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Intervention de Pierre Van Elslande

Réunion du 6 septembre 2011 à 10h00
Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Pierre Van Elslande, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFSTTAR :

Je fais partie des chercheurs qui participent au rapport que l'IFSTTAR vous proposera.

Je vais vous présenter les grandes tendances des mécanismes accidentologiques qui impliquent la population du deux-roues motorisé, tels que nous les étudions depuis une dizaine d'années. Comme vous, monsieur le président, je ne chercherai pas à opposer un groupe d'usager à un autre. Je m'efforcerai, au contraire, de vous expliquer les difficultés de l'usager du deux-roues motorisé face aux autres usagers.

En fait, le deux-roues motorisé n'existe pas. En effet, le monde du deux-roues motorisé s'est énormément diversifié ces dernières décennies et est aujourd'hui très éloigné du stéréotype du blouson noir casse-cou et irréductible. Cette diversité doit être prise en compte afin d'identifier les problèmes spécifiques des conducteurs et de définir des mesures ciblées et efficaces. La population des cyclomotoristes de quinze à dix-sept ans, par exemple, qui se caractérise par des comportements à forte prise de risque, n'est absolument pas représentative des motards.

Je distinguerai deux grandes catégories d'accidents : les pertes de contrôle de véhicules seuls, d'une part ; les accidents en interaction avec autrui, d'autre part.

Les pertes de contrôle de véhicules seuls relèvent d'un problème d'interaction avec l'infrastructure, le conducteur étant confronté à une difficulté qu'il ne réussit pas à surmonter. L'analyse au cas par cas de ces accidents fait ressortir, le plus souvent, un problème d'évaluation pour les motards accidentés d'une difficulté routière à laquelle ils se sont trouvés confrontés, comme une baisse d'adhérence ou la rencontre d'un virage délicat à négocier.

Cette sous-évaluation s'accompagne le plus souvent d'un problème de sur-confiance, c'est-à-dire d'une confiance du motard vis-à-vis de ses capacités d'anticipation et de pilotage. Fort de cette compétence supposée, il ne régule pas sa vitesse, alors qu'il est le plus souvent à la limite des capacités de tolérance du système dans son ensemble (pilote, machine, infrastructure, interactions entre ces différents composants). Du fait de cette absence de régulation, le contrôle du véhicule devient défaillant au moment de la difficulté.

Or, par sa nature même, le deux-roues motorisé se caractérise par une sensibilité beaucoup plus grande aux perturbations environnementales. Autrement dit, les difficultés liées à l'infrastructure qu'un automobiliste peut contrôler aisément peuvent devenir majeures pour un motard. Elles concernent tous les problèmes d'adhérence, notamment en lien avec la très faible surface de contact entre les pneumatiques et l'enrobé de surface. Par conséquent, la rencontre de gravillons, un défaut d'enrobé, parfois même une signalisation horizontale, peuvent favoriser des glissades par temps humide.

Je précise que ces accidents dus à une perte de contrôle sont généralement sous-estimés dans les statistiques nationales par rapport aux accidents impliquant un deux-roues motorisé avec un autre usager, dans la mesure où ils ne font pas systématiquement l'objet d'un procès-verbal.

Je suggère donc trois grands types de mesures pour faire face à ces accidents dits « de véhicules seuls ».

Premièrement, les aménagements devraient davantage prendre en compte les particularités des deux-roues motorisés, de manière à ne pas mettre leurs usagers dans une situation de difficulté là où les automobilistes, eux, n'en rencontrent pas.

Deuxièmement, la formation – qui est essentielle – devrait amener les motards à ne pas être trop confiants dans leur capacité de maîtrise. Elle doit les orienter vers une méfiance envers tout ce qui peut les surprendre et, surtout, leur enseigner à conserver en permanence une marge de régulation pour anticiper la rencontre d'un éventuel imprévu sur la route. Autrement dit, elle doit s'attacher à leur apprendre à ne jamais se mettre en condition limite dans laquelle la moindre surprise ne sera pas rattrapable.

Troisièmement, des améliorations techniques importantes devraient être apportées à la dynamique de ces véhicules pour en garantir une meilleure tenue de route, notamment en situation d'urgence et de freinage. Je pense évidemment à l'anti-blocage de sécurité (ABS).

