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Intervention de Xavier Bertrand

Réunion du 6 octobre 2011 à 15h00
Interdiction de la différence de taux de sucre entre les régions d'outre-mer et la métropole — Discussion d'une proposition de loi

Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi que nous allons examiner ensemble pose une vraie question de santé publique : la lutte contre le surpoids et l'obésité est un enjeu majeur pour tous les Français, dans l'Hexagone comme outre-mer. J'y insiste : dans l'Hexagone comme outre-mer.

Une alimentation équilibrée, c'est une meilleure prévention des maladies cardiovasculaires, des cancers, du diabète, de l'obésité.

Cette question, le Gouvernement y attache depuis longtemps la plus grande importance. La lutte contre l'obésité constitue une priorité nationale voulue par le Président de la République. Nous avons ainsi, en juillet dernier, lancé avec Nora Berra le plan obésité en même temps que la troisième édition du programme national nutrition santé.

La proposition de loi proposée repose sur un bon diagnostic, que nous partageons tous, sur tous les bancs. Le principe de diversification de l'offre alimentaire est louable, bien évidemment. Mais, et nous y reviendrons, sur un plan concret et pratique, sa faisabilité apparaît improbable, et son efficience réelle est discutable.

Je dis cela sans passion. Je le dis sans faire droit à aucune considération autre que celle de la santé publique, monsieur le rapporteur.

Je pense sincèrement que ce texte ne permet pas d'atteindre l'objectif final que nous poursuivons.

Je voudrais commencer par dire que s'attaquer au problème du surpoids et de l'obésité dans les régions d'outre-mer, c'est un objectif que nous partageons. Le diagnostic que vous faites outre-mer, nous le partageons partout sur le territoire.

J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire cet été, lors de mon déplacement avec Marie-Luce Penchard aux Antilles et en Guyane.

Bien que nous observions aujourd'hui une stabilisation du surpoids et de l'obésité chez l'enfant, je ne me satisfais pas, en tant que ministre de la santé, de la situation actuelle. On constate en effet, chez l'adulte, une progression depuis plusieurs années. Cette tendance s'observe partout en France. Elle s'observe particulièrement outre-mer.

Vous connaissez les chiffres tout comme moi : en Guadeloupe, la prévalence de l'obésité est de 10 % chez les hommes et de 25 % chez les femmes contre 16 % pour les hommes et les femmes en France métropolitaine. Chez l'enfant, elle est de 7 % contre 3,5 % en métropole. Le double ! Cette différence est inacceptable. Et elle ne constitue en rien une fatalité.

Même si je ne pense pas que le sujet soit propre aux Antilles, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de souligner que la situation qui y prévaut exige une mobilisation renforcée des autorités sanitaires et des professionnels de l'alimentation.

Vous avez raison, M. le député, la situation dans les Antilles exige une mobilisation renforcée des autorités sanitaires et des professionnels de l'alimentation : il faut améliorer la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire et encourager nos concitoyens, y compris ultramarins, à adopter des comportements alimentaires plus favorables à leur santé.

Ce diagnostic étant partagé, venons-en maintenant à votre proposition de loi.

L'objectif est d'éviter qu'un produit de même marque soit plus sucré outre-mer qu'en France métropolitaine. Les produits concernés seraient notamment les yaourts, les sodas et jus de fruits, les confiseries, les viennoiseries, les pâtisseries, les barres chocolatées ainsi que les céréales du petit-déjeuner.

Cependant votre proposition de loi ne s'appliquerait pas aux produits locaux ou importés des États-Unis. Mais alors, comment faire ? Comment justifier cette différence de traitement ? Or, les Antilles sont dans la zone commerciale des États-Unis et de l'Amérique du sud. Cela veut dire concrètement que votre proposition n'atteint pas sa cible.

J'ai beau être également ministre du travail et de l'emploi, le seul critère qui vaille à mes yeux est celui de la santé. Je n'évoquerai donc pas la distorsion de concurrence dont pâtiraient les entreprises françaises par rapport à celles des Etats-Unis : mon seul souci est d'atteindre la cible, mais les consommateurs auront toujours accès à des produits qui ne subiront pas les mêmes contraintes, en provenance notamment des États-Unis.

