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Intervention de Alain Juppé

Réunion du 5 juillet 2011 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Alain Juppé, ministre d'état, ministre des affaires étrangères et européennes :

Je reviens de Barcelone, où j'assistais à l'installation de M. Youssef Amrani comme secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Il était important que la France soit présente à cette occasion. M. Amrani a été désigné à l'unanimité : ce haut fonctionnaire d'origine marocaine est considéré comme tout à fait compétent et engagé. Nous allons avec lui redonner un élan au processus de l'UPM, qui est plus pertinent que jamais, en l'orientant vers des projets concrets.

J'en ai notamment cité quatre. Le premier concerne la mobilité des jeunes entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, avec le projet d'office méditerranéen pour la jeunesse, qui a déjà pris corps, mais que nous allons essayer de faire grandir et d'intégrer dans les procédures de l'UPM. Le deuxième a trait à l'énergie, au travers, en particulier, d'un plan solaire méditerranéen – les Allemands ont un immense projet dénommé Desertec pour équiper le Sahara de panneaux solaires afin d'alimenter l'Europe du Nord et nous avons de notre côté des projets en matière d'interconnexion. Le troisième porte sur la protection civile, avec un projet assez avancé de prévention et de lutte contre les incendies autour de la Méditerranée, et le quatrième sur le premier projet labellisé par l'UPM, relatif à une usine de dessalement d'eau à Gaza.

En ce qui concerne la Libye, depuis que notre pays a engagé des forces dans ce pays, des progrès ont été accomplis.

Sur le plan militaire, l'étau se resserre autour de Kadhafi, qui dit lui-même être « le dos au mur ». Benghazi a été libérée. Le siège de Misrata a été interrompu. Les forces d'opposition continuent de gagner du terrain dans l'Ouest et dans le Sud, notamment dans le djebel Nefoussa. Mais les forces de Kadhafi poursuivent leurs attaques contre les populations civiles. C'est la raison pour laquelle la coalition a décidé de maintenir sa pression militaire dans le cadre de la résolution 1973, qui vise à protéger les civils.

Je sais que ce point prête à contestation. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir il y a quelques jours avec mon collègue russe Sergueï Lavrov. Nous considérons que les livraisons d'équipements, de médicaments, de nourriture et d'armes d'autodéfense aux populations du djebel Nefoussa sont conformes aux résolutions des Nations Unies – la résolution 1973, dans son paragraphe 4, prévoit que l'on peut déroger à la résolution 1970 instaurant un embargo sur la fourniture des armes dès lors que la protection des populations civiles est en jeu.

Sur le plan politique, Kadhafi est de plus en plus isolé. Les défections se multiplient dans les rangs des responsables du régime, qu'il s'agisse des civils ou des militaires. Sur la scène internationale, la Russie, la Chine et de nombreux pays africains considèrent désormais qu'il n'a plus aucune légitimité et doit partir. Le mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité délivré le 27 juin par la Cour pénale internationale contre lui, son fils Saif Al-Islam et le chef des services de renseignements Abdallah Al-Senoussi le confirme : aujourd'hui, l'ensemble de la communauté internationale a tourné la page de l'ère Kadhafi.

Même si elle ne le proclame pas publiquement, l'Union africaine a bien compris que la question n'était plus de savoir si Kadhafi devait partir, mais quand et comment ; elle y travaille.

Dans le même temps, le Conseil national de transition (CNT), que la France avait été la première à reconnaître comme le seul titulaire légitime de l'autorité gouvernementale pour l'État libyen, s'affirme de plus en plus comme un interlocuteur politique central. Il est maintenant reconnu par près d'une trentaine de pays, dont la Turquie il y a quelques jours, et par l'Union européenne, qui a ouvert un bureau à Benghazi. Il se structure et s'est doté d'une feuille de route politique prévoyant les étapes d'établissement d'un État de droit démocratique.

Dans ce contexte, nous devons aller de l'avant pour mettre un terme aux souffrances du peuple libyen.

D'abord, en apportant un soutien financier au CNT, qui en a cruellement besoin – chaque fois que ses responsables viennent à Paris, comme ce fut encore le cas la semaine dernière, ils nous appellent au secours. Nous nous sommes fortement mobilisés pour que le Groupe de contact pour la Libye crée un mécanisme spécifique. Celui-ci existe juridiquement depuis la semaine dernière. Il faut maintenant que des fonds soient versés pour l'abonder. Pour notre part, nous travaillons à la mobilisation d'avoirs libyens gelés en France. Nous avons d'ores et déjà pu obtenir le dégel de fonds détenus par la banque centrale, afin de continuer à payer les boursiers libyens qui poursuivent leurs études supérieures en France, comme le CNT nous l'a demandé. Nous sommes par ailleurs en train d'essayer de dégeler les 290 millions de dollars prévus. Cela est, pour des raisons juridiques, beaucoup plus compliqué qu'on ne le pensait, mais nous allons y parvenir.

