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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 28 septembre 2011 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel, rapporteur :

Je vous remercie, monsieur le Président, de me donner l'occasion de présenter devant votre commission un texte qui répond à une urgence sociale dans nos régions. Il s'agit d'une disposition législative simple destinée à lutter contre l'obésité, ce fléau que l'Organisation mondiale de la santé n'hésite pas à qualifier d'épidémie, et qui touche avec une acuité particulière la France d'outre-mer. C'est dire que nous traitons aujourd'hui d'un enjeu de santé publique majeur.

Lorsqu'on examine la prévalence et les tendances de l'obésité, on observe des résultats significativement différents entre la France hexagonale et l'outre-mer.

Au niveau national, la prévalence du surpoids et de l'obésité chez les adultes continue de croître et près de 15 % de la population adulte est aujourd'hui considérée comme obèse, c'est-à-dire possède un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. On peut certes se féliciter que, depuis 2000, la prévalence du surpoids et de l'obésité chez les enfants se soit stabilisée entre 2,8 et 3,5 %. Toutefois, une analyse plus fine des statistiques laisse voir que des inégalités territoriales perdurent dont nous ne pouvons nous satisfaire. Les statistiques globales dissimulent, en effet, des écarts géographiques importants entre la partie européenne de la France et l'outre-mer.

Le rapport au Président de la République de décembre 2009 de la Commission pour la prévention et la prise en charge de l'obésité soulignait déjà par exemple, s'agissant de la prévalence du surpoids et de l'obésité chez les enfants, que la situation dans les collectivités d'outre-mer était « une source de préoccupation majeure ». Des données récentes confirment d'ailleurs que l'obésité touche tout particulièrement ces régions.

Analysant les disparités géographiques en matière de prévalence de l'obésité, le rapport précité soulignait ainsi que « la situation dans les collectivités d'outre-mer est plus particulièrement préoccupante chez les femmes, avec des prévalences nettement plus élevées qu'en métropole ».

Plus récemment, à l'initiative de mon ami le docteur André Atallah, cardiologue au centre hospitalier de Basse-Terre et secrétaire de l'association AGRUM (Action du groupe de réflexion ultramarine) qui regroupe des médecins, une enquête dite « PODIUM » (prévalence de l'obésité, de sa diversité et de son image ultramarine) a été menée pour obtenir des données sur le surpoids et l'obésité dans les départements et collectivités d'outre-mer.

Cette enquête, dont vous trouverez tous les résultats dans les documents qui vous ont été distribués, montre sans conteste que l'obésité et le surpoids demeurent, tant chez l'adulte que chez l'enfant, à des niveaux significativement plus élevés dans les collectivités ultramarines qu'en France hexagonale.

Cette situation spécifique de l'outre-mer est d'autant plus préoccupante que l'obésité favorise nombre de pathologies associées : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires et respiratoires, atteintes articulaires sources de handicaps.

Certes, l'obésité est une maladie complexe dont on ne connaît pas encore bien tous les mécanismes. C'est, en effet, un phénomène multifactoriel qui découle bien souvent de l'interaction d'un grand nombre de déterminants individuels et environnementaux. Il n'est donc pas exclu que des facteurs culturels – qui régissent les habitudes de vie comme celles relatives à l'alimentation ou à l'activité physique –, sociaux ou économiques expliquent en partie les différences territoriales enregistrées entre les régions d'outre-mer et l'Hexagone.

Toutefois, la responsabilité des groupes industriels de l'agro-alimentaire dans la progression de l'obésité outre-mer ne doit pas pour autant être négligée.

En premier lieu, plusieurs produits de consommation courante distribués outre-mer, tout spécialement des yaourts ou spécialités laitières et des sodas, ont une concentration en sucres supérieure à celle des mêmes produits de même marque vendus en France hexagonale.

Lorsqu'on les interroge sur cette bizarrerie, les groupes nationaux concernés font valoir que le conditionnement et la commercialisation outre-mer de leurs produits sont le plus souvent sous-traités à des groupes agro-alimentaires locaux. De ce fait, les groupes nationaux ne s'estiment pas responsables des différences de teneur en sucres. Ils mettent aussi parfois en avant des différences minimes de présentation ou de conditionnement pour indiquer que les produits ne sont pas identiques.

Principalement, ils expliquent les différences de teneur en glucides par des différences de process de fabrication, l'absence de lait frais en outre-mer obligeant à recourir à des poudres de lait plus riches en lactose. Selon eux, la teneur globale en glucides recouvre à la fois les sucres ajoutés et ce lactose, qui n'a pas de goût sucré. Plus de la moitié des écarts constatés proviendrait du lactose, dont ils soulignent le caractère moins gras, qui se transforme ensuite en acide lactique et qu'il conviendrait donc, selon eux, de défalquer de la teneur totale en sucres.

De façon indirecte, les industriels laissent également entendre que les consommateurs d'outre-mer préfèrent les produits les plus sucrés. Selon eux, une réduction de la teneur en sucres des produits manufacturés localement par leurs franchisés bénéficierait avant tout à leurs concurrents. Il n'existe pourtant aucun argument scientifique pour étayer l'existence, chez les populations de l'outre-mer, d'un goût particulier pour les aliments riches en sucres.