L'objectif est également de fixer pour des produits distribués dans les seules régions d'outre-mer, une teneur maximale en sucres. Pour cela, il faudrait réglementer la composition ou la recette d'un produit, ce qui n'existe pas en métropole. Vous souhaitez légitimement une égalité de traitement entre métropolitains et ultramarins – nous y sommes évidemment tous favorables, et la ministre de l'outre-mer a été très claire sur ce point – mais pour y parvenir, vous proposez une loi d'exception. C'est contradictoire. On m'a expliqué aux Antilles que trouver une solution qui n'apparaisse pas comme une loi d'exception avait du sens aux yeux des ultramarins.

Certains me disent également que c'est contraire au droit européen, qui n'impose pas l'étiquetage d'une teneur limite en sucres dans les denrées alimentaires. On peut discuter de la validité de ce critère, mais pour moi, c'est surtout contraire au bon sens.

Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il ne faille rien faire. Comme j'ai eu l'occasion de le dire cet été lors d'un déplacement outre-mer, je pense que l'on peut, que l'on doit agir autrement, et de manière adaptée, dans la mesure où nous disposons déjà d'un certain nombre de leviers.

Il faut d'abord savoir de quoi il est précisément question. L'état des lieux détaillé de la composition nutritionnelle des aliments vendus en régions d'outre-mer est un préalable nécessaire

Avec Frédéric Lefebvre, le secrétaire d'État chargé du commerce, nous avons demandé à ses services de recueillir des informations sur la composition des produits étudiés.

Ces données seront progressivement complétées par celles de l'Observatoire de la qualité de l'alimentation, l'OQALI, dont le périmètre a été élargi aux DOM, afin de disposer des données exhaustives de composition nutritionnelle transmises par les opérateurs économiques locaux.

Parallèlement à cet état des lieux, le Gouvernement a souhaité engager dès à présent des concertations avec les producteurs. Ce ne sont pas des concertations pour l'affichage, mais bien pour faire changer les choses. Nous allons agir pour diminuer rapidement la teneur en sucre des produits alimentaires transformés. Le fait même que nous débattions de ce texte démontre aux producteurs qui ne l'auraient pas encore compris que les choses changent, et que la question de la lutte contre l'obésité n'est pas une option pour les responsables publics et économiques. Il faut également valoriser les circuits courts de production et de distribution des produits locaux.

En plus des teneurs en sucre, cette démarche permettra d'avoir une action sur d'autres aspects importants de l'offre, comme la teneur en matières grasses ou en sel. Vous avez évoqué l'hypertension artérielle : c'est le sel qui en explique aussi la prévalence, notamment dans les DOM.

Monsieur le député, une autre limite de ce texte, c'est qu'il n'encadre que le sucre alors qu'on sait que l'obésité ne se résume pas à ce seul facteur.

Voilà pourquoi, en lien avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, j'ai demandé aux directeurs généraux des agences régionales de santé de réunir les pôles de l'offre alimentaire, qui associent déjà les producteurs, les industriels et les distributeurs locaux, pour accélérer la démarche du Programme national nutrition santé.

Nous demandons des engagements concrets aux fabricants pour améliorer la qualité des produits industriels et diversifier l'offre alimentaire.

Nous allons aussi travailler avec les associations de consommateurs, les associations de recherche et les médecins pour améliorer les comportements alimentaires.

J'ai évoqué le PNNS : il constitue, avec le Programme national de l'alimentation, le volet préventif du plan obésité. Après dix ans, les premiers résultats sont là, et ces résultats montrent une évolution des comportements alimentaires dans notre société. Il n'était que temps, il est vrai.

Par exemple, le nombre d'adultes consommant cinq fruits et légumes par jour, ce fameux slogan dont certains se sont gaussés à une époque, a augmenté de 16 %. La pratique de l'activité physique a également largement progressé dans la population.

Le secteur de l'alimentation a aussi fait des efforts : ainsi, vingt-huit chartes d'engagements volontaires de progrès nutritionnel ont été signées à ce jour, ce qui concerne des centaines de PME. C'est bien ; ce n'est pas assez ; c'est une base pour aller plus loin.

Ces chartes ont eu des conséquences importantes : pour les quinze premières chartes, les engagements ont conduit au retrait chaque année de 13 000 tonnes de sucre, 4 000 tonnes de lipides, 2 150 tonnes d'acides gras saturés et 230 tonnes de sel.

Ces évolutions de l'offre alimentaire et des comportements induits par le PNNS ont sans aucun doute contribué à infléchir la dynamique de l'épidémie, en stabilisant le nombre d'enfants en surpoids.

