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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 6 octobre 2011 à 15h00
Interdiction de la différence de taux de sucre entre les régions d'outre-mer et la métropole — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, mes chers collègues, les dispositions de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, adoptées par une large majorité de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, visent à lutter contre ce fléau de l'obésité que l'Organisation mondiale de la santé n'hésite pas à qualifier d'épidémie et qui touche nos régions d'outre-mer avec une acuité particulière.

Cette proposition de loi nullement partisane s'appuie sur un double constat objectif et partagé.

Premier constat : les statistiques globales de la prévalence de l'obésité en France dissimulent des écarts importants entre la France hexagonale et l'outre-mer.

En décembre 2009, le rapport au Président de la République de la commission pour la prévention et la prise en charge de l'obésité soulignait déjà que la situation dans les collectivités d'outre-mer était « une source de préoccupation majeure ». Des données plus récentes confirment qu'elle touche tout particulièrement nos régions d'outre-mer. Une enquête dite PODIUM, pour prévalence de l'obésité, de sa diversité et de son image ultra-marine, menée à l'initiative de mon ami le docteur André Atallah, qui assiste à nos débats depuis les tribunes, a ainsi montré sans conteste que l'obésité et le surpoids demeurent à des niveaux significativement plus élevés dans les collectivités ultramarines qu'en France hexagonale, tant chez l'adulte que chez l'enfant.

Cette situation spécifique de l'outre-mer est d'autant plus préoccupante que l'obésité favorise nombre de pathologies associées comme la survenue de diabète, l'hypertension artérielle, des maladies cardiovasculaires et respiratoires ou encore les caries dentaires. Le lien entre sucre, obésité, caries, hypertension et maladies cardio-vasculaires et respiratoires est avéré.

Certes, l'obésité est un phénomène multifactoriel et il n'est donc pas exclu que des facteurs culturels, sociaux ou économiques expliquent en partie les différences territoriales enregistrées entre les régions d'outre-mer et 1' Hexagone. Toutefois, la responsabilité des groupes industriels de l'agroalimentaire dans la progression de l'obésité outre-mer et des autres pathologies ne doit pas pour autant être négligée.

En effet, et c'est le deuxième constat sur lequel s'appuie cette proposition de loi, certaines pratiques discutables de l'industrie agroalimentaire viennent encore accentuer ces problèmes d'obésité spécifiques à l'outre-mer.

En premier lieu, plusieurs produits de consommation courante distribués outre-mer, tout spécialement des spécialités laitières et des sodas, ont très souvent une concentration en sucre supérieure à celle des mêmes produits de marques identiques vendus en France hexagonale.

Lorsqu'on les interroge sur cette bizarrerie, les groupes nationaux concernés font valoir que la commercialisation outre-mer de leurs produits est le plus souvent sous-traitée par des groupes locaux. De ce fait, ils ne s'estiment pas responsables des différences de teneur en sucres. Ils expliquent les différences de teneur en glucides principalement par des différences de « process » de fabrication, l'absence de lait frais en outre-mer obligeant à recourir à des poudres de lait plus riches en lactose. Environ la moitié des écarts constatés proviendrait ainsi, disent-ils, du lactose, ce qui laisse donc subsister encore un écart résiduel significatif avec la France hexagonale.

Cet argument n'est, par ailleurs, pas pertinent pour les trois raisons suivantes.

Le lactose est un glucide qui ne fait pas partie des sucres dits « ajoutés », au sens où on l'entend dans le secteur alimentaire et dans les informations portées sur les emballages de yaourts : il n'est donc pas visé par ma proposition de loi.

Ensuite, il est absolument faux d'affirmer que l'utilisation de lait en poudre ne permet pas de fabriquer des yaourts moins chargés en matière – protéines, lipides et glucides –, donc en lactose : nos producteurs locaux sont donc tout à fait capables de produire des yaourts moins riches. D'ailleurs, ils le font déjà pour des marques de distributeur comme « comté de Lohéac » en Guadeloupe.

Mais, enfin, le problème porte surtout sur les yaourts sucrés ou aux fruits. Des analyses, qui seront présentées très prochainement, dans quelques heures, montreront qu'au-delà du lactose, dans les yaourts sucrés ou aux fruits, nos producteurs locaux ajoutent nettement plus de saccharose ou de sirop de glucose-fructose, donc de sucres, que dans les produits équivalents vendus dans l'Hexagone.

