Monsieur le président, merci de votre invitation. Après avoir été pilote de Formule 1, j'ai travaillé à la sécurité des circuits automobiles, puis à celle de la route. Je crois être compétent en matière d'insécurité routière.
J'ai perdu un frère, puis ma première épouse, dans des accidents de la route. Ayant vécu dans le risque, j'ai fini par comprendre les raisons de ces deux accidents, a priori difficilement explicables. La voiture de mon épouse a percuté, avec un prototype matra, un poteau téléphonique sur l'autoroute A6, avant que ceux-ci ne soient protégés par des rails de sécurité. Mon frère a été percuté de face dans un virage par une voiture qui doublait ; après avoir considéré que le conducteur de celle-ci était responsable, je pense aujourd'hui que c'est mon frère qui roulait trop vite et qu'il a été victime d'un mauvais contrôle de sa vitesse. Il en va de même pour l'accident que j'ai eu en solex.
Lorsque j'ai créé l'école « Conduire juste », en 1986, on m'a expliqué qu'apprendre à conduire aux gens était utopique. On m'a pris pour un fou ! Cependant, depuis les années 1970, je travaillais sur l'insécurité sur les circuits automobiles, et donc sur l'insécurité routière. J'étais convaincu que les accidents de la route n'étaient pas une fatalité, mais la conséquence de comportements défaillants. Cette analyse a été confirmée par les études détaillées d'accidents menées par l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) et le Laboratoire d'accidentologie, de biomécanique et d'étude du comportement humain (LAB). Elles ont montré que plus de 80% des accidents de la route sont dus à une erreur de conduite ; 50 % de ces accidents peuvent être imputés à une mauvaise perception du danger – l'apprentissage de la conduite rend les conducteurs respectueux d'un système mais ne leur apprend pas à être méfiants – ; enfin 40 % de ces accidents sont dus à de mauvaises interprétations et prévisions du danger.
Au volant, la véritable performance est de savoir éviter de mettre en péril sa propre vie et celle des autres, et d'être capable de supprimer tout risque d'accident, même simplement matériel. C'est sur ces bases que j'ai créé l'école « Conduire juste ».
La philosophie de cette école est de faire en sorte que le conducteur ne soit jamais en situation d'urgence. Pour cela, nous déclinons quatre grands thèmes : préparer la conduite ; voir ; prévoir ; anticiper. Loin de prôner les qualités d'habileté d'un conducteur au volant, le référentiel « Conduire Juste » rappelle comment celui-ci doit se comporter en fonction des situations. La conduite n'est pas une affaire d'habileté, mais d'anticipation.
Le référentiel incite le conducteur à modifier son comportement dans le sens d'une meilleure conscience des risques et d'une meilleure attention à ceux-ci, donc d'une plus grande méfiance, d'une plus forte exigence envers lui-même et aussi d'une meilleure tolérance envers les autres. La sécurité routière passe par un comportement de non agressivité, de tolérance et de respect des autres.
Nos formations ont d'abord pour objet de faire prendre conscience aux conducteurs de la nature et de l'importance des risques routiers. En développant des stratégies de perception des situations et d'anticipation des événements dangereux, nous enrichissons l'expérience des conducteurs face aux situations à risque et aux réponses qu'ils peuvent y apporter. Ce travail, autrefois effectué sur piste, l'est maintenant sur simulateur.
Nous travaillons aussi à convaincre les conducteurs du caractère aléatoire de l'efficacité des techniques d'urgence : un bon conducteur ne doit jamais avoir besoin de donner un coup de frein ou de volant au dernier moment ; lorsqu'il en arrive là, il est déjà dans l'erreur.
Nous développons également une attitude de respect de la règle et des autres usagers, ainsi que de tolérance et de courtoisie à l'égard de ceux-ci.
Enfin, nous valorisons une démarche de conduite éco-citoyenne.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons élaboré un référentiel de conduite facilement mémorisable, applicable à toutes les situations, permettant à chacun de s'auto-évaluer et de progresser facilement. Nos exercices privilégient l'observation, l'imagination – voire la curiosité – et l'anticipation plutôt que la maîtrise de techniques d'urgence : un bon conducteur ne se met pas en situation d'urgence.
