Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mlle Bouhezila voulait se marier ; elle découvre qu'elle l'est déjà, à un homme dont elle ignore l'existence. Son identité avait été utilisée pour permettre un mariage blanc. Depuis dix ans, Mlle Bouhezila ne parvient pas à faire effacer le faux mariage de son état civil.
Manuel se trouve à payer des mensualités de 6 000 euros pour un crédit que des fraudeurs ont obtenu en usurpant son identité. Des taudis insalubres ont été acquis dix fois leur valeur par Manuel, « à l'insu de son plein gré»! Sami est lyonnais et désormais interdit bancaire. Victime d'un vol de son identité par un fraudeur, il ne peut plus avoir de compte bancaire, en raison de ceux qui ont été ouverts en son nom. Gabriel a été l'objet d'un redressement fiscal et de la visite d'huissiers, parce que d'autres personnes ont travaillé sous son identité ; il a été interdit bancaire pendant cinq ans.
On pourrait ajouter de très nombreux cas, par exemple celui de la personne convoquée régulièrement par les tribunaux parce que son propre frère commet des grivèleries sous son identité. Celui d'un projet de mariage que ne peut mener à bien un célibataire qui désespère de prouver qu'il n'est pas marié. Son identité, là encore, a été usurpée, et ce « vol » détruit littéralement la vie de la victime et, bien sûr, ses libertés essentielles. Pensons également à ceux qui ne résistent plus à la déstructuration de leur identité administrative, à l'impossibilité de prouver qu'ils sont eux-mêmes, et qui attentent à leur propre vie par le suicide…
Le problème est donc posé : il y a, d'une part, la protection de l'identité d'une personne et de la capacité que cette personne a de vivre dans notre société en pouvant faire des choix essentiels et les assumer ; il y a, d'autre part, la nécessité de protéger les libertés individuelles et de défendre la notion de liberté publique. Un discours abstrait peut donner l'avantage aux secondes sur la première, mais il ne résiste pas à la logique. Voler à une personne son identité, lui faire commettre apparemment des actes qui ne sont pas les siens, l'empêcher d'agir comme elle le souhaite, voilà l'atteinte la plus profonde à ce qui fait le droit humain fondamental : être soi-même et agir librement dans le respect des lois.
Montesquieu écrivait fort justement que la liberté, chez un citoyen, venait du sentiment que celui-ci a de sa sûreté. Dans son discours de Harvard, Soljenitsyne regrettait l'avantage que l'Occident avait tendance à donner à la liberté de mal faire par rapport à la liberté de bien faire.
C'est pour cette double raison qu'il convient aujourd'hui de voter un texte qui vise à protéger l'identité d'une personne, c'est-à-dire sa sûreté, c'est-à-dire sa liberté contre les fraudeurs, les faussaires, les aigrefins de tout poil.
Dans cette démarche, il convient d'obéir à deux préoccupations, d'abord celle de l'efficacité, ensuite celle des limites nécessaires à imposer à la protection de l'identité pour que celle-ci n'entraîne pas une atteinte aux données personnelles, voire une utilisation de ces données personnelles à des fins contraires à la liberté. Ce serait en effet passer de Charybde en Scylla.