le Fanta. Or cette boisson contient chez nous 43 % de sucres de plus – cela peut même aller jusqu'à 48 % voire 50 % – que le même produit vendu à Paris. Ce n'est pas acceptable. Si le taux de sucre est plus élevé, c'est parce que les Antillais aiment le sucré, nous dit-on ; ils aiment aussi le salé et le gras. En réalité, c'est parce qu'il y a plus de concurrence sur ce type de boisson. Du coup, il faut créer une addiction. M. Marie-Jeanne a raison de dire que le sucre et les glucides simples ajoutés créent une dépendance, comme l'alcool ou les drogues. De telles pratiques qui existent partout et depuis des décennies sont condamnables. Il faut y mettre un terme. C'est ce que fait cette proposition de loi qui répond à un impératif de santé publique. Plus qu'une exigence morale, c'est un devoir.

Le périmètre de la loi concerne tous les produits distribués. Je le dis à M. Breton qui, en janvier 2010, a posé une question écrite sur la publicité des denrées alimentaires, notamment sur l'étiquetage. La question et la réponse du ministre ont été publiées. Au vu des préoccupations qui sont les siennes, M. Breton devrait vraiment soutenir ce texte car il est simple et de bon sens.

Monsieur le ministre, vous considérez que la loi n'est pas simple et qu'elle est inapplicable. Vous devriez relire le texte. Je dis que les produits d'une même marque ne devraient pas contenir quatre à cinq grammes supplémentaires de sucre quand ils sont vendus aux Antilles. Une telle disposition n'est pas difficile à mettre en oeuvre et elle s'appliquerait aux produits étrangers comme à ceux fabriqués localement. De surcroît, cela n'empêcherait pas du tout que soient signées des chartes d'engagement de progrès nutritionnels parce que la loi est un socle a minima. Les industriels pourraient tenter de diminuer encore le taux de glucides ajoutés.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que le ministre, fixera, par arrêté, après avis du Haut conseil de la santé publique, la teneur maximale en sucres. Vous savez, monsieur le ministre, que c'est parfaitement possible. Les chartes d'engagement de progrès nutritionnels ont commencé en 2001 ; un certain nombre d'instances ont été mises au point pour en vérifier l'application. Nous en sommes maintenant au troisième programme national nutrition santé. Vingt-huit chartes d'engagement ont été signées aujourd'hui, contre quinze il y a trois ans. C'est tout de même très lent… Et vous avez créé un référentiel, vérifié par l'Observatoire de la qualité de l'alimentation, l'OQALI, sous l'égide de l'INRA. Cela veut dire que vous disposez de tous les éléments. Après approfondissement de l'étude faite par le Haut conseil de la santé, vous n'aurez donc aucune difficulté pour fixer les teneurs en sucres et la liste des produits.

Mme Jeanny Marc et M. Marie-Jeanne ont dit qu'il fallait donner du temps au temps et permettre aux PME et aux TPE de s'adapter. Mais, après avoir entendu tous les représentants du secteur agroalimentaire, on a rédigé à nouveau le texte pour tenir compte de leurs objections. On a élargi le périmètre, évité la stigmatisation, c'est-à-dire qu'on ne cite plus les boissons gazeuses ni les produits laitiers. La proposition de loi, dans sa rédaction, est donc neutre.

De plus, demander aux fabricants de mettre moins de saccharose ne nécessite pas que soient changés les équipements, à moins qu'on nous le prouve. Et vous savez bien, monsieur Marie-Jeanne, puisque vous avez été président d'un conseil régional, que, dans ce cas, la région, voire l'État pourraient aider les industriels. Quant aux TPE, elles sont éligibles aux aides à finalité régionale. De ce point de vue, il n'y a donc pas de souci.

Pour permettre aux industriels de s'adapter, malgré l'absence de complications, nous leur avons donné un délai supplémentaire, la loi s'appliquant à partir du 1er janvier 2013 et non du 1er janvier 2012 comme le prévoyait la première mouture du texte. Nous avons donc écouté les fabricants, nous leur avons donné une année supplémentaire – si ce n'est plus, compte tenu des latitudes laissées au ministre par l'article 2.

M. le ministre considère que la procédure incitative des chartes d'engagement volontaire est meilleure que la procédure législative proposée ici. Non, la seconde est plus efficace puisqu'elle impose à tout le monde une règle commune, elle met tout le monde sous une même toise, si je puis dire. Il y aura égalité de traitement entre un produit importé des États-Unis, un produit importé de métropole et un produit fabriqué localement.

J'en viens à une dernière objection formulée tant par le ministre que par chacun de mes collègues. Le groupe SRC n'a jamais eu la prétention de l'exhaustivité, il n'a jamais eu la prétention de réduire la lutte contre l'obésité à une seule cause, le sucre. Je dis simplement qu'il faut donner un signal fort à l'opinion publique, car tout ce qui a été fait jusqu'ici sous forme incitative n'a jamais été appliqué chez nous.

J'y insiste lourdement – nos collègues Yves Bur et Élie Aboud l'ont déjà souligné en commission et le ministre lui-même est revenu sur le sujet à Fort-de-France – : comment voulez-vous mandater les directeurs d'ARS pour discuter avec des firmes en franchise alors que leur société mère ou la société avec laquelle elles ont passé un contrat ne se considèrent pas comme juridiquement engagées par les chartes d'engagement volontaire que vous pourriez souscrire sur place ? Comment, donc, voulez-vous que les ARS aient le moindre pouvoir de transformer la réalité ?

Et, pour répondre à M. Breton, comment voulez-vous aller discuter avec une société sise au Costa Rica pour lui faire signer une charte d'engagement volontaire ? Elle nous opposera la réglementation de l'OMC ; nous avons déjà répondu sur ce point. Aussi, ce que vous proposez ne marchera pas.

Pour que cela marche – et c'est pourquoi je vous incite à voter ce texte – il faut donner un signal fort aux opinions publiques, au secteur agroalimentaire – qui a été entendu. Nous devons leur dire que nous pouvons associer à cette proposition de loi des chartes d'engagement volontaire dans la mesure où il s'agit d'un socle auquel on peut ajouter d'autres engagements.

J'ai donc répondu à toutes les objections, celles du secteur agroalimentaire, celles des petites et moyennes entreprises, celles des scientifiques et des professionnels de santé, ainsi qu'à celles des parlementaires et des juristes que vous êtes. J'ai montré que ce texte relevait bien du pouvoir législatif et non du pouvoir réglementaire. C'est la raison pour laquelle je vous invite à vous débarrasser de tout préjugé – petite phrase que le ministre n'a pas manqué de retenir – ; débarrassez donc votre coeur et votre esprit de considérations qui vous retiendraient d'adopter cette proposition de loi. Elle est bonne, simple, consensuelle ; elle répond à une forte attente de l'opinion publique, non seulement dans les collectivités d'outre-mer mais aussi en métropole.

Monsieur le ministre, je refuse l'expression de « loi d'exception », comme s'il s'agissait de nous enfermer dans une sorte de ghetto ultramarin. Ce n'est pas une loi d'exception. Nous constatons une telle prévalence de l'obésité en outre-mer – nous sommes hélas les pionniers sur un mauvais terrain – que la représentation nationale doit s'emparer de cette importante question de santé publique. Puisque l'objectif que nous poursuivons a valeur constitutionnelle, légiférons et adoptons ce texte que j'appellerais « une belle oeuvre ».

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