Je vous remercie de m'accueillir et de pouvoir ainsi restaurer quelque peu l'image de la Ligue, car nous sommes souvent victimes de caricatures – nous serions autophobes, motophobes...
Nous sommes des bénévoles qui partageons les mêmes valeurs de partage, de tolérance, de respect de l'autre et des règles, ce dont il faudrait presque parfois s'excuser. Tout a commencé en 1983 avec quatre femmes qui avaient perdu leurs enfants dans des accidents de voiture et qui avaient décidé que cela n'arriverait pas à d'autres. À l'époque, elles pouvaient dire, en se rendant dans les écoles, qu'un enfant sur dix mourrait avant ses dix-huit ans ou serait gravement blessé. Tout était à faire, car dans la tête des gens l'accident n'était pas évitable : c'était une fatalité.
Notre objectif, comme cela figure dans notre logo, est zéro accident. Cela fait rire, et il est vrai que cela relève un peu de l'utopie. Mais n'est-ce pas ce qui fait souvent progresser l'humanité ? En tout cas, si nous avons choisi cet objectif, auquel nous tenons beaucoup, c'est aussi pour appliquer ce qui se fait dans le monde de l'entreprise, à savoir l'analyse de toutes les causes, en l'occurrence de l'accident, pour mieux les combattre.
Nous n'avons pas de conflits d'intérêt – nous n'organisons pas, par exemple, de stages de récupération de points –, nous sommes apolitiques – nous aiguillonnons aussi bien la droite que la gauche –, et tous ceux que nous accueillons viennent nous voir pour faire avancer une cause, c'est-à-dire un grand problème de santé publique.
Nous ne privilégions aucune cause s'agissant des facteurs de l'accidentalité. Pour nous, les quatre premiers facteurs d'accidents sur nos routes sont d'abord l'alcool, puis la vitesse, l'utilisation du kit mains libres et le non-port de la ceinture.
Nous avons un bilan dont nous n'avons pas à rougir. Nous nous sommes battus pour que le taux d'alcoolémie délictuel baisse, pour que la vitesse en ville passe à 50 kilomètresheure maximum, pour que le port des ceintures à l'arrière soit obligatoire – cela nous a pris sept ans pendant lesquels nous avons été, là encore, traités de grands utopistes qui privaient les gens de leur liberté –, ou pour que les enfants aient des systèmes spécifiques pour s'attacher à l'arrière des voitures. Qui oserait remettre cela en cause aujourd'hui ?
Nous nous portons partie civile lorsque notre cause est battue en brèche, et pour faire avancer celle-ci dans les tribunaux par des procès exemplaires. Nous avons mené un très grand combat pour le permis à points et, en 1992, lorsque les routes étaient bloquées, c'est en discutant avec les routiers, qui étaient alors taillables et corvéables à merci, que nous avons réussi à obtenir que, si l'on changeait leurs conditions de travail, ils lèveraient les barrages.
Nous collaborons avec de nombreux pays – l'Espagne, la Colombie et bien d'autres encore – et nous avons été des ambassadeurs du modèle français, en montrant tout ce que notre pays avait été capable de réaliser à partir de 2002, et en étant très fiers d'exporter ce modèle. Aujourd'hui, je me suis permis d'arborer une décoration qui m'a été remise par le ministre de l'intérieur espagnol, M. Alfred Perez Rubalcaba – qui a parlé, à cette occasion, d'une nouvelle technologie espagnole : le « copier-coller des Français » –, car nous avons aidé son pays à mettre en place le permis à points, notamment en facilitant la rencontre entre M. Rémy Heitz, délégué interministériel français à la sécurité routière, et M. Pere Navarro, directeur général espagnol du trafic.
Du fait d'ailleurs de ces nombreuses relations avec les autres pays, nous lançons la Ligue internationale contre la violence routière, car nous sommes saturés de ces grandes institutions, pleines de bonne volonté – OMS, ONU, etc. –, qui organisent de grandes Journées du souvenir, mais qui ne prennent pas les décisions que nous attendons, telle que la limitation de la vitesse des voitures à la construction, que nous réclamons depuis la rédaction du Livre blanc demandé par M. Michel Rocard en 1988. Et de même que nous mettons en place des passerelles avec les autres associations pour échanger les bonnes pratiques, nous souhaitons que les pays le fassent à leur niveau.
