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Intervention de Patrick Beaudouin

Réunion du 27 septembre 2011 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Beaudouin, rapporteur pour avis :

La proposition de loi d'Éric Ciotti ne crée pas, contrairement à ce que l'on a pu lire ou entendre, un encadrement militaire d'un nouveau type pour les mineurs délinquants mais s'appuie au contraire sur ce qui existe, à savoir le dispositif « Défense deuxième chance ».

Créé en août 2005, ce dernier a pour objectif d'insérer durablement dans la société les jeunes de 16 à 25 ans en situation d'échec scolaire et professionnel et en voie de marginalisation. Inspiré du service militaire adapté (SMA), il propose aux jeunes, qui effectuent une démarche volontaire, une formation civique et comportementale, une remise à niveau scolaire et une préformation professionnelle.

Il est mis en oeuvre par l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe), placé sous la triple tutelle des ministères de la défense, de l'emploi et de la ville. Vingt centres EPIDe, pour une capacité d'accueil de 2 250 places, sont aujourd'hui ouverts.

Il s'agit d'établissements civils dont le personnel d'encadrement est composé pour moitié d'enseignants et pour moitié d'anciens militaires, chargés plus particulièrement de la formation comportementale et civique.

Le ministère de la défense, hormis les bâtiments ou le matériel mis à disposition dans de nombreux centres, ne participe pas directement au fonctionnement de l'EPIDe. Le financement de celui-ci est assuré par le ministère de l'emploi, pour près de 50 millions d'euros, le ministère de la ville, pour 25 millions, et par le Fonds social européen (FSE), pour 10 millions.

Si la défense n'est pas contributeur direct, c'est néanmoins ce label « défense » qui fait le succès du dispositif, dont le fonctionnement est clairement d'inspiration militaire : régime de l'internat, levée des couleurs, port d'un uniforme, esprit de groupe et de cohésion. La défense apporte son savoir-faire en matière de respect de soi et d'apprentissage des règles de la vie en communauté. Mais il ne s'agit en aucun cas de demander aux militaires d'active de jouer les sergents-chefs « garde-chiourmes ». C'est une précision importante car cette image, très éloignée de la réalité, porte préjudice à notre armée. Professionnelle et bien équipée, celle-ci doit être capable de recruter près de 20 000 jeunes par an et montrer, selon les mots du ministre, qu'elle est « l'amie des jeunes » dans tous les quartiers de notre nation.

Après un peu plus de cinq ans, on peut dresser un bilan positif du fonctionnement des centres EPIDe : on enregistre, auprès des 2 258 volontaires passés par eux, un taux de sortie positive de 49 %, qui s'élève à 80 % pour ceux qui font l'intégralité du parcours. Cela signifie que près de la moitié des jeunes sont entrés dans la vie active avec un contrat de travail durable ou ont entrepris une formation qualifiante supplémentaire. La durée moyenne des séjours enEPIDe est d'un an mais peut être portée à deux. Le nombre de départs de volontaires avant la fin de leur contrat n'a cessé de baisser depuis la création du dispositif, pour se situer autour de 20 % aujourd'hui. Le coût par jeune a également diminué sensiblement, témoignant d'un effort de gestion conséquent de la part de l'établissement : il se situe aujourd'hui autour de 32 000 euros par jeune et par an, soit moins de 100 euros par jour, à comparer aux 325 euros des centres pénitentiaires pour mineurs et aux 625 euros des centres éducatifs fermés.

C'est dans ces centres EPIDe que la proposition de loi veut faire effectuer aux mineurs délinquants un service citoyen. J'en reparlerai tout à l'heure mais ces termes de « service citoyen » risquant de créer une confusion avec le service civique, je proposerai à la place l'appellation de « contrat d'éducation citoyenne ».

La proposition de loi prévoit trois cas de séjour en EPIDe.

En premier lieu, l'article 1er instaure l'exécution de ce service citoyen dans le cadre d'une mesure de composition pénale. Cette dernière est une procédure permettant au procureur de la République de proposer au mineur qui a commis un délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans d'exécuter certaines mesures – paiement d'une amende mais aussi accomplissement d'un travail au profit de la collectivité, stage ou formation dans un organisme sanitaire ou social, ou bien activités d'insertion professionnelle ou de mise à niveau scolaire. Si le mineur accepte, après validation du juge des enfants, l'exécution de cette mesure de composition pénale a pour effet d'éteindre l'action publique.

En deuxième lieu, l'article 2 prévoit l'accomplissement du service dans le cadre d'un ajournement de peine. Une juridiction pénale pour mineurs peut en effet, après avoir constaté qu'un jeune était coupable d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés, ajourner la peine pour une durée maximale de six mois. Cet ajournement peut être décidé si le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, le dommage causé sur le point d'être réparé et le trouble résultant de l'infraction en passe de cesser. Je signale au passage que l'ordonnance du 2 février 1945, prévoit également deux autres cas spécifiques pour les mineurs, dans lesquels il est possible pour la juridiction de jugement de recourir à l'ajournement : soit parce que les perspectives d'évolution de la personnalité du mineur le justifient, soit parce que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur sont nécessaires.

Enfin, l'article 3 permet l'exécution du service citoyen dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve. Actuellement, les juridictions pour mineurs peuvent imposer à ceux-ci un placement dans certains types de foyer ou le placement dans un centre éducatif fermé.

Comme pour toutes les obligations d'une mise à l'épreuve, le non-respect de l'obligation d'accomplir le contrat de service pourra entraîner la révocation du sursis et l'exécution d'une peine d'emprisonnement.