Dans les régions d'outre-mer, les producteurs et distributeurs de l'agroalimentaire ont commencé, mais seulement commencé, à améliorer la qualité des produits. En ce qui concerne les yaourts, les taux de sucres rajoutés ont évolué à la baisse depuis 2005 d'environ 15 %. Ce n'est pas suffisant.

Ces démarches sont reprises dans la nouvelle version du PNNS 2011-2015 ainsi que dans le Plan obésité. Il y aura aussi très prochainement un volet spécifique pour l'outre-mer, transversal à chacun de ces plans.

Ce volet outre-mer du PNNS poursuit plusieurs objectifs.

Tout d'abord, il vise à promouvoir des comportements alimentaires plus favorables à la santé, sachant que les produits sucrés ont la préférence des consommateurs, notamment des enfants : il faut changer les habitudes alimentaires.

Le deuxième grand objectif est de travailler en lien avec les recteurs, les associations et les collectivités locales afin de développer l'éducation nutritionnelle dans les écoles, d'améliorer la qualité nutritionnelle des repas scolaires et d'encourager la pratique de l'activité physique à l'école. Le sport, ce n'est pas simplement en jeu vidéo ! Il faut aussi dissuader la consommation de soda sucré à l'école et y favoriser l'implantation des fontaines d'eau. J'ai lancé ce débat lors d'une visite à l'agence régionale de santé afin de chercher comment modifier les comportements. Je connais les cultures locales, et la présence de camions situés devant la sortie de l'école pendant la récréation, et qui fournissent les enfants qui viennent y consommer, malheureusement pas des fruits et des légumes !

Il y a un poids des habitudes. Cela ne signifie pas qu'il ne soit pas possible de les changer.

Cette question des fontaines d'eau n'est pas anecdotique : l'objectif est de boire moins de boissons sucrées, et beaucoup plus d'eau. Combien y a-t-il de fontaines à eau dans toutes les écoles de la région ? Cette question, je la pose aux recteurs. Vous proposez une loi, pour ma part, je veux des actions concrètes. Elles peuvent être engagées sans attendre le vote d'une loi.

Cette démarche incitative du PNNS va être complétée par celle du Programme national de l'alimentation. Ce dernier prévoit que l'État incite les opérateurs du secteur agroalimentaire à mettre en oeuvre des accords collectifs par famille de produits, avec des objectifs en matière de qualité nutritionnelle. Nous serons particulièrement attentifs à ce que la question du sucre soit traitée avec efficacité. Mon ministère suit cette question, ainsi que le ministère de l'outre-mer, et Marie-Luce Penchard est totalement mobilisée sur ce dossier.

Sur le volet de l'offre, nous allons continuer à diversifier les productions agricoles locales en faveur de l'autosuffisance alimentaire pour répondre aux attentes des populations d'outre-mer.

Comme nous venons de le voir, cette proposition de loi repose sur un diagnostic que nous partageons, mais elle constitue une réponse partielle et difficile à mettre en oeuvre. Le seul fait qu'elle ne s'applique qu'aux produits élaborés en métropole et outre-mer en montre les limites. Nous n'avons pas la garantie que les comportements changeront. Certains diront que ce n'est qu'un début mais je sais pertinemment que si l'on n'engage pas une action locale, nous n'atteindrons pas l'objectif.

Je ne veux pas me donner bonne conscience ; j'ai pour habitude de chercher à régler les problèmes globalement, et non pas partiellement. Voilà pourquoi le Gouvernement juge préférable, aujourd'hui, de s'appuyer sur l'approche concertée et globale que nous avons lancée : non seulement nous agissons sur l'offre, mais nous faisons aussi travailler ensemble les acteurs concernés sur les comportements et les représentations des consommateurs.

Pour être pleinement efficace, la lutte contre l'obésité suppose d'agir simultanément sur l'ensemble des déterminants, qu'ils soient comportementaux ou environnementaux. Ce n'est pas le cas de ce texte ; le Gouvernement émettra donc un avis défavorable à cette proposition de loi. Mais une chose est certaine, toutes celles et ceux qui produisent et distribuent outre-mer doivent comprendre que les temps ont changé, et que nous voulons des accords couronnés de succès, et certainement pas que l'on s'éternise dans des débats sans fin pendant que l'obésité progresse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

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