Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Henri Emmanuelli

Réunion du 12 juillet 2011 à 10h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Emmanuelli, rapporteur spécial :

La commission des Finances a demandé à la Cour des comptes une enquête sur la taxe de solidarité sur les billets d'avion et l'utilisation de ses recettes, en application de l'alinéa 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001.

L'enquête très complète de la Cour des comptes a pu surmonter les obstacles liés au contrôle d'entités de droit suisse ou anglais, et a dressé un bilan globalement positif, quoique nuancé, d'un mécanisme novateur. La commission des Finances, vous vous en souvenez, a procédé à l'audition de M. Alain Pichon, président de la formation interchambres de la Cour des comptes, des représentants du ministère des Affaires étrangères et de M. Philippe Douste-Blazy, président d'Unitaid. J'ai entendu pour ma part un membre du conseil d'administration de l'IFFIm, des responsables du groupe Gavi, le président de l'Agence française de développement et un représentant de Médecins sans frontières.

Usuellement dénommée « taxe Chirac » mais votée par le groupe socialiste, cette taxe, créée en collectif budgétaire pour 2005, est en vigueur depuis juillet 2006. Elle fait partie des financements innovants évoqués par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU du 20 décembre 2010, afin de contribuer aux Objectifs du millénaire pour le développement, sans grever les budgets des pays donateurs, ni se substituer à l'aide publique au développement. Avec la taxe sur les transactions financières, la France est à la pointe des propositions en la matière.

En ce qui concerne le bilan du dispositif, j'ai quatre remarques à formuler.

Sur le plan économique, le bilan de la taxe est plutôt satisfaisant. Malheureusement, la diffusion de la taxe est encore trop restreinte et n'a pas convaincu nos partenaires européens. Les autres pays développés participant au financement d'Unitaid et d'IFFIm comme le Royaume Uni, la Norvège et l'Espagne, ou encore à IFFIm seul, comme les Pays-Bas, ont mobilisé seulement des ressources budgétaires : ils ne font pas usage de la taxe sur leur territoire.

On peut regretter avec la Cour des comptes, quand il se vend 3 milliards de billets d'avion dans le monde par an, que l'utilisation de cette assiette innovante n'ait pas fait plus d'adeptes pour la pérennisation d'un dispositif de solidarité et d'avenir, et d'un montage original associant pays développés, ONG et pays émergents.

La France n'a été suivie que par quelques pays, presque tous extérieurs à l'Union européenne, comme le Chili, la Corée du Sud et divers pays africains. Il est dommage que nos partenaires allemands ne nous aient pas suivi dans l'adoption de la taxe. Toutefois, il est satisfaisant que les pays d'Afrique bénéficiaires des retombées de la taxe prennent part à la collecte et se soient engagés dès la mise en route de celle-ci. Quand des pays pauvres prioritaires contribuent au paiement de la taxe, ceux-ci ont plus de poids pour exiger, comme Madagascar, que l'affectation de la taxe aille en priorité vers l'Afrique.

Les aspects positifs du bilan portent principalement sur la santé publique des pays bénéficiaires : vaccination et lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Unitaid et Iffim, les organismes gestionnaires, se prévalent d'une dizaine de millions de personnes soignées, surtout des enfants depuis 2009, ainsi que d'un allongement significatif de l'espérance de vie des malades. Selon le ministère des Affaires étrangères le nombre de personnes soignées sur fonds français s'élève à plus de 5 622 000 malades.

Si Unitaid a pu faire baisser le prix des médicaments comme les antirétroviraux de seconde ligne pour les malades du Sida, il serait intéressant de comparer le coût des soins d'un malade du SIDA dans nos pays et le coût dans les pays aidés, grâce notamment aux médicaments majoritairement produits en Inde ou en Afrique du Sud. L'écart doit être considérable.

