Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour essentiel qu'il soit, le débat qui nous a animés autour de ce texte n'en revêt pas moins un caractère profondément paradoxal.
En effet, le projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française a vocation, si l'on en croit la présentation qui en a été faite, à répondre à l'instabilité chronique et, pour tout dire, au véritable chaos institutionnel qui semble s'être emparé de la collectivité polynésienne avec l'entrée en vigueur du statut de 2004, auquel nous nous étions opposés à l'époque.
Mon propos ne consiste nullement à nier l'urgente nécessité d'essayer de s'attaquer à cette instabilité. Depuis cette date, c'est-à-dire depuis plus de sept ans, ce ne sont pas moins de onze gouvernements qui se sont succédé à la tête de la Polynésie avec, en arrière-plan, des majorités en recomposition permanente, fluctuant au gré des intérêts, voire parfois simplement des humeurs de chacun.
De surcroît, la seule lecture de la liste des présidents de la Polynésie française élus depuis 2004 suffit à illustrer le caractère très artificiel des alternances en cascade. Ce sont ainsi seulement trois noms qui se succèdent immanquablement : MM. Tong Sang, Temaru et Flosse, alternativement alliés ou ennemis jurés et dont la complicité n'a de cesse de ruiner la Polynésie.
Pour autant, force est de le reconnaître, en posant aujourd'hui la question du mode de scrutin pour l'élection de l'Assemblée de la Polynésie française, nous prêtons, à notre tour, le flanc à la critique, puisque ce texte ne constituera rien de moins que la troisième réforme électorale votée par le Parlement depuis l'adoption de la loi organique statutaire de 2004. Nous engageons donc également – il importe que nous en soyons tous conscients – le peu de crédibilité que nous avons nous-même gardé en Polynésie après le regrettable épisode de la double réforme de 2007.
Ne nous en cachons pas, avec ce projet de loi organique, la République abat sans doute aujourd'hui l'une de ses dernières cartes car si l'instabilité politique a profondément contribué au marasme économique dans lequel se trouve à présent plongé l'archipel, elle a également permis la montée en puissance, au sein de la population, d'un sentiment dommageable de défiance à l'égard de la France, accusée d'être incapable d'assurer le fonctionnement normal des institutions polynésiennes et le développement économique du territoire.
Sur le fond, la réforme électorale qui nous est proposée dans sa version remaniée par le Sénat ne favorisera ni le pluralisme – en témoigne le seuil retenu pour l'accès au second tour, trop élevé pour espérer mettre fin au tête à tête entre M. Flosse et M. Temaru – ni la responsabilité politique, le seul remède trouvé par le législateur à l'instabilité politique de la Polynésie étant la centralisation du bénéfice de la prime majoritaire dans le cadre de la circonscription unique.
Ne nous faisons pas d'illusion sur les effets de cette réforme. C'est là, malheureusement, un fait établi : aucune loi électorale n'a jamais atteint, à elle seule, les objectifs qui lui étaient assignés. Pour ne pas reprendre l'éternel exemple du passage à la proportionnelle pour les élections législatives de 1986, je prendrai celui de la loi électorale votée en 1951, lorsque, à travers le système des apparentements, la coalition du MRP et de la SFIO de l'époque entendait « ghettoïser » le parti communiste tout en poussant les gaullistes à rentrer dans le système institutionnel pour stabiliser politiquement la IVe République avec, au final, le succès que chacun connaît.
Ce qui est en cause en Polynésie, ce n'est pas un mode de scrutin ; ce sont les comportements. Pour le Nouveau Centre, plus que d'une nouvelle réforme électorale, c'est bien d'un renouvellement de son personnel politique que la Polynésie a besoin.
Au-delà cependant des seules questions électorales, ce projet de loi organique procède également à l'ajustement de certaines règles et procédures fixées dans le statut de la collectivité. Il en va ainsi des conditions de présentation et d'adoption des motions de défiance et, par parallélisme, des motions de renvoi budgétaires.
À cet égard, si le relèvement du seuil permettant la présentation d'une motion de défiance semble largement opportun, tant l'Assemblée de Polynésie a fait ces dernières années de cette procédure un usage immodéré, je voudrais néanmoins émettre certaines réserves quant à l'exigence d'une majorité représentant les trois cinquièmes des membres de l'Assemblée pour faire chuter le gouvernement et son président.
Si cette initiative procède indéniablement d'une intention louable, elle présente toutefois le risque de laisser l'Assemblée de Polynésie s'enliser dans une impasse institutionnelle, notamment dans l'hypothèse où un gouvernement ne serait plus en mesure, faute de majorité absolue, de faire adopter ses délibérations, sans pour autant recueillir l'hostilité des trois cinquièmes de l'Assemblée.
Plus largement, je veux, cette fois, saluer sans réserve les mesures destinées à moraliser la vie politique polynésienne. Qu'il s'agisse de la limitation du nombre de ministères pouvant composer le gouvernement, de l'instauration d'un mécanisme de plafonnement des possibilités de cumul des indemnités, ou encore du contrôle de la masse salariale que représentent les membres des cabinets ministériels de l'archipel, ce sont là des mesures qui, si elles semblent encore pouvoir être complétées, permettront de traiter la véritable origine du mal dont souffre la Polynésie française.
Je voudrais insister également sur la suppression de la possibilité actuellement reconnue à l'Assemblée de la Polynésie française de renverser chaque année son président. Celui-ci sera désormais élu pour toute la durée de la mandature : ce sera toujours un poste de moins à négocier et à s'échanger entre deux élections.
Pour autant, madame la ministre, mes chers collègues, ces mesures ne suffiront sans doute pas et ce texte ne pourra, à lui seul, rétablir la confiance des électeurs polynésiens qui ne savent aujourd'hui que trop à quoi s'attendre de la part de leurs responsables actuels.
C'est pourquoi, et je conclurai par ce point, je voudrais renouveler mes réserves quant à l'éventuelle tenue d'élections anticipées, une fois ce texte entré en vigueur. Il importe de donner aux électeurs la possibilité de juger leurs responsables actuels sur leurs actes à la date prévue initialement, c'est-à-dire dans deux ans. Ils pourront alors, en écartant le tandem infernal formé par M. Temaru et M. Flosse, élire des responsables dignes et efficaces et redonner ainsi un avenir à leur territoire.