De façon indirecte, les industriels laissent parfois également penser que les consommateurs d'outre-mer préfèrent les produits les plus sucrés et que si leurs franchisés locaux baissaient la teneur en sucre de leurs produits, ce seraient leurs concurrents qui en bénéficieraient, alors même qu'il n'existe aucun argument scientifique pour étayer l'existence chez les populations de l'outre-mer d'un goût particulier pour les aliments riches en sucres.

À cet égard, on peut d'ailleurs évoquer un colloque qui se tiendra très bientôt sur le phénomène de l'empreinte nutritionnelle et celui de la transmission épigénétique : le goût se transmet, et parfois, hélas, s'inscrit dans les gènes, créant addiction. Et ces habitudes se prennent entre la naissance et l'âge de trois ans.

En second lieu, certaines boissons comme les sodas locaux, distribuées quasi exclusivement outre-mer, contiennent un taux de sucre très élevé. Ces teneurs très élevées en sucres sont d'autant plus critiquables que le consommateur, le plus souvent, n'en est pas informé, puisque l'étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires reste encore facultatif en Europe et en France.

Or, il est désormais bien établi qu'une consommation excessive de sucres est un des facteurs qui favorisent l'obésité.

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES indique ainsi que « les effets délétères des glucides ont pu être établis avec certitude vis-à-vis du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents, dans les pays industrialisés. D'après des études menées en France, en Grande-Bretagne et aux États- Unis, une consommation excessive de glucides, et en particulier de glucides simples ajoutés, notamment sous forme de boissons (jus de fruits, sodas...) serait responsable du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents ».

Au regard de ce double constat, on ne peut que regretter que la nécessité d'une politique de santé publique spécifique à 1'outre-mer en matière d'obésité commence à peine à être prise en compte.

Le plan national obésité 2011-2013 insiste certes, pour la première fois, sur la nécessité de « prendre en compte les situations spécifiques de l'outre-mer », mais en se contentant trop souvent de recommandations et d'appels à de bonnes pratiques commerciales.

Je voudrais ici examiner rapidement les trois types d'arguments qui ont été avancés pour s'opposer à la présente proposition de loi. Ils ne résistent pas à une analyse sérieuse.

On a vanté, en premier lieu, les vertus des engagements volontaires. Lors des nombreux échanges que j'ai eus avec les principaux acteurs de l'industrie agroalimentaire outre-mer, ceux-ci se sont en effet montrés réservés sur la nécessité de recourir à la loi et ont indiqué préférer que des partenariats se nouent sur la base d'engagements volontaires.

Lors de votre déplacement à Fort-de-France en juillet 2011, monsieur le ministre, vous avez dit partager nos préoccupations, mais déclaré privilégier la voix de la concertation, en annonçant que vous alliez, à cet effet, mandater les directeurs des agences régionales de santé ultramarines pour engager des discussions avec les fabricants afin d'envisager ensemble les moyens permettant de diminuer rapidement la teneur en sucres des produits alimentaires transformés. Nous devions avoir quelques résultats, disiez-vous, à la rentrée. Nous sommes en pleine rentrée, et aucun changement concret n'a jusqu'ici eu lieu.

Je note néanmoins que tant le ministère de la santé que les industriels de l'agroalimentaire ont reconnu à cette occasion que des produits de consommation courante ont une concentration en sucre supérieure à celle des mêmes produits de même marque vendus en France hexagonale et que certaines boissons comme les sodas locaux, distribuées principalement outre-mer, contiennent un taux de sucre très élevé. Force est également de constater que le ministère de la santé comme les industriels de l'agroalimentaire ont admis qu'il est techniquement possible et souhaitable de faire diminuer la teneur en sucres de certains produits distribués outre-mer.

Il est vrai que, dans le cadre du programme national nutrition santé, des chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnel ont été proposées, depuis 2007 – et même depuis 2001, c'est-à-dire il y a déjà dix ans –, aux exploitants du secteur alimentaire. Cela n'a, jusqu'ici, rien donné.

Toutefois, la commercialisation outre-mer des produits des groupes nationaux étant le plus souvent sous-traitée par des groupes agroalimentaires locaux franchisés, les engagements volontaires des groupes nationaux n'engagent pas juridiquement les franchisés locaux.

Par ailleurs, l'engagement dans une démarche volontaire d'abaissement des teneurs en sucres par les franchisés se heurterait de toute façon à une limite évidente : si tous les opérateurs ne s'engagent pas, ceux qui acceptent volontairement de réduire les teneurs en sucres prennent le risque de perdre des parts de marchés.

