J'adhère à la majeure partie de ce qui a été dit concernant les personnes âgées.
Je donnerai également quelques chiffres : si les personnes âgées représentent une part croissante des conducteurs, sur 8 millions de conducteurs ayant plus de soixante-cinq ans, 700 sont mortes en 2010 sur la route.
La conduite est un vecteur de maintien de l'autonomie. C'est un moyen d'éviter la dépendance. Des enquêtes effectuées en France ont montré que conduire permet de réaliser les activités de la vie quotidienne, comme faire ses courses, ou de préserver le lien social – rendre visite à la famille ou à ses amis. Il faut en prendre conscience avant d'envisager des mesures relatives à la conduite des personnes âgées.
M. Marin-Lamellet a eu raison de noter que l'aptitude physique et physiologique ne suffit pas à évaluer la capacité à conduire : c'est particulièrement vrai pour les personnes âgées. Il faut prendre en considération les habitudes antérieures et le comportement routier. Des enquêtes ont du reste montré que les personnes âgées avaient un comportement routier différent de celui des conducteurs plus jeunes : elles commettent moins d'infractions mais plus d'erreurs dues à un défaut de jugement ou d'attention ou à des oublis, certaines de ces erreurs, liées au vieillissement normal de leurs facultés, pouvant représenter un facteur de risque surajouté d'accidents. Toutefois, on ne saurait attribuer à un type d'erreur un surrisque défini. On manque en la matière d'outils d'évaluation.
Il ne faut pas confondre l'âge avec l'aptitude à la conduite. D'ailleurs, certaines des maladies qui sont les plus fréquentes chez les sujets âgés peuvent également toucher des sujets plus jeunes. Il est vrai toutefois qu'on recense plus fréquemment des troubles visuels chez les personnes âgées, du fait, notamment, que, trop souvent, elles ne changent de lunettes que lorsqu'elles les ont cassées : elles portent donc souvent des lunettes inadaptées à l'évolution de leur vue. Les troubles de la mémoire doivent également être pris en considération.
De plus, les médecins généralistes, voire les gériatres, connaissent très peu le cadre législatif et les pathologies à risques en matière de conduite, en dehors des pathologies les plus sévères. Aussi se trouvent-ils souvent démunis pour répondre aux questions qui leur sont posées. Il convient donc de les informer mais également d'informer les personnes âgées elles-mêmes qui, le plus souvent, ignorent qu'elles sont responsables de leur conduite. Nous subissons parfois des pressions de la famille, ce qui rend encore plus complexes les relations, d'autant que nous devons respecter le secret médical. Le rôle du médecin doit être redéfini en termes d'information, de prévention et de stabilisation des pathologies, afin d'améliorer les aptitudes physiques et psychologiques à la conduite.
En ce qui concerne les comportements, nous avons mené, avec l'INRETS, durant cinq ans, une recherche longitudinale sur les conducteurs âgés de soixante-quinze ans et plus, en bonne santé ou dont les maladies étaient stabilisées. Cette étude a permis de dégager trois facteurs prédictifs d'accidents : avoir déjà eu un accident ; avoir commis antérieurement des infractions ; la prise de médicaments. Le conducteur âgé est en revanche moins concerné par les risques dus à l'alcool ou à l'utilisation du téléphone portable au volant.
Bernard Delorme. À l'heure actuelle, en France, 16 000 médicaments sont autorisés dont 9 000 sont commercialisés : un tiers d'entre eux, soit 3 000, ont été identifiés comme ayant des effets potentiels sur la conduite.
Depuis le début des années 2000, nous avons cherché à quantifier cet impact : certains médicaments ont de simples effets transitoires de somnolence – c'est le cas des antihistaminiques ou des antiallergiques – quand d'autres ont des effets très incapacitants – hypnotiques, sédatifs puissants. Nous avons donc mis en place une stratégie de gradation du risque comportant trois niveaux, illustrés, chacun, par un pictogramme, l'objectif étant de cibler les médicaments les plus dangereux – 2 % d'entre eux ont obtenu un pictogramme de niveau 3. Ce travail a tout d'abord été mené à partir des données pharmacologiques issues des essais cliniques, que nous avons ensuite confrontées aux données de la pharmacovigilance : nous nous sommes ainsi aperçus que les traitements antiparkinsoniens, notamment les agonistes dopaminergiques, qui agissent sur le système nerveux central et sont susceptibles d'entraîner des somnolences, peuvent également induire des somnolences brutales. Nous avons alors décidé de prendre également en considération l'impact épidémiologique de ces médicaments en confrontant les bases de données de la sécurité sociale relatives à la consommation de ces médicaments avec les données accidentologiques contenues dans les procès-verbaux de la police. L'étude, très importante puisqu'elle a porté sur 20 % des accidents survenus en trois ans, vient d'être prolongée pour trois nouvelles années. Elle a permis non seulement de connaître le nombre de personnes accidentées prenant tel ou tel médicament mais également d'évaluer la responsabilité des conducteurs accidentés. C'est une première mondiale, puisqu'elle a permis de récolter 75 000 dossiers documentés de conducteurs, qui se partagent pour moitié entre responsables et non responsables.
