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Intervention de Roland Courteau

Réunion du 8 mars 2011 à 17h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Roland Courteau, rapporteur :

– Cette étude, qui repose sur l'audition de près de 200 personnes et sur plusieurs missions, en France et dans les états riverains du Bassin, aboutit à un constat : l'état de la pollution de la Méditerranée est préoccupant et pourrait devenir très inquiétant à l'horizon 2030 si la communauté internationale ne réagit pas. Je tiens à rappeler que l'opinion commune suivant laquelle l'inertie des mers et des océans vient à bout de toutes les contaminations est une vue de l'esprit. Les polluants ne s'attaquent pas à des masses d'eaux salées, mais aux biotopes qui y vivent. Et, dans une mer demi-fermée dont les eaux ne se renouvellent qu'en un siècle, la rémanence de la pollution est beaucoup plus forte que dans les océans. La pression anthropique sur les milieux marins méditerranéens s'est amplifiée au cours des trente dernières années. La population des pays riverains a progressé en moyenne de 50 %, et de 101 % pour la seule rive Sud. Cette croissance urbaine s'est accompagnée de deux phénomènes :

- la littoralisation. La population des villes côtières atteint 145 millions d'habitants sur un espace restreint,

- et, l'urbanisation. La population urbaine a crû de 30 millions d'habitants. Outre de très grandes villes, il existe en Méditerranée deux mégapoles de dimension mondiale (Le Caire de 15 à 16 millions d'habitants et Istanbul de 13 à 15 millions d'habitants). Mais les rives du Bassin abritent également 85 villes dont la population se situe entre 300 000 et un million d'habitants.

Je dois aussi observer que, sur la rive Sud, se développe un habitat spontané qui regroupe de 30 à 50 % de la population urbaine. La multiplication des hommes a un corollaire, le développement de leurs activités dont les résidus finissent à la mer (80 % de la pollution du Bassin est d'origine tellurique). La Méditerranée accueille chaque année 30 % du tourisme mondial (275 millions personnes), avec comme conséquence immédiate un suréquipement du littoral et de fortes tensions sur les usages de l'eau en période d'étiage.

Pour ne pas lasser l'attention, je vais mentionner rapidement plusieurs autres sources de pollution :

- l'agriculture, avec son contingent de nitrates et de phosphates et son usage généreux des pesticides, en particulier sur la rive Sud,

- les pollutions industrielles, qu'il s'agisse de celles qui résultent de l'activité actuelle, principalement drainée par les trois grands fleuves de la rive Nord (Rhône, Pô, Ebre) ou de celles résultant d'industries « sales » (textile, engrais, cimenterie), qui ont été transférées depuis plus de 20 ans sur la rive Sud, ou encore de celles provenant de l'héritage du passé industriel : produits interdits comme les polychlorobiphényles (PCB), ou les polluants organiques persistants (POP) qui résident dans le lit des fleuves et sont périodiquement relargués en mer, en cas de crues.

A cela s'ajoutent les risques liés au trafic maritime. La Méditerranée voit transiter un tiers du trafic mondial avec deux facteurs de risques particuliers : l'âge des bateaux, notamment en Méditerranée orientale et le gigantisme des navires les plus modernes. Actuellement, on construit des porte-conteneurs de plus de 400 m de long qui, pour leur propre propulsion, emportent des cuves à carburant de plus de 20 000 m3, soit la cargaison de l'Erika.

Avant de faire un point, rubrique par rubrique, de l'état des différentes pollutions du Bassin, il me faut mentionner que ces pollutions sont beaucoup mieux mesurées sur le littoral que dans les milieux côtiers et que dans les grands fonds. Par ailleurs, les mécanismes de transfert de polluants entre ces trois types d'espaces naturels sont assez peu documentés.

Même si la Méditerranée est moins polluée que la Baltique, les métaux lourds y sont présents : le seul Rhône en charrie plus de 3 000 tonnes par an. S'agissant des contaminations chimiques, une mention spéciale doit être décernée aux polluants les plus dangereux (PCB, POP) qui, comme je l'ai déjà souligné, sont piégés par les sédiments des fleuves et graduellement réémis dans la mer. Car ces molécules sont persistantes dans l'environnement et s'accumulent dans la chaîne alimentaire.

