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Intervention de Louis Giscard d'Estaing

Réunion du 20 septembre 2011 à 15h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouis Giscard d'Estaing, rapporteur :

Les missions précédentes, que j'avais conduites avec la regrettée Françoise Olivier-Coupeau, avaient porté, pour le premier opus, sur le coût et le surcoût des opérations militaires extérieures (OPEX) et, l'année suivante, sur les recettes exceptionnelles qui devaient abonder le budget de la défense. Les travaux de la MEC associent toujours un membre de la commission des finances et un membre de l'opposition appartenant à la commission compétente pour le sujet traité. En l'espèce, cette mission m'a associé, en tant que rapporteur spécial du budget « Préparation et emploi de forces », à Bernard Cazeneuve, membre de votre commission. Nous avons travaillé pendant le premier semestre de cette année et rendu notre rapport au début de l'été.

En France, l'achat de prestations autrefois réalisées en régie n'est pas une nouveauté : le phénomène a pris son essor à la fin des années 1990 avec la suspension du service national. Mais cette politique a connu sa véritable expansion au cours des années 2007 et 2008, dépassant désormais largement le milliard d'euros de prestations externalisées. En 2009, les dépenses d'externalisation représentaient 5 % du budget de la défense, soit 1,7 milliard d'euros, et avaient presque triplé par rapport à 2001.

Ce sont les dépenses dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs et des prestations fournies en OPEX qui expliquent la hausse. Le périmètre du recours à l'externalisation s'est nettement accru au cours de ces dernières années : il s'étend désormais à des procédures coordonnées à l'échelle du territoire métropolitain, à la formation, à la projection et au soutien des forces déployées en OPEX.

L'ampleur du mouvement n'est certes pas comparable à ce qui se pratique chez les Anglo-saxons : les Britanniques ont externalisé 25 % de leur budget de la défense, soit environ 10 milliards d'euros. En revanche, les montants externalisés par l'armée allemande sont comparables aux nôtres avec 1,6 milliard d'euros, soit 5 % du budget de la Bundeswehr.

En France, le ministère de la défense a codifié le processus décisionnel pouvant mener à une externalisation, la première tâche consistant à identifier tous les éléments attachés à une activité en régie, c'est-à-dire de production interne. Le ministère examine ensuite s'il est possible de réaliser en interne des économies qui rendraient une externalisation superflue. S'il apparaît malgré tout que le recours à celle-ci peut être envisagé, la démarche est poursuivie. Puis une évaluation préalable est réalisée : le ministère observe la situation dans d'autres entreprises ou entités administratives et recherche les prix du marché.

L'externalisation ne doit pas affecter la conduite des opérations : c'est la « ligne rouge » à ne pas franchir ; elle ne l'a d'ailleurs jamais été. Mais surtout, elle doit permettre des économies solides et durables.

Le ministère veille à ce que le marché ne soit pas aux mains d'oligopoles et que la concurrence soit préservée, de manière à pouvoir transférer le marché à un nouveau partenaire si le titulaire du contrat venait à faillir. C'est le principe de l'éventuelle réversibilité permettant, en cas de changement de titulaire, de revenir à une gestion en régie ou de faire appel à un autre prestataire. En matière de défense, il faut éviter tout blocage.

La situation du personnel est également prise en compte. Ainsi, la réglementation a été modifiée et le décret du 21 septembre 2010 a permis la mise à disposition de personnels de la défense à des entreprises sous-traitantes. Les agents qui n'ont pas recours à ce dispositif peuvent bénéficier du plan d'accompagnement des restructurations (PAR).

Ce décret, surnommé MALD (mise à la disposition), définit les modalités permettant aux personnels civils et militaires du ministère de la défense d'être mis à disposition d'une entreprise attributaire d'un marché concernant une activité externalisée. Il constitue la transposition au secteur public de ce qui existe déjà dans le privé en application de l'article 122-12 du code du travail.

