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Intervention de Roland Blum

Réunion du 12 juillet 2011 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Blum, rapporteur :

La mission d'information a été créée par la commission des affaires étrangères au lendemain des premières élections en Birmanie depuis vingt ans et de la libération quasi simultanée d'Aung San Suu Kyi. Depuis cette date, conformément à la feuille de route pour la démocratie décidée par la junte en 2003, un Parlement a été installé qui a élu un président de la République, M. Thein Sein.

Alors que la dictature militaire semblait immuable et insensible aux pressions internationales, la Mission s'est donc interrogée sur la réalité du changement annoncé par l'ex-junte à la faveur de l'application de la Constitution adoptée en 2008 dans des conditions discutables : peut-il augurer d'un réveil démocratique ou n'est-il qu'une illusion destinée à amadouer la communauté internationale ?

Je laisserai à M. Gorce le soin de vous présenter les leçons qu'il convient de tirer de l'échec de la communauté internationale jusqu'à présent face au régime birman pour définir une politique européenne plus en phase avec l'apparente nouvelle donne en Birmanie.

Je ne reviendrai pas sur l'histoire birmane sauf pour vous rappeler que la Birmanie est marquée par la colonisation britannique et les problèmes ethniques qui l'ont toujours fragilisée et ont favorisé l'installation au pouvoir de l'armée qui se veut garante de l'unité nationale depuis près de cinquante ans.

Je pourrai développer si vous le souhaitez les souffrances qu'endure le peuple birman, victime à la fois de violations systématiques et persistantes des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'impéritie économique et sociale d'un régime replié sur lui-même et préoccupé par sa survie.

Les élections du 7 novembre 2010, qui concernaient les deux chambres du Parlement mais aussi les Parlements régionaux, ont été presque unanimement jugées ni libres, ni justes.

Par l'édiction de différentes règles électorales, la junte s'est en effet assurée la mainmise sur le processus prétendument démocratique et par voie de conséquence le succès du parti qu'elle avait créé à cette intention, l'USDP. En réaction, le parti d'Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a refusé de participer aux élections, ce qui a conduit à sa dissolution.

Sans surprise, le parti officiel a massivement remporté les élections entachées de nombreuses irrégularités, gagnant plus de 80 % des sièges, sachant que la Constitution octroyait déjà 25 % des sièges aux militaires. Outre quelques partis ethniques, seulement deux partis d'envergure nationale, le Parti démocrate (DP) et la National democratic force (NDF) – issu d'une scission avec la LND – ont conquis les sièges restants.

En dépit du caractère anti-démocratique des élections et contestable de la Constitution, les nouvelles institutions, la pratique des détenteurs du pouvoir ainsi que la politique mise en oeuvre posent question.

Certains ne voient dans le nouveau régime qu'un habillage civil et policé du précédent, dont il n'y a rien à attendre pour d'autres, la prudence commande de prendre le temps de porter un jugement plus circonstancié sur la réalité du pouvoir. Dans l'appréciation du nouveau pouvoir, il convient de garder à l'esprit la mise en garde d'Aung San Suu Kyi selon laquelle une parodie de démocratie peut être plus dangereuse qu'une dictature assumée.

Les changements institutionnels se sont au minimum traduits par un changement de style, ce qu'a pu constater la Mission, qui était la première délégation parlementaire européenne à se rendre en Birmanie depuis de nombreuses années, en rencontrant les nouveaux responsables politiques. En effet, ceux-ci ont semblé soigner la forme en se montrant ouverts à la discussion mais ils n'ont rien cédé sur le fond de leurs convictions. Le vice-ministre des affaires étrangères a dépeint la Birmanie comme un nouveau-né qu'il faut nourrir pour le faire grandir mais sans aller trop vite car on courrait le risque de l'étouffer.

Au premier abord, les nouvelles institutions ne peuvent que susciter la réprobation du démocrate, mais, à l'usage, elles pourraient révéler une fragilité qui entrouvrirait la porte à la démocratie.

Si la Constitution birmane ne prévoit pas la séparation des pouvoirs, l'effacement de l'armée, du moins officiellement, et le poids du président induisent un partage du pouvoir qui est une nouveauté pour la Birmanie avec laquelle les autorités devront apprendre à composer et qui pourrait favoriser des dissensions en leur sein.

