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Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 28 septembre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, rapporteur :

Au mois de juin dernier, la France devenait le premier pays au monde à interdire l'usage de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures.

La loi du 13 juillet 2011, que les groupes SRC et GDR ont refusé de voter, était censée répondre à toutes les inquiétudes ressenties par nos concitoyens et par leurs élus après la découverte de la délivrance de permis exclusifs de recherches visant en particulier le gaz et l'huile de schiste, et des conséquences néfastes des techniques envisagées.

C'est le groupe SRC qui, le premier, s'est saisi de ce dossier en déposant une proposition de loi dans sa « niche » parlementaire du 12 mai 2011, contraignant ainsi le Gouvernement à accepter de débattre d'un sujet dont chacun reconnaît qu'il n'est pas mineur, puisqu'il peut devenir un marqueur de notre stratégie énergétique.

Nous nous sommes opposés à la loi du 13 juillet 2011 car elle nous semble incomplète et se limite à l'interdiction formelle de la fracturation hydraulique – en omettant de définir celle-ci – sans abroger les permis d'exploration accordés. Ce texte, comme nous n'avions pas manqué de le déplorer, pourra être sans difficulté contourné par les industriels. L'analyse qu'en fait Arnaud Gossement est à cet égard riche d'enseignements : il parle d'une procédure dont « la portée est aussi complexe que le sens », ajoutant : « Il s'agit d'une abrogation par la loi d'un acte administratif, différée de deux mois et conditionnée à l'intervention… du bénéficiaire du permis lui-même. En somme, l'avenir des permis exclusifs de recherche dépend de leurs bénéficiaires. »

D'ailleurs, les faits nous donnent raison : il suffit de lire la presse pour apprendre que les industriels titulaires des permis ont l'intention de les conserver et de poursuivre leurs activités de recherche de gaz et d'huile de schiste sur le territoire français. Le groupe Total indique ainsi avoir déposé, auprès de l'administration française, un rapport « motivé par la volonté […] de préserver les droits à l'exploration d'un domaine minier, droits qui lui ont été attribués en mars 2010 pour une durée de cinq ans ». De son côté, le groupe Toreador déclare que « [son] plan pour évaluer [ses] permis d'exploration ne fait pas appel à la fracturation hydraulique ».

Sachant que tous les détenteurs de permis ont déposé dans les délais, c'est-à-dire avant le 13 septembre dernier, le rapport qui leur était demandé par l'article 3 de la loi du 13 juillet 2011, on peut penser qu'aucun d'eux ne renoncera aux droits de prospection sur le sol français qui leur ont été attribués pour des durées de trois à cinq ans renouvelables deux fois, et qui, compte tenu du droit de suite, débouchent presque automatiquement sur des concessions d'exploitation.

La loi du 13 juillet 2011 ne satisfait ni les parlementaires de l'opposition, ni les élus et les citoyens qui se sont mobilisés depuis des mois, poursuivant leur combat contre des projets qu'ils rejettent et contre une énergie qu'ils condamnent.

Aujourd'hui, les députés du groupe SRC et leurs collègues des Verts sont convaincus qu'ils doivent continuer de porter la voix de ceux qui considèrent que toute exploration de ces nouvelles énergies fossiles, lourde de conséquences pour l'environnement – et ce quelle que soit la technique utilisée –, compromettrait gravement la transition énergétique et le respect des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par la France. C'est pourquoi ils souhaitent abroger la loi du 13 juillet 2011 au profit du présent texte, dont l'inspiration est identique à celle de leur première proposition de loi.

Au-delà des emblématiques hydrocarbures de schiste, ce sont l'exploration et l'exploitation de l'ensemble des hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels qui focalisent l'attention. Les techniques de fracturation, de fissuration et d'explosion de la roche mère et des réservoirs meurtrissent la terre et portent atteinte à l'intégrité des roches. En mer, l'épuisement progressif des gisements offshore classiques a conduit les industriels à s'éloigner de plus en plus des côtes pour implanter des plateformes ou des unités mobiles de forage au large, en eaux profondes.

Devons-nous, avec Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, Mme Marie-Luce Penchard et M. Éric Besson, nous réjouir de la découverte, par la société Tullow Oil, le 9 septembre 2011, d'hydrocarbures sur le permis de Guyane maritime, à 150 kilomètres des côtes et à une profondeur de 5 700 mètres, dont 2 000 mètres pour la colonne d'eau ? Devons-nous rappeler l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon le 20 avril 2010 sur le gisement de Macondo, dans le golfe du Mexique, explosion qui fit onze victimes, provoqua le déversement dans l'océan de l'équivalent de presque cinq millions de barils de pétrole et la pollution de 350 à 450 kilomètres de côtes américaines ?

Il convient de dénoncer cette fuite en avant qui consiste à faire croire que notre avenir passe par l'exploitation, jusqu'à épuisement, des diverses énergies fossiles, exploitation qui, nous le savons, sera toujours plus difficile et plus coûteuse, tant sur le plan financier que sur le plan environnemental. Il incombe donc aux responsables politiques de guider notre pays vers une énergie plus propre, plus durable et plus respectueuse de notre environnement.