L'agent mis à la disposition continue de percevoir l'ensemble des éléments de la rémunération afférente à l'emploi qu'il occupait précédemment au sein du ministère. De son côté, l'entreprise d'accueil verse un remboursement égal « à la somme du salaire, des majorations de salaire et des cotisations et contributions dus par l'organisme d'accueil pour l'emploi d'un salarié occupant un poste comparable avec une qualification professionnelle et une ancienneté équivalentes ».

Quel est l'intérêt de ce décret ? En l'absence d'outil juridique permettant leur transfert, les armées devaient jusqu'en 2010 procéder au reclassement de leurs personnels, ce qui occasionnait des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Non seulement le décret évite de tels coûts, mais il permet aussi aux personnels de continuer à travailler sur un même lieu géographique, ce qui le rend socialement attractif.

Au premier abord, ce dispositif impose un certain surcoût à l'État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, et ne bénéficient pas d'indemnités de reclassement complémentaires. Au reste, nombre de personnes mises à disposition des entreprises par le ministère de la défense rejoignent définitivement ces sociétés au moment où elles quittent l'armée.

Le champ d'intervention de l'externalisation s'est considérablement étendu au cours de ces dernières années. Nous nous sommes intéressés prioritairement aux projets non encore aboutis, sur lesquels le pouvoir politique et le pouvoir législatif peuvent donner un avis de nature à influer sur les décisions finales.

Je présenterai deux cas, sur lesquels nous souhaitons attirer votre attention : l'affrètement aérien et les satellites de télécommunications

S'agissant de l'affrètement aérien, certains pays membres de l'OTAN ont mis des ressources en commun pour affréter des aéronefs de transport lourds partout dans le monde. Le consortium ainsi créé affrète actuellement six Antonov 24 capables d'accueillir des cargaisons hors gabarit. Il s'agit du contrat Salis (Strategic Air Lift Interim solution ou solution intérimaire pour le transport aérien stratégique) qui constitue une originalité dans la mesure où il lie l'OTAN par un contrat stratégique à une société russe, Volga-Dniepr.

Ces aéronefs sont utilisés comme solution intérimaire pour pallier les lacunes des moyens de transport aérien stratégique de l'Alliance, en attendant la livraison des premiers Airbus A400M ainsi que des ravitailleurs MRTT qui seront également employés au transport de passagers et de marchandises.

La France représente 25 % des demandes contractuelles adressées à Salis. Notre pays est l'un des plus engagés hors de son territoire national et ne dispose pas d'une flotte de gros-porteurs stratégiques, contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Parallèlement au contrat Salis, mais séparément de l'OTAN, un groupe de nations européennes a mis au point un mécanisme de coopération original permettant l'échange de prestations de transport de passagers et de marchandises sur la base d'un troc d'heures de vol. Il s'agit de l'accord Atares, conclu par douze pays.

Dans les deux cas, Salis et Atares, il s'agit d'une externalisation subie et non choisie : l'armée de l'air française n'a plus les capacités de transporter avec ses moyens patrimoniaux les matériels nécessaires au soutien de nos OPEX. Ainsi, en 2010, elle n'a transporté avec ses moyens propres que 46 % des acheminements stratégiques de fret. Et pour la première fois, plus de 50 % des acheminements de fret de nos forces ont été réalisés par des appareils russes, principalement les Antonov du contrat Salis, sans lesquels le soutien de nos 4 000 hommes en Afghanistan ne serait pas possible. Autant que la Cour des comptes, la MEC s'alarme de cette très forte dépendance.

Bien que le contrat Salis courre jusqu'en 2012, la société Volga-Dniepr a annoncé son souhait de se désengager. Elle a porté unilatéralement le prix de l'heure de vol à 30 200 euros, soit une majoration d'environ 20 %, et le volume d'heures a été fortement réduit. Pour compenser le désengagement de son partenaire, l'armée française a conclu dans l'urgence un contrat bilatéral avec un autre partenaire, la société ICS.

Cet événement illustre parfaitement les dangers d'une dépendance de nos forces à l'égard d'une société en position oligopolistique.

