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Intervention de Catherine Lemorton

Réunion du 7 juillet 2011 à 9h30
Modification de la loi portant réforme de l'hôpital — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Lemorton :

Ensevelie sous les ajouts que la majorité UMP n'a cessé de lui apporter, elle va avoir du mal à avancer !

Lors du premier examen de ce texte, je m'amusais du terme « délégiférer », avancé par le Président de la République au lendemain de la déroute électorale des élections régionales, pour vous interpeller sur le temps extrêmement court entre le vote de la loi HPST et la discussion de cette proposition de loi de recadrage, alors qu'un rapport d'information sur la mise en application de la loi initiale, portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, devait être rédigé par MM. Jean-Marie Rolland et Christian Paul, deux ans après la mise en application de la loi.

D'ailleurs, il est à noter qu'on a tellement réformé l'hôpital que le terme lui-même n'existe plus dans la loi ; il a été remplacé par l'expression plus vague d'« établissement de santé », public ou privé.

Aujourd'hui, je m'interroge surtout sur le montage législatif que la majorité a voulu créer et pour quelles motivations. Cette PPL est devenue un fourre-tout, véhicule législatif d'opportunité dans lequel ont été intégrées des propositions de loi en attente, ayant certes fait l'objet de discussions mais qui auraient mérité sans doute, le temps passant, des réajustements ou adaptations ; je pense à la PPL sur le dépistage précoce de la surdité mais surtout à la PPL concernant le dossier médical sur clé USB – nous aurons l'occasion d'y revenir dans la discussion, car il faudra m'expliquer comment nos compatriotes vont pouvoir se retrouver dans cette superposition des systèmes de support.

Bref, si l'on doit poser un premier regard objectif sur ce texte, nous ne pouvons que constater qu'il illustre le manque de préparation et d'organisation dont fait preuve l'actuelle majorité. Concernant le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi, nous ne cessons de dire, sur les bancs de cet hémicycle, que la santé des Français et de leur système de soin est pourtant fragilisée par les coups portés par ce gouvernement. Cela est désormais prouvé.

Ainsi, à mesure que se creusent les inégalités sociales, les difficultés d'accès aux soins s'enracinent et la santé des populations les plus modestes se dégrade. Entre la première et la seconde lecture de la loi HPST 2, ainsi que nous l'appellerons, le livre du professeur Vigneron, Les inégalités de santé dans les territoires français – État des lieux et voies de progrès, est venu apporté un éclairage sur la dégradation de la santé des Français. Selon lui, les inégalités « s'aggravent depuis plus de vingt ans. Dans 61 % des cantons français, la mortalité prématurée augmente. Le risque de mourir peut varier du simple au double en quelques kilomètres. Cette fracture des territoires reste masquée par un progrès global ; on se focalise sur la moyenne nationale qui reste bonne, en oubliant la grande dispersion des valeurs locales qui, elles, s'enfoncent. C'est extrêmement dangereux. » Dans une interview du 3 juin dernier, il ajoute : « Les déserts médicaux passent maintenant des cantons aux arrondissements, de ceux-ci à des départements entiers comme la Mayenne, l'Eure, la Nièvre, voire à des régions entières comme le Centre, la Champagne-Ardenne, etc. » Je citerai enfin la quatrième de couverture de son ouvrage : « Les inégalités territoriales de santé constituent une forme insidieuse et silencieuse des inégalités sociales de santé. De nombreux habitants vivent en marge des centres et, donc, du dynamisme socio-économique et des revenus qu'il génère : zones rurales reculées, centres et banlieues déshérités. Aux problèmes de l'accessibilité économique se mêlent ceux de l'accessibilité géographique. »

Ces inégalités sont donc sociales et territoriales, et c'est précisément sur ces deux plans que le Gouvernement porte le fer ou plutôt affaiblit la politique publique. Il déstabilise, plus qu'il ne le transforme pour améliorer sa performance, notre système de soin.

La surmorbidité des couches moyennes et populaires vivant dans les zones urbaines de banlieue, combinée à la politique de restructuration de l'hôpital et à la désertification médicale, est grandement responsable de l'aggravation de la précarité de vie des personnes concernées. Et pourtant, ce sont ces mêmes personnes fragiles qui doivent encore payer plus pour couvrir des besoins qui augmentent, frappées par les franchises, les frais de transport dont le remboursement est limité, les forfaits divers et variés, les dépassements d'honoraires auxquels vous ne vous êtes toujours pas attaqués, autrement qu'en usant de cette expression dénuée de sens : « avec tact et mesure ».

