Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de André Chassaigne

Réunion du 30 septembre 2011 à 15h00
Protection des consommateurs — Article 7

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Nous abordons ici un beau sujet, une mesure attendue depuis longtemps dans notre pays par des artisans, par des industriels, par les consommateurs – par tous ceux qui sont attachés à notre patrimoine industriel, qui est aussi un patrimoine culturel.

Cette volonté de valoriser l'origine des produits non alimentaires par l'attribution d'une dénomination liée à l'origine géographique permettra indiscutablement, M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur l'ont dit maintes fois, de renforcer l'industrie et l'artisanat de nos régions.

Certes, la protection des appellations d'origine demande une approche réfléchie évitant certains clichés que l'on rencontre trop souvent : j'aurai l'occasion d'y revenir en détail. Pour reprendre une expression que les anciens de cette assemblée aiment à citer, je dirai que, dans ce domaine, il faut légiférer d'une main tremblante. Ce doit être notre règle, bien sûr, mais il faut l'appliquer plus strictement encore s'agissant d'un article qui peut présenter des risques pour la production s'il est mal rédigé.

Monsieur le secrétaire d'État, je veux saluer votre méthode parce qu'un travail préparatoire a été effectué. Vous avez reçu, avec votre cabinet, des représentants du milieu économique qui ont pu mettre en évidence les risques que comporte la rédaction actuelle. Je sais que vous avez été à leur écoute et que le rapporteur a pris en compte certains des amendements que j'ai déposés et qui sont l'émanation d'inquiétudes locales.

Quel est le droit en vigueur ?.

Le droit international reconnaît les indications géographiques comme une forme de propriété intellectuelle, au même titre que les marques commerciales. Il s'agit de l'article 22 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Cet article précise qu' « on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d'un Membre ou d'une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».

Le système européen de protection des indications géographiques, mis en place en 1992, est plus contraignant. Il comprend deux types d'indication géographique : les AOP, appellations d'origine protégée, dont le lien avec le territoire est très fort, et les IGP, indications géographiques protégées, dont le lien avec le territoire est plus lâche.

Je rappelle également que l'article 36 du traité instituant la Communauté européenne autorise les États membres à mettre en place une protection nationale pour les dénominations justifiées par la protection de la propriété commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer – et je m'adresse plus particulièrement à Mme Boyer – ni « un moyen de discrimination », ni « une restriction déguisée dans le commerce ». Je crois que cet élément doit peser dans la suite de nos débats si nous voulons bien prendre en compte la réalité des productions locales.

L'attribution d'une dénomination repose non seulement sur le lien avec l'origine, mais également sur des critères qualitatifs qui figurent dans un cahier des charges contrôlé par un organisme indépendant. Dans les différents alinéas de cet article 36, on retrouve effectivement le cahier des charges, un dispositif qui permet de bien encadrer l'attribution d'une indication géographique protégée.

En ce qui me concerne, je souhaite appeler votre attention sur deux points qui apparaissent dans le règlement du Conseil du 20 mars 2006. Il s'agit de l'article 14, auquel je reviendrai, si nécessaire, au cours du débat. Certes, cet article vise les produits alimentaires, mais on peut le prendre en compte puisque nous nous proposons d'étendre la protection des produits alimentaires aux produits non alimentaires, et tout particulièrement aux produits manufacturés.

Le premier point concerne la dénomination antérieure, c'est-à-dire la prise en compte de la préexistence de dénominations qui sont une réalité avant même l'enregistrement dans la dénomination d'indication géographiquement protégée. L'article 14 est extrêmement clair à cet égard puisqu'il dispose : « Dans le respect du droit communautaire, l'usage d'une marque […] acquise par l'usage de bonne foi sur le territoire communautaire [ ... ] avant la date de protection de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique dans le pays d'origine, peut se poursuivre nonobstant l'enregistrement d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique ».

Je veux insister sur la dénomination antérieure en m'appuyant sur un exemple précis qui n'est connu ni du grand public ni très certainement de nombreux députés. L'appellation « laguiole », qui est très ancienne, et qui pour l'essentiel compte de nombreux noms de couteaux, s'est développée dans la ville de Thiers avant même de trouver un point d'accroche au village de Laguiole. Il existe actuellement cent soixante marques « laguiole », dont certaines remontent au xixe siècle. Quatre cents salariés du bassin coutelier de Thiers travaillent pour le laguiole. C'est un produit fabriqué à 80 % à Thiers. C'est dire l'inquiétude des artisans et des PME et le risque que représenterait pour eux la limitation de cette marque à la localisation géographique du village de Laguiole. Ce serait un coup terrible porté à la coutellerie thiernoise : une concurrence déloyale s'instaurerait en contradiction avec le droit communautaire, voire avec le droit international.

Le second point a trait à la dénomination générique. Des appellations de produits non alimentaires sont devenues des noms génériques. J'en ai cité dans le cadre de la discussion générale. Prenez le vichy. C'est une toile de coton dont vous trouverez le nom générique dans le dictionnaire. Il en est de même pour le sèvres, une porcelaine ; le laguiole, un couteau ; le chantilly, une dentelle au fuseau. Il y a donc des dénominations qui sont devenues génériques, c'est-à-dire des noms communs. Aussi faut-il être vigilant, car si l'on ne prend pas en compte ces cas particuliers, on risque de créer des problèmes juridiques.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait adopter en commission un amendement qui me paraît extrêmement dangereux : on serait désormais obligé de consulter les autorités municipales pour utiliser le nom d'une ville. Cela va poser problème. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple du couteau, produit que je connais bien. Une multitude de couteaux régionaux portent déjà des noms de ville alors qu'ils sont fabriqués uniquement par les artisans de Thiers. Je citerai d'abord le saint-amant, ayant été maire du petit village de Saint-Amant-Roche-Savine pendant vingt-sept ans. Désormais, faudra-t-il que les très nombreux couteliers thiernois qui fabriquent ce couteau demandent au maire de Saint-Amand-les-Eaux, mon camarade Alain Bocquet, une autorisation ? Je prendrai également le cas du montpellier, très beau couteau utilisé par les marins du sud et fabriqué également à Thiers. Faudra-t-il, là encore, demander une autorisation au maire de Montpellier ? Je citerai encore le roquefort qui, outre un fromage, est aussi un couteau fabriqué par plusieurs artisans thiernois. L'aurillac, qui a été créé et fabriqué à Thiers mais commercialisé à Aurillac, devra-t-il lui aussi être soumis à autorisation ? Je pourrais encore citer le sauveterre, le langres, l'issoire, l'yssingeaux – vous voyez les couteliers de Thiers aller à Yssingeaux demander, tels les bourgeois de Calais, l'autorisation de continuer à fabriquer ce couteau ? – le rumilly, le châtellerault, ou encore des noms de couteaux qui se rapportent à des départements ou des régions.

Monsieur le rapporteur, je le répète, faisons attention à ne pas surcharger notre législation au risque de créer des problèmes insurmontables, d'autant que la législation actuelle permet déjà de nombreux contrôles. En effet, si le nom d'une ville est utilisé abusivement, une sanction peut être appliquée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion