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Intervention de Monique Fritz

Réunion du 2 septembre 2011 à 9h00
Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Monique Fritz, présidente de l'association « Aide aux victimes des accidents de la route », AIVAR :

Il nous est difficile, à nous qui avons vécu la même chose, de prendre la parole après le témoignage de Mme et M. Freani.

Je vous remercie de penser aux victimes. N'est-ce pas logique dès lors qu'il ne s'agit au fond que d'en réduire le nombre ? Pourtant, on les place sous une chape de plomb. Sans doute leur parole est-elle trop gênante. Toutefois, notre expérience nous donne une forme d'expertise.

Ainsi avons-nous, mon mari et moi-même, créé l'Association Laurence Fritz, qui a beaucoup fait en matière de prévention, par exemple en intervenant à la télévision, en tenant des stands éducatifs, en s'adressant aux élus et aux décideurs. Tout cela pouvant désormais être considéré comme acquis dans notre région, c'est l'AIVAR, l'association d'aide aux victimes de la route, qui a pris le relais.

Il nous est difficile d'assister à des réunions comme celle-ci, où l'on parle de coûts et de statistiques. Car pour nous, la valeur de la vie humaine, au-delà de toute estimation monétaire, appelle le respect, notamment en matière de communication. Ainsi l'idée des « morts économisées » nous paraît-elle quelque peu étrange. De même, la mention usuelle et officielle d'une « barre » de quatre mille tués, chiffre politiquement correct, nous met très mal à l'aise : s'agit-il du tribut auquel le Minotaure de la route aurait droit ? Mais, en réalité, nous déplorons chaque année 125 000 victimes, y compris les victimes par ricochet : aux personnes décédées ou blessées il faut en effet ajouter les membres de leur famille, qui porteront ce traumatisme en eux leur vie durant. À nos yeux, il est donc essentiel que la notion de personne ne soit pas oubliée et que l'on ne s'en tienne pas aux statistiques.

Précisons par ailleurs que l'indemnisation est plus délicate en cas d'accident individuel qu'après un accident collectif, lequel fait l'objet d'un traitement différent, en premier lieu de la part des médias.

J'ai préparé à l'intention de la mission d'information un dossier dont je résumerai brièvement le contenu.

Il présente d'abord l'AIVAR, association indépendante qui accueille les victimes de la route – victimes directes ou par ricochet –, et organise à leur intention des groupes de parole et des activités collectives, par exemple des week-ends d'art-thérapie, afin de leur permettre de se reconstruire peu à peu, ce qui est beaucoup plus facile à plusieurs.

Le dossier inclut également des témoignages recueillis auprès des personnes qui ont pris contact avec l'association. Permettez-moi de citer quelques phrases tirées de l'un d'entre eux.

« Ce dimanche matin, dimanche comme tant d'autres, deux coups de sonnette nous sortent du lit. Je me lève, encore engourdie de sommeil et de rêves, je demande : “Qui est-ce ? — C'est la police. Nous venons voir M. X.” Je réponds que nous descendons. Dans le couloir froid, deux policiers en habit de travail nous saluent. L'un d'eux nous tend un morceau de papier découpé dans un brouillon de papier administratif utilisé, où on peut lire un numéro de téléphone. Le policier nous dit de téléphoner à ce numéro – celui de la gendarmerie d'un village alsacien. Je dis alors : “Ce sont les enfants ? Il est arrivé quelque chose ? Ils étaient sortis hier soir. Mais pourquoi devons-nous téléphoner à cette gendarmerie ? – Nous ne savons pas”, répondent-ils. Nous remontons, la tête vacillante, la gorge serrée. On se précipite sur le téléphone. Suit un long temps d'attente avant un contre-appel ; cela dure une éternité. Et, en effet, l'éternité nous attend au bout du fil, mais nous ne le savons pas. Puis le téléphone sonne enfin. Nous sommes assis sur le canapé, à l'endroit même où notre fille était assise la veille vers dix-huit heures trente, attendant un coup de fil de son fiancé pour partir. Notre interlocuteur nous dit : “Ils ont eu un accident. Votre fille est décédée. Son fiancé est blessé. Vous devez aller à neuf heures à la gendarmerie du village. Sincères condoléances.” Le malheur vient d'entrer dans notre vie, une vie paisible, riche d'un bonheur construit chaque jour. Je reste incrédule : comment y croire ? Je vois écrit “vingt-cinq ans” ; je vois que c'est court. Puis je ne sais plus. »

Le dossier souligne également d'autres aspects, dont le fait que, comme je l'ai dit, la prévention passe aussi par une communication respectueuse. « Vous roulez juste un peu vite ; vous l'avez juste un peu tué » ou « Vous avez juste oublié un clignotant ; il est juste un peu mort » : qui pourrait être fier de ces slogans ? Il s'agit d'une campagne officielle de la sécurité routière !

Un autre document énumère ce qui a déjà été fait. Il mentionne notamment le numéro national de l'INAVEM. D'autre part, nous avons réfléchi aux modalités de l'annonce du décès : comment peut-on apprendre par un simple coup de fil que son enfant est mort dans un accident de la route ? Nous nous sommes donc tournés vers les services de police et de gendarmerie, qui ont bien voulu nous entendre : ils travaillent désormais en partenariat avec notre psychologue et à la lumière de notre expérience du terrain. Il s'agit d'une belle réussite ; nous leur en savons gré, car nous savons que leur rôle n'est pas facile.

Nous avons enfin publié un guide, « L'accident de la route : quels droits, quelles aides ? », qui en est à sa deuxième édition. Nous en avons envoyé un exemplaire aux rédacteurs du guide d'accompagnement juridique des victimes de la route. Je regrette qu'ils ne nous aient pas ajoutés à la liste des associations qu'ils y ont dressée.

S'agissant enfin de ce qu'il reste à faire, le 26 octobre 2005, l'ONU a invité ses États membres à célébrer la journée mondiale du souvenir des victimes des accidents de la route. Parce que le problème est mondial, nous devrions, comme chaque État membre, mener cette importante action de communication au niveau national.

En outre, nous avons demandé que soit prolongé le congé officiel de trois jours accordé aux parents d'une personne tuée sur la route. Voici la réponse que j'ai reçue d'un chef de bureau : « Un décès est une affaire strictement personnelle et familiale, que l'administration prend néanmoins en compte en autorisant l'agent à s'absenter pour assister aux obsèques et accomplir toutes les démarches nécessaires. L'affliction et la peine s'estompent et se guérissent avec le temps […]. » Cette réponse est citée dans le dossier.

Notre association a reçu plus de deux cents personnes. Nous avons développé une expertise de terrain qui concerne la police, la gendarmerie, les hôpitaux, les tribunaux. Le document que nous vous avons transmis en fait état et énonce nos propositions de manière claire et précise.

Pourtant, il nous est particulièrement difficile de nous faire entendre. Des trente et un responsables nationaux à qui nous avons adressé ce document, neuf en ont accusé réception ! Mais tous ont fait suivre, qui à un collègue ministre, qui au service ou à l'organisme censé être compétent – hormis la cour d'appel de Colmar, qui ne nous a pas compris et a répondu qu'elle ne pouvait pas nous accorder de subvention. En somme, tout le monde se débarrasse de la patate chaude ! Nous n'avons pas de véritable interlocuteur.

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