Ensuite, en trouvant une solution politique à la crise.

Je rappelle les quatre conditions fixées par le Groupe de contact, l'Union européenne et la coalition : un cessez-le-feu véritable, avec un retour des forces de Kadhafi dans leurs casernes et la garantie de l'intégrité territoriale de la Libye sous contrôle international ; une renonciation publique de Kadhafi à tout pouvoir civil ou militaire ; la tenue d'une convention nationale sous l'égide du Conseil national de transition, ouverte à d'autres partenaires, y compris des responsables de Tripoli qui se sépareront de Kadhafi ; enfin, la mise en oeuvre de la feuille de route du CNT : adoption d'une constitution, élections législatives et développement de la démocratie.

Les initiatives pour avancer dans ce sens se multiplient – ce qui constitue un de nos problèmes. Le premier ministre libyen, Mahmoud Jibril, a notamment été reçu la semaine dernière par le Président de la République, qui lui a dit l'urgence pour le CNT d'agir de manière décisive sur le plan militaire et d'engager ce processus de transition politique.

En ce qui nous concerne, nous poursuivons nos efforts selon trois axes.

En premier lieu, continuer notre travail de conviction auprès de ceux qui peuvent contribuer à faire émerger une solution politique. Je pense à la Russie, où je me suis rendu la semaine dernière. Il me semble que nous pouvons travailler avec les Russes qui, depuis le sommet du G8, ont adopté une attitude plus constructive et plus claire sur la Libye. Quand je suis arrivé à Moscou, j'avais des raisons de penser que mon entretien avec Sergueï Lavrov serait rude : nous nous sommes dit nos vérités respectives, en particulier nos différences d'appréciation sur la partie militaire de l'intervention, mais nous sommes tout à fait en phase sur l'objectif, à savoir la mise à l'écart de Kadhafi et l'application de la feuille de route du CNT. Le médiateur russe, Mikhaïl Marguelov, qui s'est rendu à Benghazi et à Tripoli, est en contact avec nous.

Il en est de même avec l'Union africaine. Le sommet de Malabo l'a montré : les dirigeants africains évoluent peu à peu vers le constat d'un départ inéluctable de Kadhafi. Ils ne le disent pas tous publiquement, mais tous le pensent. Nous espérons que l'Union africaine, qui a un rôle éminent à jouer pour résoudre l'affaire libyenne, saura faire les derniers pas qui nous séparent de la solution. À cet égard, la réunion du Groupe de contact à Istanbul le 15 juillet pourrait être déterminante. Nous insistons beaucoup pour que l'Union africaine participe à cette réunion – M. Ping, président de la Commission de cette organisation, avait d'ailleurs pris part à de précédentes rencontres.

Deuxième axe : faciliter le travail de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Al-Khatib, qui centralise les efforts de la communauté internationale, car la multiplication des canaux de médiation politique affaiblit la pression sur Kadhafi et lui permet de gagner du temps.

Enfin, troisième axe : préparer le « jour d'après » la chute de Kadhafi au sein des différents groupes de travail internationaux, car il y a une forte inquiétude à cet égard et sur la capacité du CNT à éviter des difficultés dans le pays ainsi libéré. La construction de la Libye nouvelle relèvera d'abord de la responsabilité des Libyens eux-mêmes, mais nous sommes naturellement prêts à les accompagner. C'est dans cet esprit que les missions préparatoires françaises se succèdent à Benghazi, dans tous les domaines de la sécurité et de la reconstruction, et que nous organisons des déplacements d'entreprises volontaires pour aller prendre des contacts sur place, comme d'autres pays le font activement, en particulier l'Italie et la Grande-Bretagne.

S'agissant de la Syrie, la situation devient chaque jour un peu plus préoccupante.

Vous disiez, monsieur le président, que la diplomatie française était à la peine, mais je n'en connais aucune qui ne le soit pas !

Depuis le premier jour, comme nous l'avons fait pour la Libye, nous condamnons fermement le refus des réformes et la spirale de la violence. Depuis le premier jour également, nous condamnons la fuite en avant d'un régime qui réprime les aspirations de son peuple à la démocratie, a causé la mort d'au moins 1 300 civils et, avec des dizaines de milliers de Syriens fuyant leur pays, menace désormais la stabilité de la région tout entière.

