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Intervention de Michèle Delaunay

Réunion du 28 septembre 2011 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Delaunay, rapporteure :

Les auspices se montrent favorables à ce texte.

C'est juste hier que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a lancé un appel à contributions visant à recueillir les données disponibles sur les produits de substitution au bisphénol A. La note correspondante indique que « l'agence considère qu'il existe des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes. Cet objectif passe par la réduction des expositions au bisphénol A,notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires qui constituent la source principale d'exposition des populations ».

La proposition de loi de notre collègue Gérard Bapt vise donc à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire contenant cette substance.

Les revues bibliographiques, comme les auditions que nous avons effectuées, conduisent à affirmer, d'une part, que les études sur la nocivité du bisphénol A pour les humains doivent être prises très au sérieux et, d'autre part, que son remplacement par d'autres produits est tout à fait possible.

Les signaux d'alerte concernant la toxicité du bisphénol A doivent être soigneusement examinés.

Cette substance est un composant chimique permettant de fabriquer des matières plastiques très performantes et aux nombreuses applications. Elle est associée à d'autres composants, essentiellement pour la fabrication de deux types de matériaux : une matière plastique, le polycarbonate, et toutes les résines époxy. Il est important de signaler que le bisphénol A n'est pas un additif mais un élément indissociable de ces produits : sans lui, on ne pourrait les fabriquer.

Le polycarbonate présente de grandes qualités : transparence, solidité, résistance et inaltérabilité. Sa surface lisse limite la fixation des bactéries. C'est pourquoi on l'utilise dans de très nombreux produits de la vie courante : bonbonnes d'eau, biberons, vitres des voitures, casques de motos, boucliers des CRS, bouilloires, amalgames dentaires, prothèses…

Les résines époxy servent au revêtement intérieur des boîtes de conserves et des canettes.

Mais le bisphénol A est un perturbateur endocrinien. Il agit comme un leurre hormonal, capable de mimer l'effet des hormones sexuelles intervenant dans la fonction de reproduction, grâce à la parenté de sa formule chimique. Il agit aussi dans le développement d'organes tels que le cerveau ou le système cardio-vasculaire. Nous évoquons là les effets constatés lors d'expériences où la substance est souvent en contact direct avec les oestrogènes. La question est donc de savoir d'abord si, contenue dans les matériaux mentionnés précédemment, elle peut se trouver en contact avec des hormones et avec leur récepteur dans le corps humain, ensuite si elle présente un effet nocif.

Malgré de nombreuses études démontrant un effet négatif sur le développement d'animaux, les autorités sanitaires ont considéré, pendant des années, que la substance ne présentait pas de risque pour l'homme.

Toutefois, une évolution importante s'est produite l'année dernière. L'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) du 29 janvier 2010 a reconnu des « signaux d'alerte » parmi les études scientifiques et recommandé de poursuivre les recherches afin de comprendre les effets du bisphénol A sur l'homme. L'agence commence ainsi à remettre en cause la notion de dose journalière admissible (DJA) qui fonde la réglementation de l'utilisation des substances susceptibles de présenter un danger pour la santé, et en particulier celle relative au bisphénol A, dont la dose admissible s'élève à 0,5 mgkg de poids corporel et par jour. Cette mesure permet de fixer la limite de migration spécifique, c'est-à-dire la quantité de substances qui peut migrer vers l'aliment sans danger pour le consommateur. Elle est aujourd'hui majoritairement remise en question mais conserve sa valeur internationale.

L'agence indiquait par ailleurs que les études analysées ne permettaient ni d'établir une relation entre la dose et l'effet ni de définir une dose sans effet sur laquelle fonder une dose journalière admissible. Mais la règle générale voulant qu'un produit est d'autant plus toxique qu'il se présente en grande quantité pourrait ne pas se vérifier aussi pour le bisphénol A. Il s'agit là d'un changement important de conception.

Selon son avis du 7 juin 2010, dans lequel figure un tableau de l'exposition de la population au bisphénol A, l'AFSSA estimait souhaitable de maintenir aussi basse que possible l'exposition des consommateurs, notamment les sujets les plus sensibles. Elle recommandait donc que la limite de migration spécifique du bisphénol A soit réévaluée en s'alignant sur les meilleures technologies actuellement disponibles. Elle recommandait par ailleurs un étiquetage systématique des ustensiles ménagers contenant du bisphénol A afin d'éviter leur utilisation pour un chauffage excessif des aliments.

Enfin, les deux rapports publiés très opportunément hier par l'ANSES sont extrêmement éclairants et versent au débat des arguments nombreux.

L'ANSES a organisé une expertise collective, ambitieux travail de méta-analyse de toutes les études scientifiques disponibles sur les perturbateurs endocriniens, avec une douzaine de perturbateurs prioritaires, dont le bisphénol A. La méthodologie employée prend en compte l'intégralité des études publiées dans les revues à comité de lecture. Celles-ci ont ensuite été analysées et classées en trois parties : effet avéré, effet controversé et effet suspecté. Certaines études ont été écartées, car considérées comme insuffisamment fiables.

Il existe peu de conclusions quant aux effets du bisphénol A sur l'homme. On ne pointe, pour l'instant, que des effets suspectés ou controversés, aucun d'avéré. En revanche, l'ANSES recense de nombreux effets avérés chez les animaux, extrêmement inquiétants, sachant bien sûr qu'il est plus facile de réaliser des expériences sur les animaux que sur les hommes, sachant aussi que les voies d'administration de la substance peuvent introduire des biais d'interprétation.