Le discours d'intronisation du nouveau président et les bonnes intentions qu'il affiche ont été remarqués. Aung San Suu Kyi a jugé encourageant ce premier discours, tout en rappelant que tous les nouveaux chefs de gouvernement font toujours de beaux premiers discours. La disparition de l'ancien général Than Shwe de l'organigramme officiel du pouvoir a également constitué une surprise, même si personne n'imagine qu'il ne joue pas un rôle dans l'ombre.

En dépit des nombreuses imperfections de la décentralisation birmane, on peut placer quelques espoirs dans l'existence des parlements locaux, malgré la place qu'y occupent les anciens militaires ainsi que dans la concurrence entre les chiefs ministers et les militaires si les premiers parviennent à se doter d'une administration.

La première réunion du Parlement, installé à Nay Pyi Daw, la nouvelle capitale, dans un ensemble de bâtiments spectaculaire mais vide, qui pourrait symboliser la conception militaire de la démocratie birmane, s'est tenue le 31 janvier 2011 pour s'achever le 23 mars 2011. Elle a permis pour la première fois de poser des questions et de formuler des propositions au Gouvernement sans que l'on puisse qualifier ces échanges de débats démocratiques.

L'écrasante majorité dont dispose le parti créé par la junte ainsi que la présence encore massive de militaires ne peuvent que susciter le scepticisme quant aux chances de voir s'exercer le rôle de contrôle traditionnellement dévolu au Parlement.

Sur le plan politique, l'optimisme raisonnable qu'affiche le gouvernement ne résiste pas, à ce jour, à l'analyse des rares actes à mettre à son actif : l'évolution politique est d'abord fragilisée par l'absence de politique économique alternative à la prédation militaire actuelle. Sur les droits de l'homme, aucune évolution positive n'a été enregistrée.

Le signal attendu par tous que constituerait la libération de prisonniers politiques n'est pas advenu. Si une amnistie a été annoncée le 17 mai par le président, elle ne concerne que marginalement les prisonniers politiques.

Quant aux minorités ethniques, le refus de certains groupes armés de se soumettre à l'injonction constitutionnelle de rejoindre le corps des gardes-frontières sous l'autorité de l'armée birmane a provoqué une résurgence des conflits.

Face aux nouveaux pouvoirs, l'opposition semble chercher un chemin et une cohérence. Aujourd'hui, elle paraît tiraillée entre une opposition historique et intransigeante incarnée par Aung San Suu Kyi, une opposition parlementaire soupçonnée de trahison de la cause démocratique et une troisième voie poussée par la société civile. Elle semble encore démunie face à l'extraordinaire confiance qu'affiche le Gouvernement.

La liberté qu'a retrouvée Aung San Suu Kyi est loin d'être pleine et entière. Instruite par ses douloureuses expériences passées et gênée par l'absence de reconnaissance légale de son parti, la LND, elle est contrainte à une grande prudence dans son expression politique. Les autorités cherchent à lui imputer la responsabilité du refus du dialogue. Les élections ont permis à l'ancienne junte de diviser l'opposition et de marginaliser celle dont ils n'ont jamais pu accepter la légitimité de fille père de l'indépendance du pays, le Général Aung San.

Afin de sortir du piège tendu par le gouvernement, la LND souhaite devenir un acteur social majeur. Elle doit également faire face à de nombreuses critiques sur son attentisme, son isolement politique, voire son sectarisme et sa méconnaissance de la réalité du pays.

Pour les nouveaux partis politiques d'opposition, le choix de jouer le jeu de la nouvelle démocratie constitue à l'évidence un pari risqué. Les règles constitutionnelles comme la pratique gouvernementale actuelle ne permettent pas d'entrevoir la marge de manoeuvre dont l'opposition parlementaire pourrait disposer. Ces partis pourraient au contraire être instrumentalisés par le régime qui les brandirait comme caution démocratique. Ils doivent en outre composer avec l'émergence de la société civile qui pourrait à terme constituer un levier démocratique.

Si le cyclone Nargis a réveillé les consciences d'une Birmanie endormie, le développement de la société civile se heurte encore à la résignation de la population et exige de ses acteurs un courage qui a impressionné la Mission. Ils ont unanimement lancé un appel à rompre l'isolement économique, social et technologique du pays et de sa population sur la scène internationale. L'Union européenne a le devoir d'entendre.

Je cède la parole à mon collègue M. Gorce qui va présenter l'attitude de la communauté internationale à l'égard de la Birmanie.

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