En second lieu, certaines boissons comme les sodas locaux, distribuées quasi exclusivement outre-mer, contiennent un taux de sucres très élevé. Ces pratiques sont d'autant plus critiquables que le consommateur n'en est le plus souvent pas informé, l'étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires étant, à ce jour, facultatif en Europe et donc en France.

Or, il est désormais bien établi qu'une consommation excessive de sucres est un des facteurs qui favorisent l'obésité. L'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, indique ainsi sur son site Internet que « les effets délétères des glucides ont pu être établis avec certitude vis-à-vis du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents, dans les pays industrialisés. D'après des études menées en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, une consommation excessive de glucides, et en particulier de glucides simples ajoutés, notamment sous forme de boissons (jus de fruits, sodas, etc.), serait responsable du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents ».

Pourtant, la nécessité d'une politique de santé publique spécifique à l'outre-mer en matière d'obésité commence à peine à être prise en compte. Ainsi, le plan national obésité 2011-2013, rappelant que les problématiques en matière de nutrition et de pathologies liées sont différentes de celles de l'Hexagone et que l'obésité est plus fréquente dans les départements d'outre-mer, particulièrement chez les femmes, souligne, dans sa mesure 1-8, la nécessité de mener dans ces territoires une politique préventive renforcée et adaptée. Pour autant, le plan se contente trop souvent de recommandations et d'appels à de bonnes pratiques commerciales.

Lors des échanges que j'ai eus avec les principaux acteurs de l'industrie agro-alimentaire outre-mer, ceux-ci se sont montrés plus que réservés sur la nécessité de recourir à la loi pour régler ce problème de santé publique et ont souligné que des partenariats intelligents pouvaient se nouer entre santé et industrie agro-alimentaire. Au cours de son déplacement à Fort-de-France en juillet 2011, M. Xavier Bertrand a également affirmé vouloir privilégier la voie de la concertation pour régler ce problème spécifique à l'outre-mer. Il a annoncé qu'il allait mandater les directeurs des agences régionales de santé ultramarines en vue d'engager, dès la rentrée, des discussions avec les fabricants et d'envisager les moyens de diminuer rapidement la teneur en sucres des produits alimentaires transformés.

Ces discussions demeurent néanmoins encore à un stade très peu avancé, alors que l'urgence du problème commanderait des solutions rapides.

Le projet du Gouvernement d'instaurer, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, une taxation des boissons sucrées illustre d'ailleurs, si besoin en était, que la lutte contre l'abus de sucres fait partie intégrante d'une politique de santé publique, laquelle doit trouver une traduction législative pour s'imposer à tous.

La lutte contre le fléau de l'obésité, et spécialement l'obésité de l'enfant, implique donc de mettre en place dans les meilleurs délais un dispositif juridique volontariste et réellement contraignant pour l'industrie alimentaire, de façon à protéger les consommateurs contre certaines pratiques industrielles aussi dangereuses que dénuées de justification.

La proposition de loi que j'ai déposée vise à mieux lutter contre l'obésité et ses pathologies associées dans les régions ultramarines à travers un dispositif simple.

L'article 1er interdit aux industriels de l'agro-alimentaire de distribuer dans les régions d'outre-mer des denrées alimentaires dont la concentration en sucres est supérieure à celle des mêmes produits de même marque vendus dans l'Hexagone. C'est une mesure nécessaire afin de rétablir une égalité de traitement entre les populations d'outre-mer et hexagonales.

L'article 2 a pour objet de confier au ministre chargé de la santé la mission de fixer par arrêté, après avis du Haut Conseil de la santé publique, la teneur maximale en sucres des boissons non alcooliques et des spécialités laitières distribuées exclusivement dans les régions d'outre-mer.

Cette proposition de loi a été saluée par les médecins locaux de Guadeloupe et par des associations de consommateurs. Elle ne constitue bien sûr que le socle minimal de la politique plus vaste de lutte contre l'obésité qui doit impérativement se développer dans les collectivités ultramarines.

En effet, il est clair que la prévention du surpoids, de l'obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires en outre-mer ne repose pas seulement sur la réduction des apports en glucides simples ajoutés, mais passe aussi par l'approfondissement d'autres axes de prévention, comme par exemple la pratique d'une activité physique ou une alimentation plus variée et équilibrée.

Pleinement conscient que la prévention nutritionnelle est devenue un enjeu économique et de santé crucial pour l'outre-mer, j'ai, dans cet esprit, pris l'initiative d'organiser en Guadeloupe, au mois de novembre prochain, un congrès des élus régionaux et généraux qui réunira l'ensemble des parties intéressées. Par ailleurs, j'ai commencé à installer, dans toutes les communes, des parcours sportifs destinés à faire « bouger » la population de l'île…

Ce n'est, en effet, qu'en développant une prévention multifactorielle et en sollicitant à la fois l'État, dans sa dimension interministérielle, les collectivités territoriales, le secteur associatif et les professionnels de l'alimentation, c'est-à-dire divers partenaires au-delà du monde de la santé, que l'on parviendra à éradiquer l'épidémie d'obésité préoccupante qui touche encore tout spécialement les collectivités ultramarines.

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