Nous proposons un catalogue de stages théoriques et pratiques sur piste sécurisée, route et simulateur.
Les exercices s'effectuent à vitesse réelle – à 90 kmh – sur piste, en conditions réelles de circulation.
Nous disposons d'outils d'évaluation et d'enregistrement de la conduite – G-Cam, freinographes ou encore Nod-box. Ces systèmes d'acquisition de données réelles permettent de faire revivre au conducteur les moments où il aurait pu mieux éviter un éventuel accident, par exemple en étant plus attentionné.
Lors des exercices pratiques, chaque véhicule embarque un formateur et trois stagiaires : ainsi, chacun peut non seulement bénéficier de la parole du formateur, mais aussi évoquer avec les autres stagiaires les points forts ou faibles de sa conduite. Il s'agit d'enrichir l'expérience de chacun et sa capacité à comprendre le point de vue des autres passagers.
Afin de favoriser la participation, l'échange et l'attention, mais aussi d'éviter toute déperdition liée à un trop grand nombre de stagiaires, les groupes comprennent entre 12 et 24 personnes.
Notre équipe comprend 40 formateurs titulaires du BEPECASER – Brevet pour l'exercice de la profession d'enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière.
Nous disposons d'un circuit automobile à Trappes, à 25 kilomètres de Paris – base de notre système depuis plus de vingt ans –, et sommes en relation avec une dizaine de circuits partenaires en France.
Quels sont nos résultats ? En moyenne, nous observons une diminution de 50 % des accidents de nos clients – une lettre d'EDF fait état d'une diminution de 53 % des accidents. Loin d'être liée à des modes de répression exagérés – toujours injustes –, cette réduction a pour origine notre système pédagogique, fondé sur l'enseignement de la compréhension des situations.
Cette diminution s'accompagne de deux autres : celle, bien sûr, des coûts liés aux accidents, mais aussi celle de la consommation moyenne de carburant : consommer moins non seulement réduit les émissions de CO2, mais coûte aussi moins cher ! J'ai été l'un des précurseurs de cette démarche. Après leur formation, nos stagiaires consomment en moyenne 12 % de carburant de moins, avec la même voiture.
Avec des moyens modestes, nous sommes devenus le premier organisme de formation automobile postérieure à l'obtention du permis. Nos clients – nous comptons parmi eux de très grandes entreprises telles EDF ou Total – nous font part d'un taux élevé de satisfaction, et nous constatons une confiance renouvelée de leur part.
Lorsque j'ai envisagé la création de ce centre, en 1980, cinq ans après avoir abandonné la course automobile à très haut niveau, j'avais pour motivations la perte de mon frère et de mon épouse, mais aussi la connaissance que j'avais acquise, par la course automobile, que bien des éléments peuvent permettre de diminuer le risque : lorsque je courais en Formule 1, dans les années 1970, chaque saison voyait la mort de deux ou trois pilotes connus. Aujourd'hui, les morts sont infiniment moins nombreux alors que, compte tenu de l'accroissement considérable de la vitesse des voitures de course, la force de gravité transversale, qui s'exerce dans les virages sur un pilote de Formule 1, peut atteindre 4 ou 5 G, contre 2 ou 2,5 G à l'époque. Cette diminution du nombre des morts sur les circuits est certes due à l'évolution de la structure des voitures mais aussi à celle des structures des circuits.
L'amélioration de la structure des routes et de leurs abords peut être la source, en France comme ailleurs, de progrès considérables. Si je considère que le tracé des autoroutes est globalement fonctionnel, je suis parfois ébahi par les aberrations de celui de certaines routes, avec des passages très rétrécis ou des trottoirs à angle vif, facteurs potentiels d'accidents mortels – lesquels seront peut-être ensuite attribués à une surconsommation d'alcool ou à un excès de vitesse du conducteur, alors que ce n'en est pas la cause réelle.
D'autres actions sont encore à conduire pour diminuer le nombre et la gravité des accidents. Je pense par exemple à la fluidification du trafic par la coordination informatique des feux rouges en fonction de la vitesse, comme aux États-Unis ou sur le boulevard périphérique de Paris.