La conduite automobile est une activité banale en apparence car elle est pratiquée par un très grand nombre d'individus – plus de 200 millions en Europe. Mais, lorsque l'on cherche à comprendre pourquoi elle peut conduire à des accidents, on s'aperçoit vite qu'elle recèle un système de régulation très complexe : pour éviter l'accident, un conducteur doit à tout instant adapter son comportement aux situations qu'il rencontre ; les autres conducteurs doivent faire de même.
Si la part des accidents liés à la fatigue ou au défaut d'attention fait débat, il ressort des études que le défaut d'attention est à l'origine d'environ un quart d'entre eux.
La fatigue est une sensation d'affaiblissement physique ou psychique, qui survient lorsque l'on est éveillé, à la suite d'efforts. Elle peut avoir plusieurs causes, physiologique ou pathologique – accumulation d'efforts, maladie infectieuse ou dépression. Cette notion renvoie donc à l'état physiologique et psychologique de l'individu.
Sur le plan physiologique, l'état de vigilance est décrit par l'activité cérébrale. On observe un continuum entre la veille active et le sommeil profond. Il existe différents niveaux d'activité cérébrale, lesquels vont de pair avec certains états potentiellement problématiques pour les régulations nécessaires en conduite automobile – hyperexcitation, distractibilité, préoccupation, fatigue, perte de motivation, ennui ou somnolence. Ainsi, la conduite prolongée dans un environnement monotone, avec peu de trafic et une infrastructure dépouillée – sur une autoroute, par exemple –, peut entraîner de l'ennui, de la fatigue et, pour finir, la somnolence.
La somnolence est un état d'inertie qui peut être dû à la fatigue, à la chaleur ou à un repas trop copieux. Elle atteste une envie irrépressible de dormir, envie dont la réversibilité est difficile et peu durable : lorsque l'on est vraiment fatigué, la somnolence demeure tant que l'on n'a pas dormi. C'est la principale difficulté pour les technologies visant à lutter contre la somnolence : si l'on sait la détecter, il est difficile de maintenir éveillé un conducteur somnolent de façon durable.
Les défauts d'attention surviennent en état d'éveil, alors que le conducteur a un bon niveau de vigilance. Ils sont aussi plus facilement réversibles que la somnolence. Les défauts d'attention se produisent lorsque le conducteur effectue une autre activité : il est alors en situation de « double tâche ». On distingue ordinairement la distraction de l'inattention, distinction peut être critiquable mais qui a le mérite d'être pédagogique : la distraction est due à des facteurs externes, alors que l'inattention est due à des facteurs internes.
Les causes de la distraction sont extrêmement variées. Elles peuvent être externes ou internes au véhicule : il peut s'agir, dans le premier cas, de l'apparition soudaine d'un enfant à vélo et, dans le second, d'une sonnerie de téléphone. Elles sont aussi de différentes natures : visuelle, cognitive ou tactile, ce qui engendre différents types de réaction. Par exemple, une distraction visio-manuelle aura des conséquences sur la trajectoire du véhicule, alors qu'une distraction cognitive affectera les temps de réponse du conducteur. Enfin, la distraction peut être volontaire ou involontaire, en lien ou non avec la conduite.
L'inattention est caractérisée par l'absence de déclencheurs externes au moment où elle survient ; elle est le plus souvent non intentionnelle et liée à la difficulté de canaliser ou de maîtriser ses pensées. Elle survient généralement lorsque la tâche à exécuter est routinière, et ne semble pas exiger une attention particulière de la part du conducteur, ce qui lui laisse l'opportunité de penser à autre chose. L'inattention peut avoir pour cause des difficultés personnelles, telles qu'un divorce, la perte d'un proche ou la perspective d'un achat important.
La caractéristique fondamentale de l'activité de conduite est qu'elle a lieu dans une situation dynamique en constante évolution et sous pression temporelle. Elle requiert à tout instant un contrôle cognitif de la part du conducteur – le contrôle cognitif étant ce qui guide nos choix d'action en fonction de nos buts et des événements externes auxquels nous sommes confrontés. En quelques secondes seulement, le conducteur doit percevoir l'information, l'intégrer, prendre une décision et la mettre en oeuvre. Le contrôle cognitif est en ce sens destiné à maintenir un niveau de difficulté acceptable pour la conduite. Le conducteur effectue certaines actions de manière automatique, comme les changements de vitesse, et d'autres de manière très contrôlées, par exemple en situation de dépassement d'un véhicule.
Des régulations avec les autres conducteurs sont aussi nécessaires, puisque l'on ne conduit pas seul mais en coopération avec eux. Le conducteur acquiert en ce domaine une expertise et se dégage des marges de manoeuvre pour réguler au mieux son activité : il apprend de ses erreurs.
Le contrôle cognitif joue enfin un rôle dans la performance du conducteur en lui permettant de ne pas mobiliser trop d'attention, quand cela n'est pas nécessaire, dans la réalisation d'une tâche : les facteurs physiologiques et cognitifs sont importants à cet égard. Le conducteur cherche un compromis cognitif ; par exemple, s'il écoute une émission de radio qui suscite son intérêt, il ralentira pour se concentrer au mieux sur les deux activités en cours. Pour atteindre un tel compromis, il peut être soit dans l'anticipation, soit dans la supervision.
Le sentiment de maîtrise de la situation influencera aussi ses décisions : s'il est prudent et qu'il ne se sent pas pressé, il se sentira capable de téléphoner en conduisant.
Malheureusement, ces marges de régulation ont des limites qui, si on les dépasse, mettent en échec le contrôle cognitif et conduisent à l'erreur. Cette notion aide à comprendre les accidents et à mettre en évidence la complexité des relations de cause à effet.
N'oublions pas, enfin, que l'accident peut survenir sans que le conducteur puisse faire quoi que ce soit : il peut être, en d'autres termes, le fruit du hasard.