Malgré cet éclairage édifiant, le Sénat n'a pas rétabli les mesures qui auraient permis d'amoindrir les problèmes, comme nous le proposions avec l'instauration de certaines dispositions relevant de l'intérêt sanitaire général et essentielles pour la population.

Je ne reviendrai pas ici sur le caractère opposable du SROS ambulatoire. Nous ne demandions pas de mesures de confort mais l'accès aux soins de premier recours, comme l'accès à une maternité, ce qui n'est pas un luxe. Car pour s'offrir une médecine de qualité il y aura désormais le choix du privé cher ou du public lointain.

Entre deux lectures au Parlement, une autre étude est venue conforter l'analyse que font les patients, élus de terrain, députés. Cette étude de la DRESS, service du ministère de la santé, est parue dans un dossier publié par un grand quotidien national, lu par des millions de Français. Et en effet, madame Boyer, ceux-ci sauront faire la différence, et pas forcément en votre faveur… Cette étude fait ressortir des situations parfois alarmantes. 2 % des femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans résident à plus de quarante-cinq minutes par la route d'une maternité, ce qui représente 200 000 personnes. Mais ce pourcentage culmine à 31 % en Corse, et reste trop élevé en Limousin – 11 % des Françaises –, en Franche-Comté – 8 % – et en Poitou-Charentes – 7 %. Et le journal de préciser que « les situations les plus explosives concernent les maternités pour grossesses à risques, ou de niveau 3 : aujourd'hui, 94 % des Françaises résident à moins d'une heure trente de ces centres spécialisés, mais 6 % d'entre elles, soit 600 000 femmes, n'ont pas accès à une maternité adaptée dans un délai répondant aux normes de sécurité – à moins d'une heure trente. Notamment en Corse, une partie de la Bourgogne et le nord de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon ainsi qu'une partie de Provence-Alpes-Côte d'Azur. »

C'est pourquoi nous avions déposé des amendements et même une proposition, dont vous vous êtes gaussés, portant sur l'instauration d'un bouclier rural pour garantir la présence des services publics. Ces propositions, vous n'en avez pas tenu compte et n'avez même pas voulu en entendre parler !

Dans la loi HPST, un alinéa de l'article 20 prévoyait de réformer la biologie médicale par voie d'ordonnance. En mars 2009, l'abandon de cet alinéa fut voté à l'unanimité sur ces bancs, sur une promesse de Mme Bachelot, pour qui la réforme de la biologie médicale méritait un débat parlementaire. Que nenni ! L'ordonnance a été publiée en janvier 2010, fruit du travail accompli par l'ensemble des professionnels concernés, pharmaciens et médecins biologistes, autour du rapport Ballereau. Mais, subitement, on ne sait pour quelle raison, en pleine discussion de la loi de bioéthique, cette ordonnance est tombée. Nous avons – et je pense que mes collègues de la majorité le confirmeront – été harcelés d'appels par les biologistes, qu'ils soient pharmaciens ou médecins, qui ne comprenaient pas ce qui se passait. Et j'attends de voir la manière dont vous allez vous dépêtrer de la confusion et du bourbier où vous avez plongé les biologistes !

Autre sujet, les SISA et, plus particulièrement, la place des pharmaciens au sein de celles-ci. Il me semble que les travaux de la commission ont rétabli un peu d'égalité mais, lors de la première lecture, contre l'avis du Gouvernement et de la rapporteure, la majorité UMP avait décidé de priver une partie des pharmaciens de l'accès à la participation aux SISA. La raison en était donnée à l'époque par notre collègue Guy Malherbe qui voudrait aujourd'hui – et tant mieux ! – y intégrer tous les pharmaciens : « Ce serait préférable, car il ne me paraît pas opportun qu'un pharmacien-adjoint, qui exerce à titre de salarié dans une officine, puisse être associé à titre personnel dans la SISA, alors que les nouvelles missions prévues par la loi HPST ont été confiées aux pharmaciens d'officine. » Curieux, vous l'avouerez : avec le même diplôme, dans le même lieu, les personnes, en l'occurrence les pharmaciens, n'auraient pas les mêmes compétences. Il y aurait ceux qui ont les moyens de posséder une officine, et les autres. C'est inacceptable ! Heureusement, tout cela a été remis d'équerre. Là encore, les sénateurs ont fait preuve de plus de sagesse que nos collègues députés de la majorité.

Toujours sur le sujet des SISA, nous vous rappelons que la problématique du maillage territorial en termes d'accès aux soins est loin d'être réglée. Si l'idée du SISA semble aller dans le bon sens, si les jeunes praticiens semblent montrer une appétence particulière pour les formes de coopérations interprofessionnelles, maisons de santé ou autres, il est important de proposer des mesures fortes concernant leur implantation sur l'ensemble de notre territoire national.