L'élimination des nitrates et des phosphates qui proviennent des effluents des villes dépend à la fois du déploiement des équipements d'assainissement et de l'état de ces équipements. Si, sur la rive Nord, la situation devient satisfaisante, l'état de l'assainissement sur la rive Sud est un sujet de préoccupation. Seulement 44 % des villes de plus de 10 000 habitants y sont reliées à des stations d'épuration dont la maintenance n'est pas toujours satisfaisante. De plus, beaucoup de ces stations ne sont équipées que pour les traitements primaires, ou secondaires sur la base des seuls procédés physico-chimiques, ce qui exclut la destruction des nitrates et des phosphates par des procédés biologiques. Au total, la plupart des personnes entendues sur ce point estiment que 60 à 80 % des habitants de la rive Sud du Bassin, soit ne sont pas reliés à des réseaux d'assainissement, soit sont desservis par des systèmes d'épuration incomplets ou au fonctionnement intermittent.

Les pollutions émergentes proviennent principalement de la consommation de produits pharmaceutiques qui a doublé en 30 ans. La plupart de ces produits ont des effets écotoxiques, et ils sont très peu dégradés par les stations d'épuration. Au surplus, on connaît mal leurs métabolites de dégradation qui peuvent être plus dangereux que la molécule d'origine.

La concentration des populations sur le littoral a également eu pour résultat une multiplication des macro-déchets flottants en mer. Mais l'évolution la plus inquiétante est celle des micro-déchets qui sont des produits de dégradation des plastiques, d'une taille de l'ordre de 300 µ, sur lesquels se fixent les polluants persistants puis le phytoplancton – ce qui aboutit à leur transfert dans la chaîne alimentaire.

Enfin, je rappellerai qu'on évalue entre 100 000 et 200 000 tonnes par an le tonnage des rejets illicites d'hydrocarbures dans l'ensemble du Bassin.

Où en est la gouvernance de la lutte anti-pollution ? Il faut rappeler que, depuis plus de trente ans, les dispositifs de la Convention de Barcelone, qui regroupe l'ensemble des pays riverains, a abouti à la conclusion de nombreux accords de lutte contre la pollution dont l'application est supportée par une structure spécifique, le « Plan d'action Méditerranée » (PAM). Le bilan de cette action est en demi-teinte car beaucoup d'Etats de la rive Sud ne mettent pas en application les conventions qu'ils ont ratifiées.

L'Union européenne (UE) a été à la source d'un progrès décisif dans ce domaine : la construction progressive d'un droit convergent de l'environnement reposant principalement sur des directives, dont l'application insuffisante ou la méconnaissance peut être sanctionnée par la Cour de Justice de l'Union, est un progrès majeur. L'UE intervient aussi grâce à l'Agence européenne de sécurité maritime et à la Banque européenne d'investissement. A l'opposé, l'Union pour la Méditerranée (UPM) est encalminée. La volonté politique initiale d'organisation de la coopération au co-développement méditerranéen bute sur le problème des territoires occupés par Israël. Il en résulte que, même les réunions techniques (par exemple sur l'eau en 2010) ne peuvent déboucher, d'autant plus que les décisions doivent être prises à l'unanimité. Pour relancer l'UPM, il est donc nécessaire de déconnecter son organisation politique de ses instruments d'action dans le domaine du développement et de la protection de l'environnement.

La mise en cohérence de la recherche sur les problèmes des milieux marins méditerranéens est insuffisante. En France d'abord, où l'on ne peut que regretter que l'Agence nationale de la recherche n'ait pas constitué d'appels à projets sur ce problème. Entre les principaux organismes de recherche de la rive Nord ensuite. Ceux-ci, contrairement à leur homologues de la Baltique, n'ont pas su présenter des projets communs à l'occasion du 7ème Programme cadre de recherche et développement (PCRD).