Mais le protocole Atares passé entre pays européens peut réserver lui aussi quelques désagréments : ainsi, lors des premiers jours de l'intervention en Libye, l'armée française a éprouvé des difficultés à évacuer par voie aérienne les ressortissants étrangers pris au piège des frappes et de la fermeture des frontières. L'Allemagne ayant décidé de ne pas participer à la coalition, l'armée de l'air allemande a refusé de mettre ses appareils de transport à la disposition de nos forces, alors même que les deux pays participent au dispositif d'échange d'heures de vol Atares.

L'une des propositions de la MEC est de veiller à ce que les armées, sans renoncer complètement aux contrats d'externalisation, conservent un socle minimal de capacités patrimoniales qui leur permettent de ne pas devenir dépendantes de partenaires privés. C'est la raison pour laquelle, notamment, nous appelons le ministre de la défense à commander aussitôt que possible l'avion de ravitaillement et de transport MRTT. La commande de 14 appareils est inscrite en loi de programmation pour 2009 à 2014 : il ne faut plus attendre car le délai de livraison est de six ans.

Deuxième exemple concret : l'opération NECTAR et les satellites de communication militaires Syracuse. L'objectif de cette opération consiste à céder à titre onéreux à un opérateur privé l'usufruit de ces satellites, en échange de quoi il s'engagera à gérer, moyennant un loyer qui lui sera versé, les communications satellitaires du ministère de la défense qui sera alors un client privilégié. Les capacités non utilisées par les armées pourront être proposées à d'autres clients, mutualisant ainsi les moyens et augmentant les sources de revenus possibles.

En cas de pertes de capacités des satellites, c'est à l'opérateur qu'incomberait la charge de trouver des solutions de rechange : le ministère de la défense louerait ainsi un service global de télécommunications.

Nous attirons l'attention du Gouvernement sur les dangers induits par une perte de compétence dans un domaine aussi essentiel pour le caractère opérationnel des armées. À la lumière des expériences étrangères, notamment britannique, nous constatons qu'une compétence perdue l'est généralement de manière irréversible.

Ainsi, la compétence « maître de satellite », détenue par des militaires possédant un savoir-faire très spécialisé pour diriger la charge utile, s'éteindra en 2012. La question de la réversibilité se pose car il faudrait de nombreuses années pour retrouver cette compétence.

Mais au-delà de cette affaire, la rentabilité globale du projet est en cause, en raison du retard pris par cette opération pilotée par la direction générale de l'armement (DGA) : elle est évoquée depuis 2008 mais sans cesse retardée.

La durée de fonctionnement résiduelle des deux satellites Syracuse en orbite est limitée à 2017 ou 2018 : tout retard dans la signature du contrat entraîne mécaniquement une réduction du prix d'acquisition qui sera proposé par les opérateurs. La DGA elle-même n'est pas sûre que la somme proposée par les candidats soit supérieure aux loyers à payer et que, par conséquent, l'opération soit rentable.

Par ailleurs, la durée envisagée pour le contrat, soit huit ans, paraît incompatible avec la durée de vie résiduelle des engins qui est de six à sept ans, même si l'on peut discuter de la capacité de ces satellites à durer un peu plus longtemps. La mise en oeuvre risque désormais d'intervenir trop tard.

Compte tenu du retard accumulé, on voit mal désormais comment cette opération pourrait être menée à bien : nous avons pris acte de cette difficulté, dont est également conscient l'état-major des armées (EMA).

En conclusion, je ne voudrais pas donner une impression trop négative des partenariats public-privé (PPP). Des opérations telles que l'externalisation des véhicules de la gamme commerciale, la mise en oeuvre des avions de l'école de Cognac ou l'achat d'heures de vol d'hélicoptère au profit de la base école de Dax semblent donner de bons résultats pour un moindre coût.

De même, il est probable que l'opération Balard n'aurait pas été possible sans un partenariat de ce type.

Toutefois, nous ne serions pas dans notre rôle si nous n'attirions pas l'attention de la Commission sur les dérives résultant de certains projets.

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