Au vu des déserts médicaux qui s'installent peu à peu, il est étonnant que, selon l'article 1er alinéa 15, une SISA doive compter au minimum deux médecins et un auxiliaire médical ; il aurait été plus judicieux et tout simplement plus en phase avec la réalité de prévoir un médecin, un pharmacien et un auxiliaire médical.

Autre sujet sensible, celui des conflits d'intérêts. J'avais évoqué en première lecture le rejet systématique des amendements proposés par le groupe SRC avec le soutien du groupe GDR et issus du rapport de la MECSS consacré au médicament, pourtant voté à l'unanimité. J'avais également évoqué l'espoir de ne pas voir ces amendements rejetés lors de l'examen de ce texte sous l'argument des Assises du médicament, lesquelles devaient donner lieu à un projet de loi, censé être l'alpha et l'oméga de toute notre politique du médicament et régler tous les problèmes soulevés par mon groupe depuis deux ans et demi.

Lors des débats, Mme la secrétaire d'État Nora Berra avait fait tomber nos amendements en avançant le fait « qu'il s'agi[ssai]t d'élargir le dispositif aux autres professions », hors du seul champ médical. Soit. Durant les débats au Sénat, l'argument pour éviter tout renforcement du texte fut celui, nous le connaissons, des Assises du médicament. Retour d'une vision plus « médicale » de la gestion des conflits d'intérêts… Quelles seront les raisons invoquées aujourd'hui pour rejeter une fois encore nos amendements ? Quels seront les arguments utilisés pour ne pas évoluer vers un plus fort encadrement ? Pourquoi attendre plus longtemps ce projet de loi sur les médicaments ?

Mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur de déceler et de punir les conflits d'intérêts, quand ils influent sur la décision prise au nom de l'intérêt général : il en va de la crédibilité de l'expertise française. Je le rappelle le conflit d'intérêt n'est pas un gros mot !

Nos collègues sénateurs, qui, décidément, ne manquent pas de sagesse, avaient été jusqu'à proposer des amendements définissant des obligations de déclaration par les entreprises pharmaceutiques ou celles assurant des prestations remboursées par la sécurité sociale, de leurs liens avec des professionnels de santé, sanctionnant pénalement le non-respect des obligations de déclaration. J'ajoute à cela que c'est à la HAS de rendre publiques ces déclarations et non aux ordres professionnels, ce qui reviendrait à entretenir d'autres conflits d'intérêts.

Autre exemple éclairant de votre manque de volonté, l'article qui prévoyait des pénalités financières à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 1434-8 du code de la santé publique, article impliquant par ailleurs les agences régionales de santé et créant les contrats santé solidarité afin de lutter contre les déserts médicaux. Cet article a disparu de la loi et n'a pas été réintroduit, à notre grand regret, de même que le fait de déclarer ses congés pour un médecin – la discussion générale nous donnera l'occasion de revenir sur les raisons de cette PPL Fourcade.

Comme l'ont abondamment souligné nos débats lors de la première lecture, il ne s'agit plus de savoir si l'accès aux soins est de gauche ou de droite. L'accès à la santé est un droit constitutionnel auquel vous portez un coup, par manquement à la responsabilité de remédier à un tel état de fait. Je vous renvoie à l'avis du Conseil d'État, saisi par la FNATH et l'ANDEVA en 2009, sur le sujet des franchises médicales.

Libres de s'installer, les professionnels de santé sont aussi libres de pratiquer sans entraves les dépassements d'honoraires, puisque vous ne voulez pas qu'exerçant dans les maisons de santé, financées pour tout ou partie par de l'argent public, ils soient obligés de pratiquer des honoraires à tarif opposable – cela fera l'objet d'un amendement déposé par nos collègues du groupe GDR.

L'article 22 supprimé par la commission des affaires sociales au Sénat concernait le conventionnement mutualiste. Nous l'avons réintroduit dans le texte en commission.

Pour ce qui est de l'article 9 quater relatif à l'apparence des médicaments génériques, je rappelle que nous devons faire preuve de fermeté, en réaffirmant la politique du générique et en la défendant contre les attaques dont elle est l'objet alors même qu'elle permet d'économiser près d'un milliard d'euros par an – nous en avons parlé il y a peu de temps au ministère, monsieur le ministre.

Je conclurai mon propos en évoquant l'éducation thérapeutique. Pardonnez-moi d'y revenir, mais certains de nos collègues n'ont pas compris de quoi il s'agissait.

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