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Intervention de Christian Bataille

Réunion du 9 novembre 2007 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2008 — Écologie développement et aménagement durables

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame et monsieur les secrétaires d'État, peut-on encore parler de politique publique de l'énergie ? Quelque peu encore en France, grâce à EDF et à la part restée publique de Gaz de France, mais presque plus en Europe, où la politique fondée sur le marché et la concurrence veut s'imposer partout jusqu'à l'absurde, avec les perspectives désastreuses que je vais m'efforcer de vous démontrer.

Le prix de l'or noir monte, comme par un effet de crémaillère. Le calme géopolitique ne fait que le stabiliser un temps, mais toute annonce de tension internationale lui fait franchir un nouveau palier : 40 dollars début 2004, 80 dollars début octobre, presque 100 dollars aujourd'hui. Il entraîne dans son sillage le prix du gaz naturel et, ce faisant, le prix de l'électricité, puisque les centrales à gaz fournissent la production d'appoint marginale sur le marché de l'électricité !

Une denrée au prix si insaisissable ne peut pas être raisonnablement traitée comme un bien s'échangeant à l'étalage d'un commerce paisible, se régulant grâce à une meilleure fluidité dans la confrontation de l'offre et de la demande. Il y a manifestement des forces extérieures au marché qui interviennent pour créer des évolutions de prix aussi irrésistiblement erratiques.

Pourtant, la Commission européenne n'a qu'une stratégie en matière d'énergie : la concurrence. Foin de la réalité, seule compte le dogme : « Le libre marché converge vers l'équilibre, et les anticipations spéculatives sont stabilisatrices ! » Au nom de la concurrence, pour qu'elle soit pure et parfaite, il faut découper les entreprises européennes : les fusions sont surveillées, voire interdites ; les activités de transport doivent être filialisées ; et, maintenant, il faudrait même que ces filiales soient cédées !

Il y a dans cette approche un vice fondamental : ce qui est bon pour un marché intérieur, où se confrontent des acteurs respectant les règles du jeu communautaires, est foncièrement néfaste lorsqu'il s'agit d'affronter des géants extérieurs qui ne connaissent, quant à eux, que les rapports de force. Quand donc finira-t-on par comprendre qu'à force d'affaiblir les entreprises européennes pour qu'elles rentrent dans le moule communautaire de la concurrence pure et parfaite, on aide les grands fournisseurs mondiaux à imposer leurs prix ?

Le réalisme empêche de considérer les ressources énergétiques comme des biens marchands classiques ; leur dimension stratégique impose de veiller par tous les aspects de la diplomatie à la sécurité des approvisionnements. Or le développement d'une politique extérieure commune reste embryonnaire à l'échelle de l'Union européenne. Celle-ci s'avance désarmée dans l'arène, sans foi ni loi, de la confrontation des intérêts énergétiques des puissances mondiales.

Tout au plus le livre vert publié le 8 mars 2006 par la Commission sur la stratégie européenne en matière d'énergie a-t-il envisagé « la création, dès que possible, d'un observatoire européen de l'approvisionnement énergétique ». Mais cette hypothétique instance est une solution bien modeste en comparaison du besoin fort de coordination pour développer une stratégie commune et utiliser l'atout commercial que constitue, par exemple, une masse de demandes d'importation consolidée à peu près deux plus importante que l'offre d'exportation russe en pétrole et gaz naturel.

Pis, en instituant la concurrence comme seul principe de sa politique énergétique, l'Union européenne s'entrave elle-même : à l'encontre du bien-être du consommateur, elle encourage en fait, parce que l'industrie énergétique repose sur d'importantes économies d'échelle, la constitution d'un oligopole d'entreprises détaché des intérêts des États membres. Or cet oligopole va immanquablement fonctionner selon le schéma dit de la « courbe de la demande coudée », selon lequel les entreprises d'un oligopole n'ont aucun intérêt à suivre une stratégie individuelle de baisse des prix et qu'elles ont au contraire tendance à s'entendre pour les augmenter. La même raison les pousse d'ailleurs à retenir leurs investissements, car une augmentation des capacités de production tend à accroître l'offre sur le marché.

En poussant la libéralisation sur le marché intérieur sans se doter de moyens coordonnés de négociation extérieure, l'Union européenne, non seulement se réduit à l'état de preneuse de prix, mais s'expose à maximiser l'impact sur les consommateurs des hausses de prix imposées par les fournisseurs internationaux, sans les faire bénéficier des baisses de coût de structure qu'entraîne en théorie le renforcement de la concurrence intérieure.

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