L'ANSES fournit donc des recommandations de recherche à l'intention des scientifiques, de façon à mieux caractériser le danger. Elle lance ainsi un appel à contributions, jusqu'au 30 novembre 2011, visant à recueillir toutes les données scientifiques disponibles sur les produits de substitution.

Dans sa note d'appel, elle rappelle notamment que les effets suspectés chez l'homme et avérés chez l'animal ont été mis en évidence à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires. Elle souligne l'existence possible d'une relation non linéaire entre dose et effet, et la difficulté à établir un seuil de dose sans effet sur la base des données disponibles. Elle rappelle enfin l'existence de « fenêtres d'exposition » et de populations sensibles : le bisphénol A a principalement des effets nocifs sur les organismes en formation, les foetus et les jeunes enfants. Cette observation est quasi générale.

Enfin l'ANSES recommande la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires.

Il ne faut par confondre l'expertise, c'est-à-dire l'examen des données scientifiques sans interprétation particulière, et ce qui ressort de l'expérience, à savoir la confrontation de ces mêmes données à ce que l'on sait dans d'autres champs d'étude.

Le temps des décisions est maintenant venu. Certains cas exigent, comme Edwige Antier l'a souligné lors de l'examen de la proposition de loi de Victorin Lurel, l'intervention de mesures générales d'interdiction. Les endocrinologues émettent l'hypothèse que le bisphénol A présente des effets négatifs pendant des périodes particulières du développement. Certaines populations doivent donc être spécialement protégées : les femmes enceintes et allaitantes, les bébés, les enfants et les adolescents. Car la suppression du bisphénol A dans les biberons ne suffit pas. Il faut aussi viser le foetus à travers la femme enceinte : le placenta ne protège pas l'embryon de l'exposition au bisphénol A, bien au contraire. Ainsi, le professeur Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux I, nous a expliqué que le problème particulier du bisphénol A, ainsi que des phtalates, provenait de leur accumulation dans le liquide amniotique, surexposant le foetus aux autres perturbateurs endocriniens.

Dans son avis du 7 juin 2010, l'AFSSA montrait que les principaux contributeurs à l'exposition des bébés au bisphénol A étaient le lait, en particulier en boîte, pour 39 %, les petits pots pour 25 %, et les fruits en conserves pour 14 %. La contribution des biberons à l'exposition n'est que de 4 %. S'agissant des bébés allaités, le lait maternel constitue également une source importante d'exposition à travers l'alimentation de la mère. Or, les études chez l'animal ont montré que les périodes foetale et postnatale, puis l'enfance, constituent des périodes à risque. Protéger les femmes enceintes et allaitantes implique de protéger l'ensemble de leur alimentation, car la principale source d'exposition de la population est alimentaire. L'ANSES indique que, pour les adultes et les enfants de plus de trois ans, les groupes d'aliments contribuant majoritairement à l'exposition sont les conserves de plats composés, de soupes, de charcuteries ou de légumes.

La loi du 30 juin 2010 suspendant la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A a permis une prise de conscience utile mais insuffisante. Les laits en poudre conditionnés dans des boîtes en métal contiennent eux-mêmes du bisphénol A, de même que le lait maternel.

Il faut donc aborder le problème de façon rationnelle, en prenant en compte le rapport bénéficesrisques du bisphénol A, comme des produits qui pourraient le remplacer.

La suspension du bisphénol A est-elle réaliste et raisonnable ? S'agissant des contenants de denrées alimentaires, nous pensons que oui. Des substituts existent. Nos auditions ont montré que se présentent d'ores et déjà des solutions alternatives, même si elles ne peuvent s'appliquer universellement à tous les contenants. Au Japon, pays très tôt sensibilisé, on constate bien moins de bisphénol A dans les emballages que chez nous.

Il faut, non stigmatiser, mais mobiliser les industriels en leur envoyant un signal. Les solutions de substitution ne sont pas toutes opérationnelles mais la fixation d'un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A devrait leur permettre de réaliser rapidement des substituts dont l'innocuité sera démontrée. Porter le délai à juillet 2013, comme je le proposerai dans un amendement, devrait permettre aux industriels de tester des produits de remplacement, comme aux scientifiques de répondre à l'appel de l'ANSES. Car il ne s'agit évidemment pas de substituer au bisphénol A d'autres substances dangereuses.

Parallèlement, en attendant que le bisphénol A ait disparu de notre alimentation, la sensibilisation au problème pour les femmes enceintes et les jeunes enfants doit passer à la fois par une campagne d'information à destination des femmes enceintes et des jeunes mères, et par un étiquetage des produits. Des plaquettes d'informations, réalisées par le ministère chargé de la santé, doivent être maintenant en circulation, en particulier dans les maternités.

Par ailleurs, je propose que l'on mette en place un étiquetage des récipients et des emballages alimentaires au contact des aliments contenant du bisphénol A, comme l'a déjà recommandé l'ANSES à plusieurs reprises. Il est temps d'agir.

Les rapports de l'ANSES viennent de montrer que les preuves scientifiques étaient suffisantes pour établir le danger, adopter des recommandations et prendre des mesures de précaution.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d'adopter la présente proposition de loi.

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