Au lieu de se réjouir de la découverte de nouvelles sources d'énergie fossile, engageons-nous dès maintenant dans la transition énergétique ! La politique énergétique de notre pays a trop longtemps été abandonnée aux mains des seuls ingénieurs du corps des mines : le monde politique, les parlementaires et les citoyens doivent se la réapproprier. Cela passe, bien sûr, par l'organisation d'un débat national sur l'énergie, mais aussi par des actes législatifs, comme celui que nous vous proposons aujourd'hui.

Pour nous, la transition énergétique est plus qu'un slogan : elle est une exigence environnementale, sociale et économique. Environnementale d'abord, car il nous faut absolument nous engager dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour la protection de l'environnement sous toutes ses dimensions : intégrité des paysages, biodiversité ou préservation de la ressource en eau. Elle est aussi sociale, car les modes de vie doivent s'adapter aux exigences environnementales, et il nous appartient de répondre à une demande sociétale de plus en plus manifeste. Elle est enfin économique, car retarder l'évolution vers des sources d'énergies alternatives aux hydrocarbures fait peser le risque d'une crise majeure.

Face à l'épuisement annoncé des ressources en hydrocarbures et à la hausse de leur coût, la tentation est grande d'investir massivement dans de nouveaux gisements, dont l'exploitation a été rendue possible et rentable grâce aux avancées technologiques. Or l'exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels comporte des risques importants pour l'environnement et va à l'encontre de nos engagements nationaux et internationaux en matière de lutte contre le changement climatique. C'est pourquoi nous proposons d'interdire l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le territoire national, et d'abroger les permis exclusifs de recherches déjà accordés.

Nous ne pourrons relever le défi de la transition énergétique sans une réforme d'ampleur de notre législation minière et une adhésion complète des citoyens à un projet commun. La forte mobilisation citoyenne qui a suivi la découverte de l'existence des permis exclusifs de recherches relatifs au gaz et à l'huile de schiste a révélé l'obsolescence du code minier. Les procédures de délivrance de ces permis et d'octroi des concessions minières sont opaques : elles ne permettent pas une information des citoyens et des élus locaux, qui ont de ce fait découvert l'existence de ces permis dans la presse. Hormis les industriels et quelques fonctionnaires de la direction générale de l'énergie et du climat, personne ne semblait au courant – pas même M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État en charge de l'environnement, qui reconnut n'avoir pas eu connaissance de la signature des permis et n'avoir reçu qu'une note succincte de présentation des hydrocarbures de schiste.

Il nous paraît donc indispensable et urgent, s'agissant de la délivrance des titres miniers, d'associer les citoyens et les élus à travers une procédure de consultation du public, et de renforcer les procédures de contrôle et d'évaluation.

Cette proposition de loi comporte cinq articles. Le premier pose une interdiction générale d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le territoire national. Il va ainsi plus loin que la loi du 13 juillet 2011, qui proscrivait le seul recours à une technique, à savoir la fracturation hydraulique. Cette interdiction se fonde sur les principes définis par la Charte de l'environnement – droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement et principe de précaution – et sur le principe d'action préventive et de correction défini par le code de l'environnement.

Cet article vise également, dans son second paragraphe, à définir la notion d'hydrocarbures « non conventionnels », et ce afin de remédier aux lacunes du code minier. Pour être qualifié de « non conventionnel », un gisement d'hydrocarbures doit nécessairement remplir deux conditions cumulatives : être particulièrement difficile d'accès – réservoir d'une perméabilité inférieure à 1 millidarcy, gisement en mer situé à plus de 300 mètres de profondeur d'eau –, et la technique utilisée doit requérir des moyens d'extraction complexes : pour l'exploitation à terre, fracturation ou fissuration de la roche par la désormais bien connue fracturation hydraulique ou par d'autres techniques similaires – fracturation pneumatique, fracturation à base de propane gélifié ou arcs électriques – ; pour l'exploitation en mer, plateformes mobiles et unités mobiles de forage au large pour l'offshore profond et ultra-profond, ancrées au fond de l'eau ou maintenues en position grâce à des systèmes de positionnement dynamique, comme le GPS ou Galileo.

L'article 2 tire les conséquences de l'interdiction posée à l'article 1er et procède à l'abrogation des permis exclusifs de recherches dont l'objet est l'exploration d'hydrocarbures liquides ou gazeux de caractère non conventionnel. L'abrogation signifiant que l'acte administratif n'est plus en vigueur et ne le sera plus à l'avenir, il s'agit donc simplement de priver d'effet les permis accordés.

Les articles 3, 4 et 5 complètent le code de l'environnement afin d'adapter la législation minière à nos engagements nationaux – Charte de l'environnement –, internationaux – Convention d'Aarhus – et à l'évolution de la société, le code minier étant devenu obsolète. L'article 3 conditionne la délivrance d'un permis exclusif de recherches et l'octroi d'une concession minière à la participation du public, soit par la publication de la décision et le recueil des observations du public, soit par la saisine d'un organe consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées, soit par l'organisation d'un débat public sous l'autorité de la Commission nationale du débat public.

L'article 4 subordonne la délivrance d'un permis exclusif de recherches et l'octroi d'une concession minière à la réalisation d'une étude d'impact.

L'article 5 subordonne la délivrance d'un permis exclusif de recherches à la réalisation d'une enquête publique dont les modalités ont été définies par le Grenelle 2 : il s'agit de rétablir une procédure supprimée en 1994, mais qui est requise préalablement à l'octroi d'une concession minière.

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