Je ne dis pas cela, car tout est une question de dosage. Le système a été développé pour atteindre une forme d'équilibre entre une dimension préventive – assurée plutôt par les radars fixes – et une dimension répressive – associée aux radars mobiles. Mais les gens apprennent. À force de circuler sur le réseau, ils finissent par savoir où se situent les radars, d'autant qu'ils disposent de dispositifs technologiques spécifiques. Or, l'avantage d'un dispositif mobile, c'est qu'il est beaucoup moins prévisible : on crée de l'aléatoire, de l'incertitude.
Je ne m'aventurerai pas sur le terrain de l'acceptabilité, car je ne suis pas spécialiste de ces questions. Mais j'observe que les radars mobiles demandent des policiers ou des gendarmes pour fonctionner. Comme toute politique publique, la sécurité routière implique donc de faire des choix, économiques et politiques. Il existe, certes, des forces spécialisées, comme les escadrons départementaux de sécurité routière, mais il leur faut à la fois faire tourner les radars mobiles et assumer d'autres missions de contrôle plus traditionnelles : interception des conducteurs en excès de vitesse et lutte contre l'alcoolémie ou la conduite sous l'emprise de la drogue. La question est donc de savoir quelles priorités sont assignées à ces forces présentes sur le terrain, en matière de dissuasion, mais aussi de prévention – car elles interviennent aussi dans les écoles. Les moyens mobilisés doivent donc être mis en rapport avec les bénéfices attendus pour la société.
C'est tout l'enjeu de la mise en oeuvre opérationnelle, qui exige, selon moi, une attention particulière, qu'il s'agisse du choix des sites de contrôle, des modalités de déploiement ou des contraintes organisationnelles. Je le répète, les effets d'une politique publique ne sont jamais automatiques : il ne suffit pas de déployer des moyens pour obtenir des résultats.
J'en viens au mode de gouvernance qui, dans le cas du système de contrôle sanction automatisé, a un caractère spécifique, impliquant des acteurs publics – autorités, collectivités locales – ou privés – usagers, fabricants, avocats, chercheurs. Tous ces acteurs entretiennent des relations plus ou moins intenses, collaboratives ou d'opposition. Ces interactions forment un système en évolution où des dynamiques d'action publique sont à l'oeuvre.
Le système français me semble pouvoir être qualifié de « technocentré ». Il repose en effet sur des choix technologiques particuliers, comme l'automatisation presque totale de la chaîne pénale, et sur une centralisation de la décision au sein des deux organismes ayant succédé à la DPICA. Ces choix ont évidemment déterminé la stratégie mise en oeuvre, consistant à déployer 3 500 appareils dans des délais relativement courts et à organiser un traitement de masse des infractions, en réponse au contentieux de masse généré par un système antérieur défaillant.
Il faut souligner que le déploiement et l'entretien du dispositif sont autofinancés – même si une telle notion, d'ordre économique, est impropre en matière de finances publiques –, ce qui a permis son extension progressive. Cette caractéristique n'avait rien d'évident, comme le montre l'exemple britannique.
Il reste que la diversification des appareils et des modalités d'intervention implique de prêter désormais une attention plus grande aux intérêts des autres parties prenantes, voire d'intégrer leurs contraintes et leurs objectifs. Les maires, par exemple, n'ont pas nécessairement les mêmes objectifs que l'administration centrale, ni les forces de l'ordre, en raison des différentes missions qu'elles doivent assumer. Des arbitrages doivent donc être rendus. Enfin, la prise en compte de l'avis des associations d'usagers permettrait de s'assurer que les sites de contrôle sont choisis de façon adéquate.
Le déploiement massif des appareils sur le réseau pose également la question de leur évaluation. Dans un rapport d'information déposé au nom de votre commission des finances, M. Hervé Mariton s'était ainsi interrogé sur la soutenabilité financière de cette politique. Il convient de prendre en compte la rentabilité socio-économique du dispositif de contrôle sanction automatisé, dont le coût est à mettre en relation avec les gains en termes de vies sauvegardées ou de blessés évités – en tenant compte du fait que les effets des blessures durent de longues années et entraînent des problèmes sociaux et familiaux. La décision a été prise de déployer 4 500 appareils. Est-ce un horizon ultime ? Faut-il rester en deçà de ce seuil ? Une réponse précise à cette question requiert une étude scientifique rigoureuse sur les gains et les coûts du dispositif.