Vous aviez annoncé une structure souple permettant de s'adapter aux contraintes de l'exercice de la médecine dans des zones sous-dotées ou difficiles, afin de faciliter l'accès aux soins pour ces populations souvent âgées ou fragiles, à l'instar, par exemple, des centres de santé, qui, outre leur efficacité en matière de santé publique, offrent des tarifs conventionnels, le tiers payant ainsi qu'un cadre de travail salarié sécurisé et collectif, répondant aux aspirations des jeunes médecins de plus en plus nombreux à souhaiter ce mode d'exercice. Au lieu de cela, vous mettez en place des maisons de santé de type entrepreneurial facilitant l'installation de professionnels libéraux qui, bien qu'ayant bénéficié de fonds publics, pourront continuer à pratiquer des dépassements d'honoraires. Alors que nous avions proposé et voté en commission l'application dans ces maisons du tarif opposable, vous êtes revenus sur cette disposition en séance publique. Vous renoncez donc à faciliter l'accès aux soins pour les usagers et inscrivez dans la loi une disposition qui revient à subventionner les dépassements d'honoraires avec de l'argent public, ce qui est un comble.
Dans la même logique, qui privilégie le dogme ultralibéral quels que soient les arguments liés à la santé, toutes les propositions visant à supprimer, limiter ou seulement encadrer les dépassements d'honoraires ont été repoussées, en dépit de l'alerte lancée par l'assurance maladie, qui évaluait, en mai dernier, à plus de quatre spécialistes sur dix et à un médecin généraliste sur quatre en moyenne le taux des praticiens exerçant en secteur libre et chiffrait les dépassements à 54 % en moyenne par rapport au tarif opposable.
De plus, arguant du coût élevé de certains types de soin, notamment optiques ou dentaires, vous avez ajouté un article qui aligne les mutuelles sur le statut des assurances. Plutôt que de créer des réseaux fermés, de dénaturer l'esprit mutualiste et d'autoriser la modulation des remboursements, vous feriez mieux de revaloriser le remboursement de ces soins par le régime général.
En étendant le champ de la solidarité nationale, vous auriez pu améliorer la situation de tous ceux qui se trouvent au-dessus des plafonds pour bénéficier de la CMU mais qui restent trop modestes pour s'offrir une mutuelle. Ceux-là ne pourront toujours pas aller chez le dentiste ou l'opticien conventionné, car ils n'auront toujours pas de complémentaire santé.
Je comprends que la directive européenne « Solvency II », attendue avec impatience par le Gouvernement et les grands assureurs privés, corresponde mieux que mes propositions à vos objectifs, puisque son ambition est, non pas, contrairement à ce qu'elle affiche, de protéger les consommateurs ou les patients, mais de constituer un secteur assurantiel européen compétitif à l'échelle mondiale et fortement capitalisé qui générera – mais cela ne vous gêne pas – un système de protection sociale à plusieurs vitesses.
Ainsi, au fil des différentes lectures, ce texte, qui est essentiellement un faire-valoir, est devenu un véhicule législatif fourre-tout, fouillis et totalement inefficace, voire dangereux en matière de santé publique. Cette situation est d'autant plus insupportable que l'état de la médecine en France se dégrade de jour en jour et que les véritables difficultés s'accumulent. Pendant ce temps, les ARS organisent ce qu'elles appellent des regroupements d'hôpitaux, qui sont en réalité des fermetures de lits et de services, éloignant de plus en plus les établissements publics de santé des patients et fragilisant leur fonctionnement.
Cette double spirale, qui consiste à mettre à mal les établissements publics de soins et à privilégier le laisser-faire en matière de médecine libérale, va continuer d'accroître les inégalités criantes d'accès aux soins et de favoriser les renoncements aux soins, qui se multiplient dans des proportions inédites en France. Si l'on y ajoute les récents décrets, notamment celui du 24 juin, qui supprime l'hypertension artérielle sévère de la liste des affections ouvrant droit à une prise en charge à 100 %, ce qui conduit notamment à la multiplication des insuffisances cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux, on s'aperçoit que nous assistons à un véritable recul en matière de prévention et de soins, en matière de santé.