La deuxième grande catégorie d'accidents de deux-roues motorisés, ceux en interaction avec les autres usagers de la route, fait apparaître des mécanismes totalement différents et éminemment plus complexes dans la mesure où ces accidents sont caractérisés par une complémentarité de dysfonctionnements entre les différents usagers. En effet, bien souvent, les deux protagonistes – le conducteur du deux-roues motorisé et l'automobiliste – contribuent, sans le savoir, à l'accident.

Comme vous le savez, les automobilistes ont de grandes difficultés à détecter les deux-roues motorisés. Dans 60 % des cas impliquant une moto et une automobile, le conducteur de cette dernière n'a pas vu le motard, ou l'a vu trop tard. Quatre raisons expliquent ces difficultés de détection.

Souvent, les automobilistes ne s'attendent pas à rencontrer une moto dans la situation routière où ils se trouvent. Par conséquent, ils prêtent moins attention à cette éventualité. Or il est prouvé scientifiquement que l'on détecte mieux ce qu'on recherche. Il faut savoir que les motards représentent environ 2 % du trafic et que certains conducteurs en rencontrent très peu, en particulier en rase campagne.

Ensuite, le système visuel humain a du mal à détecter ce qui est étroit et rapide. Le projet PERCEPT (Perceptibilité des deux-roues motorisés), que je dirige et qui est financé par la Fondation Sécurité routière, travaille sur la question.

En outre, les motards, par leur comportement, mettent en défaut les stratégies de prise d'information des automobilistes. Concrètement, ils mettent en oeuvre des manoeuvres inattendues pour les automobilistes – remontées de file, dépassements par la droite, positionnements derrière les angles morts des véhicules, voire niveaux d'accélération surprenants –, de sorte que les automobilistes se trouvent confrontés à des interactions qui se révéleraient impossibles s'il ne s'agissait pas d'une moto.

Enfin, ce qui ne masque pas une voiture peut masquer un deux-roues motorisé, de plus faible gabarit – je pense aux éléments d'aménagement, tels que des panneaux de signalisation ou d'information.

Voilà pour les difficultés accidentogènes qui concernent les automobilistes.

Quant aux difficultés des motards lorsqu'ils détectent un conflit, elles font apparaître qu'ils ont une grande tendance à se laisser guider par un fort sentiment prioritaire, au point de refuser d'entamer la moindre régulation. Dans la mesure où ils s'attendent à ce que ce soit l'autre qui régule la situation, ils ne font rien pour tenter de résoudre le conflit. Cela me ramène au problème de surconfiance qui s'accompagne souvent d'un phénomène bien connu chez les piétons, appelé l'illusion de visibilité : lorsque l'on voit quelqu'un, on a le sentiment, la certitude d'être vu, d'où certains comportements.

Face à ces difficultés, plusieurs mesures peuvent être envisagées. Elles visent à améliorer l'harmonisation des comportements des usagers.

En matière d'infrastructures routières, il est nécessaire d'intégrer la spécificité des deux-roues, le but étant d'améliorer la visibilité et, dans le même temps, de diminuer les vitesses d'interaction. En effet, plus une vitesse d'interaction est diminuée, plus la prise d'information des autres usagers est facilitée.

Les actions sur les infrastructures peuvent également viser à limiter les manoeuvres potentiellement génératrices de conflits entre les deux types d'usagers. Par exemple, empêcher les stationnements à gauche pour éviter des manoeuvres inopinées des automobilistes qui omettraient un certain nombre de précautions ; ou encore dissuader les remontées de files aux intersections, endroit où peuvent se produire les interactions dangereuses.

Une autre piste consiste à définir les moyens permettant de favoriser la détectabilité du motard. Je pense à l'équipement des conducteurs de motos, dont nous reparlerons.

Enfin, la formation des conducteurs est primordiale.

Les motards doivent être davantage formés à la méfiance qu'à la performance. Ils pourront ainsi tenir compte des difficultés rencontrées par les autres usagers à les percevoir et à anticiper des manoeuvres parfois atypiques, plutôt que chercher à imposer leur droit de passage coûte que coûte.

Quant aux automobilistes, leur formation doit s'attacher à intégrer davantage la dimension deux-roues motorisés, pour leur enseigner des stratégies de recherche d'information plus efficaces dans les situations où ils sont susceptibles de rencontrer ce type de véhicule.

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