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Intervention de Hervé Mariton

Réunion du 4 octobre 2011 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Mariton, rapporteur spécial :

Je viens effectivement vous rendre compte des conditions de la préparation de la mise en oeuvre de la taxe poids lourds en France.

Cette taxe était prévue dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Le choix a été fait de confier la conception, la mise en place de l'infrastructure et sa gestion à un partenaire privé. Cette taxe poids lourds a pour vocation de financer de façon pérenne l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Ce financement est estimé à un peu moins d'un milliard d'euros.

Il s'agit également de corriger les conditions de concurrence entre les modes de transports, fret ferroviaire et fret routier, notamment en faisant payer au fret routier une part des externalités qu'il génère en circulant sur le réseau national gratuit. Il s'agit là de l'idée de départ. Il est apparu au cours de mes travaux que non seulement les routes nationales pouvaient faire l'objet d'une perception de la taxe poids lourds, mais également un certain nombre de voiries départementales, voire municipales. Certains départements sont en effet très demandeurs.

Mes travaux ont également et assez rapidement mis en évidence le contentieux relatif à l'appel d'offre pour choisir le prestataire. Ce contentieux est né du recours de la SANEF, entreprise qui n'a pas été retenue. Il a retardé de plusieurs mois la mise en oeuvre de la taxe poids lourds dans notre pays. En effet, la SANEF avait obtenu le 8 mars 2011, en première instance, par une ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l'annulation de la procédure d'appel d'offre avant que le Conseil d'État ne donne raison, le 24 juin 2011, au ministère de l'Écologie et du développement durable ainsi qu'à la société Autostrade Per l'Italia, lauréate de l'appel d'offre.

La mise en oeuvre de la taxe poids lourds est maintenant prévue au milieu de l'année 2013, au mieux. Ce retard avait été évoqué quand nous avions examiné les perspectives du Schéma national des infrastructures de transports (SNIT). Il a de sérieuses conséquences – partiellement compensées par des dotations budgétaires – sur le financement de l'AFITF et du SNIT.

Par ailleurs, la comparaison internationale menée au cours de mes travaux est intéressante sur différents aspects.

Tout d'abord, en Allemagne comme en Slovaquie, les deux pays observés, il convient de noter que des contentieux importants sont apparus. Les procédures sont de fait assez innovantes et les enjeux financiers ne sont pas négligeables, en ce qui concerne tant l'importance du processus industriel que les sommes attendues. Les contentieux sont de natures différentes, mais pèsent, dans les deux cas, sur la manière dont la taxe poids lourds est mise en oeuvre.

En Allemagne, la recette attendue est supérieure à la nôtre : 4,4 milliards d'euros. Mais les allemands prospèrent en cette affaire sur un réseau autoroutier sans péage. La taxe poids lourds allemande intègre ainsi une part de ce qui correspond aux péages autoroutiers chez nous. Le rendement de cette taxe est donc élevé. Elle a notamment permis, par des incitations décidées par l'État allemand au profit des transporteurs routiers, de modifier sensiblement la structure du parc de poids lourds en Allemagne. Cette taxe, discriminée selon le caractère plus ou moins polluant du camion, a envoyé un signal parfaitement compris par les transporteurs routiers qui ont adapté leur flotte de camions en conséquence. En Allemagne, on observe donc que deux objectifs sont atteints : la collecte et l'évolution du parc routier.

En France, il convient de rappeler que le Grenelle de l'environnement et la taxe poids lourds fixent deux objectifs un peu différents : le financement de l'AFITF et ensuite, de par ce financement et le renchérissement du coût du transport routier, la correction des termes de la concurrence entre le transport routier et le fret ferroviaire. Il y a donc là une volonté de basculement modal. Celui-ci n'est pas une priorité des autorités allemandes : de leur point de vue, la taxe poids lourds ne peut pas être sollicitée pour répondre à tous ces objectifs à la fois.

Le cas slovaque est intéressant à plusieurs égards. D'une part parce que l'entreprise SANEF est présente (à hauteur de 10 % en termes de capital, mais de manière beaucoup plus prégnante sur les aspects opérationnels) dans le groupement Sky Toll qui gère la taxe en Slovaquie. Je rappelle que SANEF était le requérant contre Autostrade et l'État dans la configuration française.

La mise en oeuvre de la taxe est très décriée en Slovaquie, tant en raison des conditions opérationnelles qu'en raison de l'opacité du tour de table de Sky Toll, hormis la participation de SANEF. Il s'agit des suites de difficultés d'analyse et de polémiques liées aux conditions de la privatisation de grandes entreprises en Slovaquie.

Un point important et préoccupant mérite d'être soulevé : l'enjeu de l'interopérabilité n'a été que très peu pris en compte jusqu'à présent. Le risque est que pour traverser les frontières, il y ait besoin d'autant de systèmes de taxe poids lourds à bord des camions que de pays. Il s'agirait là d'une réalité physique inquiétante. Le contexte européen aurait dû permettre d'assurer une meilleure interopérabilité : ce n'est manifestement pas le cas.

Le rapport examine enfin les conditions d'acceptabilité de la taxe, qui soulèvent deux problèmes : le contrôle non discriminatoire et l'aide à l'amélioration de la performance écologique.

Le sujet du contrôle non discriminatoire est le suivant : la taxe poids lourds s'apparente à une TVA sociale dans certains de ces effets. Il s'agit d'une taxation de la production des transporteurs français, mais aussi de la taxation de la production en France de transporteurs venant d'autres États. Elle améliore la compétitivité relative des transporteurs routiers français. C'est une des raisons pour lesquelles, au début du processus, ces derniers ne se sont pas opposés violemment à la mise en oeuvre de cette taxe nouvelle. Cet impôt nouveau était jugé proportionnellement plus pénalisant pour les transporteurs étrangers.

Reste que cette disposition, pour sympathique qu'elle soit aux yeux de nos transporteurs, se doit d'être suivie d'effets dans la réalité. Or force est de constater qu'en ce qui concerne la poursuite des contrevenants, la capacité réelle de poursuivre efficacement les routiers étrangers n'acquittant pas normalement la taxe due est loin d'être avérée. Ce point n'est pas résolu et si l'on se réfère aux difficultés constatées sur les contrôles et sanctions automatiques dans le domaine des radars, il s'agit là d'une difficulté réelle.

Enfin, il conviendra de mieux développer en France des mesures d'encouragement à l'évolution du parc de camions, à l'instar de ce qui a été fait en Allemagne. Il s'agit d'une dimension qui n'est pas présente dans le projet actuel.

Cependant, au regard des difficultés rencontrées, il convient néanmoins de se satisfaire de la mise en oeuvre à la mi 2013 de la taxe poids lourds dans notre pays. Le retard constaté pourra être mis à profit pour améliorer le dispositif dans le sens que je viens de définir.

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