En revanche, du point de vue de la politique étrangère, le dispositif n'est pas satisfaisant. En effet, le choix de la France d'utiliser par priorité le canal multilatéral de l'aide au développement rend quasiment invisible l'aide française, et tous les opérateurs actuels, à l'exception du Gip Estheraid, sont étrangers.

Enfin, la gouvernance, la transparence et le contrôle du dispositif doivent être améliorés. Le rapport de la Cour a rappelé le manque de rigueur budgétaire de la Fondation du Millénaire lancée par M. Douste-Blazy, qui s'est soldée par le gaspillage de 12 millions de dollars. Ce rapport a fait la lumière sur les coûts et la complexité excessive de certaines structures dont certaines sont redondantes comme GFA, au sein du groupe Gavi, et dont la suppression permettrait d'économiser 30 millions d'euros en 20 ans.

La France s'est engagée à verser 1,239 milliard d'euros à Iffim d'ici 2016, pour un quart provenant de la taxe et pour trois quarts du budget de l'État. Avec 163 millions d'euros en 2010, le produit de la taxe est inférieur aux prévisions optimistes de 2005, et les engagements pris auprès d'IFFIm du versement de 10 % de la taxe risquent d'être insuffisants. D'autre part, les engagements récents du Président de la République envers le Fonds mondial du sida (plus 60 millions d'euros en 2012) ne sauraient être financés par les recettes de la taxe sur les billets d'avion. Ces contraintes incitent d'urgence à des économies de gestion et à une amélioration de la gouvernance des structures créées.

Je présenterais donc en conclusion cinq propositions.

La première tend à renforcer la cohérence des engagements publics en faveur des organismes chargés l'aide publique au développement. La France verse déjà 300 millions d'euros par an au Fonds mondial contre le sida, et des détournements portant sur 35 millions d'euros ont été constatés dans divers pays, si bien que l'Allemagne a suspendu sa contribution à cet organisme. Il serait très regrettable que l'accroissement de la dotation du Fonds mondial promise par le Président de la République vienne s'imputer sur l'utilisation des recettes de la taxe sur les billets d'avion, d'ores et déjà insuffisantes pour les structures actuelles.

Deuxième proposition : réexaminer la structure du groupe Iffim-GFA-Gavi en recherchant les économies de gestion. D'importantes économies de gestion, de l'ordre de 30 millions de dollars, comme je l'ai dit, seraient générées par la suppression de GFA auquel pourraît être substitué un comité d'audit auprès d'IFFIm ; la réduction des honoraires des avocats et l'utilisation des compétences de l'administration française seraient également sources d'économies .

Il convient ensuite de renforcer la gouvernance par les autorités françaises. Je me range, à cet égard, aux recommandations de la Cour des comptes pour demander une surveillance plus rigoureuse du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l'Économie sur l'activité des entités créées. Dépourvue de siège aux conseils d'IFFim et de GFA, la France siège au conseil de Gavi dont elle préside actuellement la commission des programmes. La tutelle de la direction générale du Trésor doit également être renforcée sur Unitaid pour éviter les errements passés. Les compétences et l'expertise de l'AFD pourraient être utilisées en appui de cet effort de la gouvernance française.

Il faut également renforcer les procédures d'audit interne et externe, clarifier la présentation des comptes, et renforcer la sélectivité du choix des pays aidés. Les audits interne et externe des structures Unitaid, et du groupe Iffim-Gavi laissent à désirer, comme les contrôles de leurs opérateurs, dont les trésoreries sont excessives. Des contrôles périodiques doivent être poursuivis dans les pays aidés pour conjurer le risque de détournements.

Je propose enfin d'améliorer la cohérence et la communication de l'effort français dans le contexte multilatéral. La France est impliquée et compétente dans la politique extérieure de la santé ; elle dispose de toute la force de l'Institut Pasteur et de laboratoires performants. L'absence d'opérateurs français – ou européens, à terme – est inacceptable.

En somme, l'effort de la France est réel. Il doit être plus utile et plus visible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion