Je partage totalement l'analyse de Jean Michel ; j'ajoute que désormais l'innovation civile tire souvent l'innovation militaire alors que l'inverse était précédemment la règle.
Le constat alarmant que nous venons de vous présenter n'est pourtant pas nouveau et il est partagé par l'ensemble des acteurs du secteur. Pour remédier à cette situation, des actions ont déjà été engagées. On commence à distinguer les prémices des politiques publiques en faveur de PME de défense.
Nous ne pouvons que nous féliciter du fait que les PME sont désormais un enjeu identifié par tous les acteurs et par le ministère de la défense en particulier. Le ministre Hervé Morin a par exemple créé une mission « PME » chargée de faciliter le dialogue entre les services de l'État et ces entreprises. Il a également donné la priorité aux PME lorsqu'il a fallu rattraper les retards liés à CHORUS.
Parallèlement de nouveaux dispositifs financiers ont été mis en place. Le régime d'appui à l'innovation duale, dit RAPID, soutient et subventionne les projets d'innovation stratégiques des PME ayant des applications militaires comme civiles. Salué unanimement, il est financé par la DGA grâce à une dotation annuelle du fonds de compétitivité des entreprises (FCE) qui s'élevait à 10 millions d'euros en 2010. Elle est passée à 40 millions d'euros en 2011 et pourrait augmenter encore dans les années à venir. Tout le monde s'accorde à reconnaître que le système fonctionne bien. L'État s'engage également au travers des pôles de compétitivité ou du programme OSEO qui est un organisme public de financement et qui intervient au travers de prêts.
Les collectivités territoriales s'impliquent elles aussi en faveur des PME : la région Aquitaine a par exemple investi quelque 10 millions d'euros en faveur du laser civil. En la matière il faut veiller à la cohérence territoriale de ces actions, la DGA et les régions soutenant parfois des projets différents et potentiellement concurrents.
Des actions de plus long terme ont été lancées en plus de ces soutiens conjoncturels. Les PME peinent souvent à se développer et à devenir des entreprises de taille intermédiaire en raison de l'insuffisance de capitaux. Les ETI ont d'ailleurs des difficultés à durer : 10 % d'entre elles ont disparu dans les cinq dernières années. Le fonds stratégique d'investissement (FSI) a justement été créé en 2008 pour pallier cette difficulté. La défense a également encouragé le développement de fonds plus spécialisés qui réunissent la caisse des dépôts et les grands acteurs du domaine. Aerofound, spécialisé dans le domaine aéronautique et spatial, a par exemple géré 36,2 millions d'euros en 2010, répartis en interventions dont le montant a varié entre un et quatre millions d'euros.
La crise a conduit les PME à développer elles-mêmes de nouvelles solutions. La base industrielle française apparaissant trop fragmentée, les entreprises ont cherché à se regrouper pour améliorer la circulation de l'information, pour mieux se faire connaître, voire pour procéder à des rapprochements capitalistiques. Vous connaissez le rôle éminent joué par les organisations professionnelles que sont le GICAN, le GICAT et le GIFAS. J'indiquerai simplement qu'elles comprennent toutes un comité ou une commission dédié aux PME. Malheureusement, l'essentiel du financement de ces organisations provient des grands groupes, ce qui entretient encore la dépendance.
À leur côté, des groupements transversaux ont émergé : il s'agit du comité Richelieu et du pacte PME. Créé en 1989 par cinq dirigeants de PME en collaboration avec la DGA, le Comité Richelieu regroupe 300 PME adhérentes et 4 027 PME associées. Il couvre un large spectre d'entreprises comptant parmi ses membres des start-up, des PME et des ETI. Il cherche à aider ces entreprises à s'épanouir financièrement et technologiquement dans le but de conquérir de nouveaux marchés nationaux et internationaux. Créé en 2010, le pacte PME prolonge cette initiative et l'étend à encore plus de partenaires et de secteurs. Contrairement aux groupements sectoriels, le Comité Richelieu et le Pacte PME sont des organismes qui souhaitent améliorer les relations entre toutes les PME innovantes et les grands groupes sans se limiter à un domaine particulier. Ils veillent par exemple à ce que les PME de défense accèdent bien à l'information technologique détenue par l'État : il n'est pas possible de répondre aux appels d'offre sans connaître en amont les besoins des armées.
