J'ai dit que ce qu'ils avaient affirmé était faux.
Je peux vous donner un autre exemple, qui concerne les contrôles d'alcoolémie. Il a été dit que les 13 millions de contrôles d'alcoolémie qui avaient été effectués à une certaine époque avaient permis de diminuer de façon importante la mortalité liée à l'alcool, mais que cet effort n'avait pas été poursuivi, ce qui s'était traduit par une aggravation de la situation. Or c'est totalement faux. Il n'y a pas eu d'effondrement des contrôles d'alcoolémie en 2005-2006, comme en témoignent les chiffres des policiers et des gendarmes, qui ont été repris par le ministère de l'intérieur.
En revanche, à un moment donné, du fait de la méconnaissance technique des problèmes, l'association « 40 millions d'automobilistes » a commis un erreur majeure en écrivant : « Des chiffres encourageants, des interprétations non concordantes : en ce qui concerne la lutte contre l'alcoolémie, les chiffres officiels sont les suivants : 2005 : 28,8 % des tués sont dus à l'alcool (rapport ENISR, page 153), soit 1 532 victimes ; 2006 : la sécurité routière annonce 21,1 % des tués dus à l'alcool, soit 992 victimes. L'écart de 540 des victimes de la route dues à l'alcool entre 2005 et 2006 représente 88 % du gain total des 615 vies sauvées en 2006 ». Il était donc fait état, dans ce communiqué, de l'énorme succès remporté en 2006 dans la lutte contre l'alcoolémie au volant. Devant de tels chiffres, qui étaient ceux du rapport provisoire de 2006, je me suis adressé au responsable de l'Observatoire interministériel de l'époque, qui confirma ce que je pensais : les chiffres étaient faux. Le malentendu était dû à une erreur de gestion informatique des résultats collectés à partir des bulletins d'analyse d'accidents corporels. Ces résultats provisoires ont été immédiatement corrigés, publiés dans des communiqués, confortés dans le résultat définitif. Pourtant, cinq ans plus tard, on vous « ressort » les mêmes chiffres erronés.
J'ai oublié précédemment de vous préciser que l'équation de Nilsson n'était pas applicable sur autoroute. Selon vos interlocuteurs, la diminution du nombre de morts y aurait été beaucoup plus importante que ce qu'aurait pu laisser prévoir la diminution de la vitesse moyenne. Mais c'est simplement parce qu'ils avaient pris comme référence non pas les autoroutes de liaison où la vitesse peut s'exprimer, mais les autoroutes de dégagement, qui sont encombrées et où, bien entendu, la notion de circulation à vitesse libre n'existe pas. C'est la densité de circulation qui fixe la vitesse et on ne peut pas appliquer l'équation de Nilsson dans ce contexte-là.
De la même façon, M. de Caumont a repris devant vous l'argument des autoroutes allemandes. Mais il répète sans cesse les mêmes mensonges, avec une mauvaise foi absolue, car il sait parfaitement que ce qu'il dit est inexact. Il a oublié de vous préciser que les Allemands refusent de communiquer séparément les chiffres des kilomètres parcourus sur le réseau non limité et sur le réseau limité. Une étude comparative, que s'apprêtaient à faire les ingénieurs allemands et français, a même été bloquée au dernier moment par un ukase fédéral ! Il ne vous dit pas non plus qu'un an après que la vitesse a été limitée sur l'autoroute Berlin-Hambourg, la mortalité y a baissé de moitié.
La vitesse est un facteur commun à tous les accidents. Et remarquez que je parle ici de vitesse, et non d'excès de vitesse. Certes, les véhicules qui ne se déplacent pas n'ont pas d'accidents… Quoi qu'il en soit, avant même que je m'intéresse à l'accidentologie, certains chercheurs, comme Bolin en Suède ou Solomon aux États-Unis, ont montré que lorsque la vitesse augmente, l'accidentalité augmente plus que la proportion linéaire.
Que peut-on faire actuellement, devant la stagnation de la mortalité ?
Les troubles de l'attention sont des facteurs d'accidents. Seulement, nous n'avons pas de moyens commodes pour agir sur eux. On ne peut pas les pénaliser ! Les constructeurs ont fait des essais assez élaborés, pour étudier, par exemple, le mouvement des yeux afin de repérer si les conducteurs s'endormaient. Mais ces essais n'ont abouti qu'à quelques applications pratiques, qui n'ont jamais été généralisées. Les sociétés d'autoroutes ont consacré cette année une campagne sur le sujet. Malheureusement, si les accidents liés à un trouble de la vigilance sont nombreux, leur proportion ne bouge pas : il y a dix ans, 32 à 38 % des accidents mortels sur autoroute s'expliquaient déjà de cette façon. Et pourtant, la vitesse a diminué sur les autoroutes et, en nombre absolu, le nombre de morts a été divisé à peu près par deux.
Avec l'alcool, le phénomène est exactement le même. Avant les réformes de 2002, quand on dénombrait 8 000 tués par an sur les routes, 30 % des accidents mortels étaient liés à l'alcool. Maintenant, il n'y a plus que 4 000 tués par an sur les routes, mais le pourcentage des accidents mortels liés à l'alcool n'a pas baissé pour autant. Et si l'on se réfère aux contrôles préventifs d'alcoolémie effectués par les policiers et les gendarmes, le nombre de gens qui conduisent sous l'influence de l'alcool n'a pas chuté. Seulement, comme les autres conducteurs et eux-mêmes ont ralenti, ils se tuent moins. Ainsi, la division par deux du nombre d'accidents mortels liés à l'alcool n'est pas due à la modification de la conduite sous l'influence de l'alcool, mais à la modification de la vitesse.
Voilà pourquoi il me semble pouvoir affirmer que seule la réduction de la vitesse a fait la preuve de son efficacité. Je reconnais que la ceinture, dont le port a été rendu obligatoire à l'été 1973, réduit par 2 ou 3 le risque de trouver la mort en voiture. Plus généralement, tous les progrès qui ont été faits sur les véhicules – airbags, coque résistante qui ne s'écrase pas, avant déformable, etc. – ont contribué à réduire les risques. L'efficacité de ces équipements est d'autant plus grande que la vitesse diminue. On peut parler d'un système où tous les éléments se combinent, mais où la vitesse reste le facteur commun.
Maintenant, qu'est-ce qu'un conseiller technique qui s'intéresse au fonctionnement politique pourrait proposer à un décideur qui voudrait relancer la politique de sécurité routière ?
Selon moi, il faut se pencher de nouveau sur la question de la réduction des vitesses de circulation. On a de nombreuses raisons de le faire : l'équilibre de la balance des paiements, la réduction de la consommation, la sécurité routière.
S'agissant de la sécurité routière, je vous suggèrerais trois méthodes.
La première s'apparenterait à celle adoptée en 1972 : diminuer les vitesses de circulation – par exemple 80 kmh sur route, 110 ou 120 kmh sur autoroute. Et la courbe de la mortalité redescendrait.
La deuxième méthode serait la plus conflictuelle, comme on peut l'imaginer après le débat sur la LOPPSI 2. Elle consisterait à augmenter le poids et l'efficacité du système de contrôle-sanction, en prenant trois mesures.
Premièrement, développer – c'est en cours – les fameux radars « mobiles mobiles », pour que les conducteurs se disent qu'ils peuvent être contrôlés n'importe où.
Deuxièmement, interdire les avertisseurs de radars. Les conducteurs ne doivent pas pouvoir compter sur le système Coyote ou sur tout autre système pour les prévenir qu'un radar déplaçable opère à tel ou tel endroit. Pour cela, une loi est nécessaire. Je ne crois pas un seul instant au protocole qui a été signé avec l'Association française des fournisseurs et utilisateurs des technologies d'aide à la conduite (AFFTAC). L'efficacité de ce protocole sera nulle, parce que tous ceux qui le souhaitent pourront continuer à signaler aux autres conducteurs les radars et les contrôles de police. Il faut être d'une naïveté incroyable pour passer un accord avec ceux qui travaillent et gagnent de l'argent à empêcher les policiers et les gendarmes de faire leur travail, et d'exercer la dissuasion par les contrôles…