Pour atteindre l'objectif zéro accident et donc pour faire avancer la situation s'agissant des quatre facteurs d'accidents que je décrivais, nous demandons la mise en place de boîtes noires – l'ADN des accidents – afin d'avoir une meilleure connaissance de l'accidentologie. Personne ne remet en cause les boîtes noires sur les avions, et l'on en a besoin pour les accidents de train. Pourtant, on nous dit souvent que c'est un « flic » embarqué. Non. C'est un avocat embarqué. C'est une aide dans la procédure, et les familles ont besoin de comprendre ce qui s'est passé. Et cette boîte enregistre les paramètres des dernières secondes avant l'accident, notamment la vitesse exacte.
Prenons l'exemple de l'accident de Joué-les-Tours, qui a défrayé la chronique fin mai, où une camionnette a fauché des enfants tuant une fillette de cours élémentaire et faisant des blessés graves et des blessés légers. Avec la boîte noire, les gendarmes, au lieu de se lancer dans une enquête technique approfondie, auraient disposé tout de suite des paramètres de l'accident. Nous souhaiterions donc le lancement d'une expérimentation en la matière, notamment dans les flottes publiques. Il est prévu depuis plus d'un an que 200 boîtes noires soient expérimentées par la gendarmerie nationale. La mise en oeuvre de cette expérimentation serait un signe très fort. Quand, à Berlin, la police a installé des boîtes noires sur ses véhicules, six mois après on comptait un tiers d'accidents en moins. De même, quand la société Cofiroute a placé des boîtes noires dans les véhicules d'une vingtaine de volontaires, là encore un changement des comportements a pu être constaté. Aux États-Unis, 65 % des véhicules ont une boite noire à l'insu du conducteur, simplement pour répondre à l'acheteur en cas de procès, et les autorités fédérales réfléchissent à une généralisation. La boite noire permettra de faire progresser l'accidentalité et l'accidentologie.
J'en viens au Lavia, l'avertisseur radar permanent, système qui informe immédiatement les conducteurs – qui sont des millions à souhaiter ne plus avoir à scruter en permanence leur compteur – de la vitesse de leur voiture. Ce serait la fin des radars au bord de nos routes. Qui peut s'opposer à cela ? Pourtant, une sorte d'omerta entoure ce procédé alors qu'une expérimentation faite dans les Yvelines a montré que ce système embarqué était fiable et opérationnel. Nous attendons la deuxième expérimentation, mais encore faut-il que la cartographie embarquée soit certifiée, ce qui implique que l'État s'engage. Sinon, les constructeurs ne mettront jamais en place ce système. Nous déplorons donc l'arrêt de l'expérimentation, sachant que le blocage, concernant par ailleurs la limitation de la vitesse des voitures à la construction, vient notamment de la part des constructeurs allemands.
S'agissant du téléphone, l'expertise collective lancée sous l'égide de Mme Michèle Merli, déléguée interministérielle à la sécurité routière, a montré que le téléphone, qu'il soit tenu en main ou qu'il s'agisse d'un kit main libre, multiplie le risque d'accident par trois. Chaque année, 400 personnes meurent dans notre pays parce que quelqu'un téléphonait. Or, dix-neuf mois d'études plus tard, aucune décision n'a été prise ! Il faut tout de même rappeler, quand l'on entend parler d'atteinte à la liberté individuelle, que, dans 60 % des cas, celui qui va mourir n'a rien fait. C'est une famille heureuse, de retour de vacances, qui est victime d'un choc frontal avec un véhicule dont le conducteur téléphonait.
On nous parle du cannabis – encore que le risque est moindre puisque l'on compte 120 morts chaque année du fait de son usage. Est-ce qu'il serait moins grave de mourir parce que quelqu'un a téléphoné au volant ? Quelle différence cela fait-il pour la famille ? Aussi, nous demandons de la cohérence : qu'il y ait, bien évidemment, des actions contre la conduite sous l'emprise du cannabis, mais que l'on sanctionne également ceux qui téléphonent au volant.