J'aimerais maintenant insister sur une initiative particulièrement pertinente portée par la chambre de commerce et d'industrie de Rhône-Alpes. Les PME de défense de la région se sont en effet regroupées au sein d'un cluster baptisé EDEN. Il s'agit de partager les données sans être nécessairement en concurrence. Actuellement, le cluster comprend 46 entreprises, la sélection reposant sur des critères objectifs comme la localisation géographique, l'obligation d'être une entreprise française, d'avoir une trésorerie et des comptes sains, mais aussi et surtout sur une approche subjective. EDEN recherche en effet des PME possédant un fort esprit de camaraderie et un sens profond du partage et de l'action commune. Le cluster donne de la visibilité aux PME en participant par exemple à des grands salons internationaux : seules, les PME n'auraient pas les moyens d'y être représentées. Il a également organisé des rencontres avec les armées pour que les PME puissent leur présenter leurs produits et qu'elles nouent ainsi des contacts directs.
Le concept fonctionne très bien et d'autres régions comme la Bretagne et l'Aquitaine envisagent de le reprendre. Le retour d'expérience du cluster montre bien que lorsque des PME travaillent ensemble, avec un principe fort de solidarité, elles peuvent aller plus loin et plus vite.
Vous le voyez, il existe donc une dynamique forte en faveur des PME. Pourtant, les initiatives que nous vous avons présentées souffrent d'une trop grande dispersion. Si nous voulons véritablement améliorer la situation des PME, et partant, soutenir la croissance et l'emploi dans notre pays et dans nos territoires, il nous faut mettre en place une politique coordonnée et structurée en la matière.
Nous vous proposons trois pistes de réflexion. Il faut arrêter de limiter les PME à un rôle de simple sous-traitant. Elles peuvent tout à fait être des partenaires de premier rang, que ce soit en métropole ou à l'étranger. Ainsi une entreprise française qui a remporté un marché de 60 millions d'euros aux Émirats arabes unis ne parvient pas à accéder au marché national. De même à Singapour une société n'a pas bénéficié du soutien de notre attaché de défense quand l'ambassade d'Allemagne mettait tous ses moyens à la disposition du concurrent, y compris en faisant venir un détachement de militaires. Au salon du Bourget, nous avons rencontré une start-up spécialisée dans la réparation rapide des réservoirs aéronautiques. Elle travaille directement pour l'armée de l'air américaine mais ne décroche aucun contrat en France car elle doit passer par tous les échelons intermédiaires.
Les PME sont également contraintes par les délais de traitement des autorisations d'exportation : souvent le délai de réponse est supérieur au délai prévu par l'appel d'offres. Il faut que les PME aient des partenaires particulièrement patients si elles veulent remporter un contrat à l'international.
Il faut revoir la politique d'allotissement des marchés de défense, et notamment des programmes d'études amont (PEA) qui sont trop souvent réservés à de grandes structures. Il faut aussi laisser à la DGA plus de souplesse dans la gestion de ses crédits : avec une enveloppe de 20 millions d'euros, elle pourrait ainsi intervenir rapidement pour soutenir l'innovation ou faciliter le développement d'une PME stratégique.
Nos représentations et nos attachés d'armement doivent aussi connaître et accompagner les PME à l'international : il appartient à la France de s'assurer que les PME sont bien représentées dans les grands salons et pas seulement comme faire-valoir des grands groupes.
Une réforme du code des marchés publics apparaît indispensable, ne serait-ce que pour mettre un terme aux exceptions en matière de défense en ce qui concerne le paiement direct des sous-traitants. Le taux de sous-traitance pourrait également être intégré aux critères retenus lors des appels d'offre. La comparaison est souvent faite avec le Small Business Act américain : sans contrainte réglementaire, je doute en effet que les pratiques évoluent.
Relancer l'innovation suppose également de protéger les découvertes. Le système actuel de brevets est long, coûteux et peu protecteur. Nous appelons de nos voeux un système européen harmonisé au plus vite. Pour ce faire, il faut définir un cadre général de la propriété intellectuelle des systèmes développés en commun. Le système de sous-traitance fait que la propriété de la PME disparaît souvent au profit du grand groupe. Ce pillage doit cesser et nous devons favoriser le développement d'une copropriété intellectuelle.
Tous ces éléments amélioreront indubitablement la situation des PME, mais nous n'y parviendrons pas sans revoir le montant des crédits alloués à la recherche de défense. Si nous voulons que notre pays soit encore un acteur international en matière d'industrie de défense, nous devons aujourd'hui lui donner les moyens de préparer l'avenir en investissant dans les secteurs stratégiques identifiés par le Livre blanc et la LPM.
Nous pouvons nous appuyer sur les PME pour atteindre cet objectif, à condition d'instaurer avec elles un partenariat franc et équilibré. L'agilité, la souplesse, l'imagination et la réactivité caractérisent ces entreprises ; à nous de faire preuve de ces mêmes qualités.