En résumé, la proposition de loi ajoute au catalogue de mesures proposées dans le cadre d'une composition pénale, d'un ajournement de peine ou d'un sursis avec mise à l'épreuve, une nouvelle possibilité : le séjour en EPIDe. Les procédures existantes – présence de l'avocat, rôle de la protection judiciaire de la jeunesse – ne sont en rien modifiées.

Le public concerné par ce type de mesure est constitué principalement de primo-délinquants, les multirécidivistes et les mineurs ayant commis des délits plus graves ayant vocation à effectuer des séjours en centre éducatif fermé. C'est pourquoi je proposerai un amendement visant à élargir le dispositif à une quatrième catégorie : les mineurs bénéficiant de mesures alternatives aux poursuites, c'est-à-dire ceux qui font aujourd'hui l'objet d'un rappel à la loi ou d'un avertissement.

Les modalités d'exécution du contrat sont précisées par l'article 4 de la proposition de loi. Elles sont presque identiques à celles qui s'appliquent aux volontaires actuellement accueillis dans les centres EPIDe : régime de l'internat, allocation mensuelle de 210 euros et prime de 90 euros, capitalisée et remise en fin de parcours.

Cette proposition prouve d'abord la reconnaissance du savoir-faire de l'EPIDe en matière d'encadrement des jeunes en voie de marginalisation sociale. On peut se réjouir du succès croissant de ses centres et qu'une nouvelle mission leur soit ainsi confiée. L'EPIDe se prépare actuellement, avec les ministères concernés, à l'accueil de nouvelles sections de mineurs volontaires, de 16 à 18 ans, parmi lesquels pourront être placés ces mineurs délinquants, dont le profil n'est pas très éloigné des volontaires qu'il accueille déjà. Je suis persuadé qu'il sera au rendez-vous fixé par le législateur.

Il nous faudra néanmoins être vigilants sur l'application de ce nouveau dispositif afin de ne pas mettre en péril le fonctionnement mais aussi la philosophie même de l'EPIDe.

L'objet de la proposition de loi n'est pas de créer un nouveau type de centre fermé réservé aux mineurs délinquants. Le succès des centres EPIDe tient à l'amalgame réussi entre des jeunes aux origines et aux parcours très divers qui entreprennent une démarche volontaire d'insertion ; ils n'ont pas vocation à se transformer en « centres éducatifs fermés bis ».

Les mineurs délinquants devront donc trouver leur place aux côtés de ceux qui ont effectué une démarche volontaire. C'est pourquoi je pense qu'il faudra veiller à ce qu'ils restent numériquement minoritaires au sein des centres qui les accueilleront, le but étant qu'ils soient tirés vers le haut. L'expérience montre que la présence de volontaires de 20 à 22 ans canalise les plus jeunes : c'est précisément ce qu'il faut préserver.

L'EPIDe et les ministères concernés réfléchissent aux modalités pratiques de l'intégration des mineurs délinquants. Je serais favorable à ce qu'on prévoit, dans certains cas, une coupure plus prononcée avec leur environnement d'origine en plaçant, par une mesure d'éloignement, le mineur dans un centre éloigné de son domicile, ou en l'empêchant, pendant les premières semaines, de rejoindre celui-ci en fin de semaine, contrairement à ce que font les autres pensionnaires. Cela permettrait au jeune de rompre plus rapidement et plus sûrement avec son comportement habituel.

Le fonctionnement de l'EPIDe ne doit pas non plus être mis en cause par l'accueil de mineurs délinquants. Le coût de l'encadrement d'un mineur, estimé à environ 50 000 euros, sera naturellement supérieur au coût moyen actuellement constaté. Le nombre de jeunes potentiellement concernés – environ 8 000 mineurs ont fait l'objet, en 2010, de mesures de composition pénale, d'ajournement de peine ou de sursis avec mise à l'épreuve – excède largement les capacités d'accueil des centres, qui disposent d'un peu plus de 2 000 places. Si tous n'ont naturellement pas vocation à effectuer un séjour dans l'un d'eux – de nombreuses mesures alternatives existant –, le financement de cette mesure supposera néanmoins un effort accru des ministères concernés – ceux chargés de la ville, de l'emploi et de la défense et nécessitera une contribution supplémentaire de la part du ministère de la justice, voire de celui de l'éducation nationale.

Pour 2012, le Gouvernement prévoit la création de 160 places pour les mineurs délinquants pour un montant de 8 millions d'euros, répartis entre ces ministères. Cette contribution supplémentaire, qui viendrait s'ajouter au budget actuel de l'EPIDe, devrait permettre d'éviter de créer un effet d'éviction, conduisant à ce que les mineurs délinquants prennent la place des volontaires, alors que l'établissement ne peut déjà pas répondre à toutes les demandes. Une sur trois en effet est acceptée.

Le succès du texte dépendra donc en grande partie de la qualité du dialogue qui s'instaurera entre les magistrats, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et l'EPIDe. Même s'ils n'accomplissent pas une démarche volontaire, les mineurs délinquants devront donner leur accord et signer un contrat qui les engage auprès de l'établissement. Cette nécessaire adhésion aux objectifs et mode de fonctionnement de celui-ci fait son originalité et son succès. C'est précisément ce qu'il faut préserver.

En conclusion, j'émettrai un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi, sous réserve des amendements que je vais vous présenter visant à rebaptiser le contrat proposé et à modifier l'intitulé de la proposition de loi.

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