La démarche purement volontaire trouve donc rapidement ses limites. Je note d'ailleurs, incidemment, que le projet du Gouvernement d'instaurer, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, une taxation des boissons sucrées illustre de façon parfaite que la lutte contre l'abus de sucres fait partie intégrante d'une politique de santé publique qui doit trouver une traduction législative pour s'imposer à tous.

Pour ma part, je considère qu'il serait paradoxal de s'en remettre à la seule bonne volonté des acteurs économiques à un moment où chacun s'accorde pourtant sur les limites d'un libéralisme non régulé et encadré.

Deuxièmement, il a été avancé que la loi serait une méthode trop brutale, qui stigmatiserait injustement certains opérateurs économiques et les priverait de marges de manoeuvre. Je tiens à dire que j'ai entendu ces critiques et que la commission a, suivant mes propositions, assoupli le dispositif juridique sans pour autant le dénaturer.

Ainsi, de façon à permettre aux industriels de modifier leurs processus de fabrication et de disposer d'un délai avant l'entrée en vigueur de l'interdiction prévue à l'article 1er, celle-ci n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2013.

De plus, pour ne pas stigmatiser les industriels des deux seuls secteurs agroalimentaires des boissons sans alcool et des spécialités laitières, le dispositif de l'article 2 a été étendu aux principales denrées alimentaires distribuées dans les régions d'outre-mer : viennoiseries, pâtisseries, barres chocolatées, que sais-je encore.

En définitive, cette proposition de loi ne supprimera pas la possibilité de recourir à des chartes volontaires d'engagement nutritionnel pour l'outre-mer. La loi ne constitue en effet que le socle minimal d'une politique de santé publique, plus vaste, de lutte contre l'obésité. Cette politique doit impérativement se développer dans les collectivités ultramarines avec la collaboration de toutes les parties intéressées. Il sera, notamment, toujours loisible aux industriels d'aller plus loin que les exigences a minima de la loi pour prouver leur réelle volonté de diminuer les teneurs en sucres des produits qu'ils distribuent outre-mer.

En troisième et dernier lieu, il a été indiqué que ces mesures ne relevaient pas du domaine de la loi. La compétence du législateur est au contraire parfaitement fondée en droit. En effet, il s'agit ici d'apporter une garantie légale à des exigences constitutionnelles.

Je rappelle en effet que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie de notre « bloc de constitutionnalité », dispose que la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant et à la mère, la protection de la santé. Je rappelle également que le Conseil constitutionnel a érigé en objectif de valeur constitutionnelle la protection de la santé publique.

Par ailleurs, l'interdiction édictée par cette proposition de loi limitera nécessairement, nous le reconnaissons, l'exercice de certaines libertés publiques, comme la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre, qui sont des principes constitutionnels. Or, l'article 34 de notre Constitution, qui définit le domaine de la loi, dispose explicitement que « la loi fixe les règles » concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Si le Conseil constitutionnel a jugé que la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue et qu'il est toujours loisible d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général, il a rappelé que c'est « au législateur », et non au pouvoir réglementaire, d'apporter ces limitations. Celles-ci sont précisément l'objet de la présente proposition de loi.

Devrions-nous donc accepter, chers collègues, alors que la Constitution nous l'autorise et que le Gouvernement lui-même nous annonçait, il y a encore peu, une prochaine révision de la loi de santé publique du 9 août 2004, de considérer aujourd'hui que ce sujet n'est plus de la compétence du législateur ?

Je crois que c'est tout au contraire l'honneur de notre Parlement que d'intervenir aujourd'hui, par la loi, avec toute la force symbolique dont elle est entourée, dans ce sujet majeur de santé publique que constitue la lutte contre l'épidémie d'obésité qui touche les populations d'outre-mer et de rétablir ainsi une égalité de traitement entre ces dernières et la France hexagonale.

Les objections du secteur agroalimentaire ont été entendues, les arguments de la majorité parlementaire ont été intégrés et la forte attente des professionnels de santé et des opinions publiques satisfaites.

Je crois pouvoir dire que c'est une belle oeuvre, consensuelle, à n'en pas douter, que j'invite la représentation nationale à adopter. N'embarrassez ni votre raison ni votre coeur de considérations étrangères à la protection de la santé publique. Montrons que l'Assemblée nationale a su se mettre à hauteur d'espérance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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