Quant à la mise en place des radars de troisième génération – mesure qui avait été présentée en mars 2006 comme urgente à prendre –, l'appel d'offres a bien été lancé par les services de M. Claude Guéant, quelques semaines après son entrée en fonction, mais que de temps perdu ! Pourtant, cela signifierait – même si je préfère le Lavia – que partout et à tout moment nous serions susceptibles d'être contrôlés,
Nous souhaitons aussi une communication efficace. Or, il n'y en a eu aucune depuis trois ans. Comment voulez-vous que les Français acceptent des mesures qui « réduisent » leur liberté si on ne leur explique pas pourquoi ? L'acceptabilité dépend de l'information. Quand M. Rémy Heitz était délégué interministériel à la sécurité routière, un tiers de son temps était consacré aux médias, lesquels sont affamés d'information. Ils sont là pour relayer et pour expliquer ce que les politiques ont décidé. Les campagnes d'information doivent donc accompagner les mesures. Sinon, elles ne font que jouer sur l'émotion, sans rien changer aux comportements.
Nous demandons la remise en place du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), disparu – dans quel monde vivons-nous ? – depuis trois ans. Comment en effet aider les décideurs politiques s'il n'y a pas en amont des discussions organisées avec les acteurs de la sécurité routière et, surtout, les experts ? De même, il conviendrait que l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) dispose des moyens humains nécessaires à la production de statistiques. Nous serons d'autant plus exigeants qu'ils seront nombreux – et non quatre ou cinq comme à l'heure actuelle – pour répondre à nos demandes.
Nous insistons pour qu'un travail soit entrepris dans le monde de l'entreprise où un accident sur deux est dû à la route – l'accident de trajet. Rien n'y est fait, sinon signer des chartes – nous avions une déléguée interministérielle qui en était une spécialiste –, le tout sans aucun suivi. Or, on assiste depuis quelques années à une remontée de l'accidentalité concernant les véhicules utilitaires légers car il n'y a pas de carnet de bord. On ne sait pas qui conduit et l'amende est payée sans qu'il y ait de retrait de points, ce qui peut entraîner par là même des conditions de travail insupportables pour l'employé.
Nous réclamons un – ou une – délégué interministériel qui dépende de Matignon et non d'un seul ministère. Avec l'intervention du ministère de l'intérieur, la connotation est extrêmement négative, le terme de répression étant préféré à celui de sanction. À l'université, si les étudiants ne satisfont pas au contrôle de fin d'année, une sanction tombe : ils n'ont pas leur examen. Est-ce pour autant qu'ils accusent l'université d'être répressive ? Quand on ne respecte pas une règle, on est sanctionné.
Après deux ans de stagnation, le constat que l'on peut faire aujourd'hui est mauvais. L'objectif du Président de la République de baisse du nombre annuel des accidents pouvait pourtant être atteint, puisque l'on avait constaté une diminution de 10 % environ chaque année. Or, il ne l'a pas été ces deux dernières années et demi – je ne pointerai pas à nouveau l'action de la déléguée interministérielle – alors que ce sont 1 800 vies qui auraient pu être sauvées si la courbe descendante que nous connaissions depuis 2002 s'était poursuivie. Il faut en effet expliquer aux Français que 25 000 vies ont été sauvées depuis cette date, d'autant qu'on ne leur parle déjà pas assez de ces familles meurtries qui vivent avec des personnes handicapées, cela sans qu'on les aide suffisamment.
On parle du racket des radars. Il faut être sérieux ! Qu'est-ce que 500 millions d'euros perçus en amendes au regard des 24 milliards d'euros du coût de l'insécurité routière en 2009 ? Et qu'en est-il des assurances qui n'ont pas augmenté pendant des années – encore qu'elles vont certainement croître de 10 à 20 % du fait de l'accidentalité qui remonte ?
Que doit-on faire ? Se croiser les bras ou prendre des mesures qui fâchent ? N'aurait-on pas le courage dans ce pays d'expliquer pourquoi on prend de telles mesures ? C'est pourtant de la vie des gens dont on parle !