Ces observations n'incitent pas à l'optimisme ; les grands traits d'évolution du bassin méditerranéen d'ici 2030 non plus. La croissance démographique va se poursuivre sur la rive Sud (+ 40 % pour les villes du littoral), la fréquentation touristique est appelée à progresser de 50 % (soit annuellement 130 millions de touristes supplémentaires). Ceci implique un accroissement des pollutions mais également des tensions sur l'usage de l'eau ; elle sera plus rare et plus polluée. Par ailleurs, les grandes lignes du changement climatique déjà acquis (élévation de la température de l'eau de mer de l'ordre de 2° C, accroissement de la salinité, baisse de 20 % de la pluviométrie sur la rive Sud) seront amplifiées d'ici à 2030. Et ceci, quoi que nous fassions, du fait de l'inertie du système. Ce mouvement va favoriser la colonisation par les espèces invasives venues de la mer Rouge au détriment des espèces endémiques méditerranéennes qui constituent un des réservoirs de la biodiversité mondiale.

Mais le changement climatique appelle d'autres interrogations. Il est possible que les modifications de température et de salinité modifient la circulation des courants. Avec quelles conséquences pour les biotopes ? Les modélisations prévoient aussi une remontée de la « couche mélangée » qui est le milieu le plus nourricier et, corrélativement, une diminution de la production de cette couche. Avec quelles conséquences pour les biotopes ? Enfin, des études montrent que l'acidité de la Méditerranée progresse parallèlement à celle de l'océan. Cette évolution de longue période menace, à terme, les processus de calcification de nombreuses espèces. Avec quelles conséquences pour les biotopes ? Ces incertitudes sont d'autant plus inquiétantes que l'on peut légitimement s'interroger sur les capacités d'évolution de milieux naturels déjà atteints par la pollution. Car l'on sait que, plus un milieu reste intact, plus ses possibilités d'adaptation aux agressions de l'environnement sont nombreuses.

J'en viens maintenant à mes propositions dont le détail vous est fourni par ailleurs. Il me semble essentiel :

- de réformer la gouvernance politique de la lutte anti-pollution sur le Bassin en créant une agence de protection de l'environnement auprès de l'UPM, mais ceci sur la base du volontariat et de décisions prises à la majorité qualifiée. Cette agence regrouperait l'ensemble des dispositifs actuels et ferait masse des fonds européens consacrés à ce domaine.

Il nous faut aussi activer la mise en cohérence des travaux des principaux instituts de recherche sur les milieux marins méditerranéens, comme l'ont fait les pays de la Baltique.

Infléchir les conditions de l'aide à l'implantation d'équipements de lutte contre la pollution me semble également nécessaire. Ces financements devraient être subordonnés au bon fonctionnement des équipements plusieurs années après leur mise en service.

Il convient d'apurer notre passé de pollution. Cela passe, en particulier, par deux types d'actions : l'élimination des PCB et des POP qui résident dans le lit des plus grands fleuves de la rive Nord et la suppression des stocks de pesticides interdits qui subsistent sur la rive Sud.

Les conséquences du changement climatique ont déjà été prises en compte par le 7ème PCRD, il conviendra d'amplifier cet effort dans le 8ème PCRD qui est en préparation. A ce sujet, je souhaiterais insister sur ce point, l'impact du changement climatique risque d'être important sur une région qui regroupe 60 % des « pays pauvres en eau » de la planète. Mais redéployer des équipements pour transformer les usages et assurer un recyclage de cette ressource rare n'est pas simple car le retour sur investissement est très long (non plus 5 à 10 ans, mais 30 à 50 ans). Une réflexion doit être entreprise pour mettre en place des instruments financiers adéquats dans ce domaine.

Par ailleurs, il n'est pas acceptable que les rejets illicites d'hydrocarbures dans le Bassin se chiffrent en centaines de milliers de tonnes. Car il existe des moyens techniques et juridiques pour les limiter fortement.

S'agissant de la sécurité du transport maritime, j'insiste sur un point : la promotion de l'installation d'équipements de sécurité passive sur les navires. Ceux-ci permettent de réduire de 30 à 60 % les temps de pompage en cas d'accident et, donc, de diminuer d'autant les rejets. J'estime que la France devrait présenter une soumission au sous-comité compétent de l'Organisation maritime internationale sur ce point.

Enfin, je souhaite que l'on réactive la création d'aires marines protégées en France et sur l'ensemble du Bassin, et qu'un intérêt particulier soit consacré à des sujets de recherches spécifiques, comme les efflorescences de phytotoxines ou les risques présentés par la multiplication de micro-déchets en plastique dont j'ai déjà parlé.

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