Nous disposons donc désormais de données objectives permettant de valider notre classification initiale. Aucun médicament nouveau n'a été impliqué et seuls un petit nombre de médicaments, appartenant aux classes 2 et 3, notamment les benzodiazépines – sédatifs puissants –, peuvent être considérés comme dangereux pour la conduite.
L'étude a donc permis de confirmer que les médicaments sont bien responsables de 3 % des accidents mortels, qui sont à comparer aux 4 % des accidents dus à l'usage du cannabis. Le chiffre n'est pas énorme, sans être négligeable. Nous avons également constaté que le facteur accidentogène de ces médicaments était indépendant de la consommation d'alcool : les deux facteurs sont donc susceptibles de s'additionner.
Cette étude n'avait pas pour objectif de stigmatiser le médicament ou le patient qui le consomme en respectant la posologie et dans des conditions normales. En revanche, l'étude épidémiologique a montré qu'une consommation trop élevée ou anormale de médicaments induit des situations à risque, ce qui pose alors la question de la responsabilité de son utilisateur. C'est pourquoi il faudrait peut-être envisager, dans certains cas, le dépistage des drogues licites.
C'est parce que nous souhaitions envoyer des messages didactiques aux professionnels de santé et aux patients, que nous avons eu recours aux pictogrammes. Des efforts sont encore à fournir pour que le médecin qui prescrit un traitement sédatif informe systématiquement son patient des effets de celui-ci sur la conduite. L'observatoire que nous avons mis en place doit être pérennisé pour surveiller l'évolution de la situation et élargi à d'autres données de la sécurité sociale, comme les affections de longue durée. Par ailleurs, si nous avions pu directement récupérer, dans les PV de la police, le numéro de sécurité sociale de la personne accidentée, nous aurions triplé la puissance de notre étude.
Joël Valmain. L'aptitude médicale à la conduite, qui a évidemment une dimension européenne et internationale, est traitée dans le cadre de la directive européenne sur l'harmonisation de la délivrance du permis de conduire au sein de l'Union européenne. Voilà trente ans qu'on en parle. En 2013, il n'y aura plus qu'un seul modèle de permis de conduire. Les examens de code et de pratique sont également en voie d'harmonisation.
Il y a eu trois directives en matière de permis de conduire : en 1980, en 1991 et en 2006 – cette dernière s'appliquera au début de 2013.
La directive prévoit une visite médicale obligatoire et préalable pour la conduite des véhicules lourds, visite qui doit être reconduite de manière périodique. À l'heure actuelle, cette périodicité est à la discrétion des États membres. C'est ainsi qu'en France, le conducteur de véhicules lourds passe une visite tous les cinq ans, tandis qu'en Allemagne, il la passe juste avant le permis, puis à cinquante ans.
Au sein de l'Union européenne, la visite médicale est facultative pour les conducteurs de véhicules légers. Les seuils minimaux d'aptitude à la conduite sont définis par la directive, les États membres pouvant toujours les rendre plus sévères – c'est un principe de base du fonctionnement de l'Union.
Sur le plan médical, les normes de la directive de 1991 sont devenues évidemment obsolètes compte tenu de l'évolution de la médecine et des traitements. C'est pourquoi la Commission européenne, sous l'impulsion de certains États membres, dont la France, a décidé d'actualiser ces normes au plan européen, le permis d'un État membre étant valable dans le reste de l'Union. Cette actualisation a concerné, notamment, les normes en matière d'épilepsie, de diabète et de troubles de la vision ; par ailleurs, des travaux sont en cours pour les maladies cardio-vasculaires, comme du reste en matière d'usage abusif d'alcool ou de drogue ou de dépendance à ces substances. Des groupes de spécialistes et de médecins travaillent sur tous ces sujets au niveau européen.
En France, l'arrêté de 2010, qui a modifié celui de 2005, a pris en compte cette actualisation qui, depuis le début des années 2000, ne vise plus tant à déterminer les catégories de personnes susceptibles de tomber sous le couperet d'une interdiction que de chercher à accompagner les personnes concernées dans leurs capacités de conduite. Cette évolution est partagée par l'ensemble de nos partenaires européens. Il s'agit de trouver un équilibre entre le souci d'assurer une nécessaire mobilité pour tous – y compris les handicapés moteurs et les personnes âgées – et les impératifs liés à la sécurité routière.
L'Europe, en revanche, ne s'occupe pas de l'organisation du contrôle médical qui revient à chaque État membre.
(M. Philippe Houillon, rapporteur, remplace M. Armand Jung au fauteuil de la présidence.)