Nous avons été les premiers à demander des sanctions contre Bachar Al-Assad et son entourage proche, notamment au sein de l'Union européenne, qui a adopté trois trains de sanctions contre des responsables syriens impliqués dans la répression et des entités finançant le régime. Ces sanctions sont mises en oeuvre par de nombreux pays en dehors de l'Union, notamment par les États-Unis.

Nous nous sommes aussi mobilisés contre la candidature syrienne au Conseil des droits de l'homme, ce qui a abouti à son retrait au bénéfice du Koweït. C'est également grâce à nos efforts que ce Conseil a adopté le 29 avril une résolution condamnant les violations des droits de l'homme exercées par la Syrie et décidant l'envoi d'une mission d'enquête.

Enfin, nous travaillons pour que le Conseil de sécurité prenne position sur la crise de ce pays. Avec nos partenaires européens, nous avons préparé un projet de résolution condamnant les violences, demandant la fin de la répression et appelant le régime à ouvrir des perspectives politiques et à faire des réformes – c'est dire si ce projet est équilibré.

Je pense que le point de non-retour est franchi et que la capacité de Bachar Al-Assad à entreprendre celles-ci est aujourd'hui quasiment nulle compte tenu de tout ce qui s'est passé. Il n'en reste pas moins que, pour faciliter l'émergence d'un consensus au sein du Conseil de sécurité, nous avons accepté de nous adresser à nouveau à lui en l'invitant à s'engager dans un processus de réformes. Mais notre projet se heurte toujours à la menace d'un veto de la Russie, que soutient la Chine, au nom du refus d'ingérence dans les affaires intérieures syriennes.

Je n'ai pas pu faire beaucoup évoluer mon collègue russe sur ce sujet. Celui-ci, de même que d'autres pays émergents, ont la hantise de la résolution 1973 et le sentiment qu'en ne faisant pas obstacle à celle-ci, ils se sont laissés embarqués plus loin qu'ils ne l'auraient voulu. Ils craignent qu'une résolution sur la Syrie n'ait les mêmes conséquences. J'ai eu beau faire remarquer à mon collègue russe qu'il n'y avait rien dans le projet de résolution qui de près ou de loin ressemble au paragraphe 4 de la résolution 1973, je ne l'ai pas encore convaincu. Cela étant, la Russie commence à se poser des questions, car elle apparaît d'une certaine manière comme responsable de l'inertie du Conseil de sécurité.

Par ailleurs, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud restent tout à fait réticents, toujours au nom du refus d'ingérence dans les affaires intérieures d'un État, ce qui n'est pas tout à fait conforme avec le principe de la responsabilité de protéger adopté par les Nations Unies.

Le Conseil de sécurité ne peut pas continuer à fermer les yeux sur cette situation intolérable. Il en va de sa crédibilité. J'ai évoqué le précédent du Rwanda ou celui de l'ex-Yougoslavie. Le moment approche où chacun devra prendre ses responsabilités. Pour notre part, nous y sommes prêts et, si nous parvenons à réunir onze voix au Conseil de sécurité, nos intentions, avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, est de mettre le projet aux voix pour que chacun soit mis devant les siennes.

Enfin, pour ce qui est de l'Afghanistan, notre stratégie repose sur quatre piliers : une lutte déterminée contre les terroristes, encore présents dans cet État – ce qui se traduit, hélas, par les pertes humaines que vous savez ; une montée en puissance des forces afghanes pour qu'elles soient en mesure d'assurer la relève et la sécurité de leur pays – notre travail de formation auprès d'elles mobilise beaucoup de nos moyens sur place ; un retrait progressif et ordonné des troupes françaises ; et une solution politique permettant la réconciliation nationale dans ce pays.

Cette stratégie, qui est désormais endossée par l'ensemble de la coalition, porte ses fruits. Je voudrais rendre hommage au courage, à l'engagement, au professionnalisme et à l'esprit de sacrifice de nos forces déployées en Afghanistan, notamment aux militaires qui ont perdu la vie sur ce théâtre.

En ce qui concerne la traque des terroristes dans ce pays, la disparition de Ben Laden, qui s'était réfugié au Pakistan, constitue un succès incontestable. Elle entraîne un affaiblissement d'Al-Qaida, qui conserve une présence résiduelle sur place.

S'agissant du transfert des responsabilités, le processus est engagé dans trois provinces et quatre villes. Sur les deux zones que nous avons sous notre contrôle, au moins une, la Surobi, devrait pouvoir être transférée aux autorités afghanes cette année. Nous avons préparé une demande très argumentée à cet effet. Mais la décision dépend du commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (IFAS) et, in fine, du gouvernement afghan.

Pour ce qui est du processus de réconciliation inter-afghan, le cadre se met progressivement en place. Les Talibans afghans ont des objectifs et une organisation différents d'Al-Qaida. La mort de Ben Laden pourrait les inciter à couper les liens avec le terrorisme international et entrer dans un processus politique, que les États-Unis ont déjà engagé avec Kaboul et auquel nous souhaitons vivement être associés.

Il reste des difficultés. Certaines zones ne sont pas encore entièrement sécurisées, comme la Kapisa, pour ce qui concerne la France. La gouvernance du pays reste insuffisamment développée. La corruption demeure et la politique du Pakistan n'est pas encore claire.

Mais nous n'avons pas vocation à rester éternellement en Afghanistan, comme l'a rappelé à plusieurs reprises le Président de la République. Nous avons toujours été clairs sur nos objectifs et sur notre calendrier et nous avons toujours agi en parfaite coordination avec nos alliés – je rappelle que le sommet de l'OTAN de Lisbonne a décidé de fixer à 2014 la date du retrait définitif des troupes de la coalition d'Afghanistan.

C'est dans ces conditions, devant les succès remportés dans la mise en oeuvre d'une stratégie courageuse et cohérente, que le Président de la République a annoncé un retrait progressif des renforts envoyés dans ce pays, de manière proportionnelle et dans un calendrier comparable à celui annoncé par les Etats-Unis – lequel porte sur 33 000 soldats sur 120 000 en 2011 et 2012. Je ne donnerai pas de chiffres plus précis, car il appartient aux militaires de déterminer le processus concret de ce retrait. Celui-ci se fera en concertation avec nos alliés et avec les autorités afghanes.

Avant de conclure, je souhaite revenir sur la libération d'Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier et de leur interprète, Reza Din, qui a constitué pour nous tous un grand moment de joie et de soulagement. J'étais avec les familles dans les locaux de France Télévisions le soir où cette libération a été annoncée et, le lendemain matin, avec le Président de la République sur la base aérienne de Villacoublay.

J'en profite pour signaler que leurs deux autres accompagnateurs avaient été libérés il y a un certain temps, mais que cela n'avait pas été rendu public, pour préserver la sécurité des trois otages restants et ne pas compromettre l'issue de l'affaire. Cette libération est le fruit d'un long travail, d'efforts extrêmement soutenus et opiniâtres. De nos militaires d'abord, qui ont agi avec beaucoup de sang-froid : nous savions où étaient nos otages, dans la province de Kapisa, et il a fallu conduire les opérations militaires de manière à ne pas compromettre leur vie – toute intervention pouvant déboucher immédiatement sur un massacre. Nos services ont également été formidables sur le terrain, ceux de l'ambassade, comme les services spécialisés. Tous les responsables du comité de soutien aux deux journalistes, qui ont été parfois présents sur place à Kaboul, ont d'ailleurs rendu hommage à leur disponibilité et à leur efficacité.

En outre, le Président Karzaï nous a aidés dans la recherche d'une solution. Le comité de soutien a maintenu la pression tout au long de cette période, ce qui a été très positif : Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier nous ont dit combien ses messages, qu'ils entendaient sur leur poste de radio, ont été importants pour leur moral.

Enfin, tous les services de l'État, sous l'impulsion et l'autorité du Président de la République – qui a fait le point de la situation chaque semaine et a reçu fréquemment les familles – n'ont jamais relâché leurs efforts, qu'il s'agisse de nos militaires, de nos diplomates ou du Centre de crise du Quai d'Orsay, qui a été en permanence en contact avec les familles pour les tenir informées.

Nous pouvons être fiers du travail accompli dans ce contexte difficile. On m'a souvent demandé pourquoi cette libération n'a pas été plus rapide : si nous avions eu un bureau facile à identifier en face de nous pour négocier, cela aurait été le cas, mais nous étions confrontés à une nébuleuse de responsables, avec des chaînes de commandement très complexes et des décisions changeantes.

De plus, nos deux compatriotes étaient détenus dans une zone de combat contrôlée par l'armée française, ce qui rendait les choses particulièrement sensibles.

Vous comprendrez que je ne sois pas en mesure de vous en dire davantage sur les conditions de cette libération. Nous avons encore neuf otages dans le monde : si nous révélions les moyens utilisés pour libérer les précédents, cela risquerait de fragiliser considérablement ce que nous entreprenons pour ceux-là. Je rappelle à ce sujet que la France ne paye pas de rançon.

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