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Intervention de Thomas de Maizière

Réunion du 6 juillet 2011 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Thomas de Maizière, ministre de la défense de la République fédérale d'Allemagne :

C'est pour moi et pour mon pays un grand honneur de dialoguer aujourd'hui avec vous ; malgré tout ce qui nous réunit, cela n'avait rien d'une évidence. Il a été décidé que mon collègue et ami Gérard Longuet viendrait à l'automne au Bundestag pour une audition similaire, dans le cadre d'un dialogue qualifié de « stratégique ».

Nous vivons dans un monde périlleux, dont on a de plus en plus de mal à percevoir les contours. Autrefois, on craignait les États trop puissants ; aujourd'hui, les nouvelles menaces émergent des États trop faibles ou des territoires n'ayant plus d'organisation étatique. Nos instruments de défense classiques n'y sont pas adaptés.

La France et l'Allemagne sont réunis au sein de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique ; nous nous réjouissons que la France ait décidé de réintégrer les structures de commandement de l'OTAN en 2009.

Un collègue d'un pays membre de l'OTAN qui, après avoir été ministre de la défense, est maintenant ministre des affaires étrangères, m'a dit un jour que les ministres des affaires étrangères s'occupent du monde tel qu'il pourrait ou devrait être, alors que les ministres de la défense et de l'intérieur sont confrontés au monde tel qu'il est, ce qui complique parfois les choses. Bien souvent, nous devons traiter en effet de problèmes qui semblent impossibles à résoudre ; nous intervenons lorsque la politique a échoué, avec l'obligation de parvenir à un résultat immédiat. Or, il y a de moins en moins de ressources financières et nos pays sont confrontés à un endettement important. En d'autres termes, nous devons faire plus avec moins.

Chaque pays réfléchit à de possibles évolutions de son armée nationale. La France sort de ce processus, tandis que l'Allemagne vient d'y entrer : le 18 mai, j'ai présenté les nouvelles orientations qui vont maintenant être progressivement mises en oeuvre. L'objectif est de défendre nos intérêts nationaux, d'assumer des responsabilités internationales et de façonner ensemble la sécurité.

Depuis le 1er juillet, l'Allemagne dispose d'une armée professionnelle. La France avait pris, il y a quelques années, une décision similaire ; nous lui sommes par avance reconnaissants de nous aider à tirer les leçons de son expérience. Gérard Longuet et moi nous sommes convenus de réunir des experts pour un échange de vues. Pour le moment, le nombre de postulants est satisfaisant ; il dépend de nous que cela continue. À terme l'Allemagne disposera de 170 000 soldats de métier et engagés sous contrat, de 15 000 volontaires et de 55 000 collaborateurs civils, la part des civils au sein des forces armées étant traditionnellement plus importante qu'en France. L'effectif total sera de 240 000 personnes, soit un chiffre comparable à celui de l'armée française.

Nous avons également décidé de réviser notre concept stratégique. Nous souhaitons pouvoir à l'avenir envoyer en même temps 10 000 soldats sur des terrains d'opérations extérieures, dès lors que nous en aurions la volonté politique. Plus précisément, nous souhaitons pouvoir mener de front deux opérations de longue durée, dont une en tant que chef de file, tout en participant simultanément à plusieurs petites interventions, avec des effectifs pouvant être relevés au bout de quatre à six mois par des troupes entraînées. Cela signifie qu'il faut en réalité multiplier le chiffre de 10 000 par quatre ou cinq. En outre, nous devons apporter notre contribution aux groupements tactiques de l'Union européenne, à la force de réaction rapide et au commandement de l'OTAN, ainsi qu'à des structures telles que la brigade franco-allemande.

Actuellement, nous disposons de 6 000 à 6 500 soldats en opérations extérieures. Nous devons donc procéder à une augmentation de 40 % de ce potentiel et ce malgré la diminution du nombre global de nos soldats, ce qui suppose une évolution très importante de la mentalité, de l'équipement et de l'engagement de nos troupes.

Les effectifs du ministère seront également réduits, passant de 3 500 à 2 000 personnes, afin de mieux gérer nos fonctions de commandement : trop de responsabilités ont été déléguées au ministère et trop peu aux armées. Il convient de changer la donne, mais nous ne pouvons le faire seuls, car les opérations auxquelles nous participons sont modulaires et internationales. Cela rejoint « l'initiative de Gand » pour l'Union européenne ou la smart defence pour l'OTAN. Il faudrait que le plus grand nombre possible de pays y participent, dont la France et l'Allemagne. Les ministres français et allemand de la défense ont d'ailleurs signé en décembre dernier une déclaration commune sur de nombreux domaines de coopération, dont la poursuite est incluse dans le présent dialogue stratégique.

Dans ce dialogue entre nos deux États, nous devons être francs et honnêtes. Or nous avons tendance à parler beaucoup de ce qui nous réunit et peu de ce qui nous sépare. Entre partenaires et amis, il faut pourtant savoir de quoi on parle, sur quoi on est d'accord, sur quoi on ne l'est pas, si l'on veut pouvoir élaborer une stratégie commune.

Nous avons par exemple des traditions historiques différentes. Nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur l'Union pour la Méditerranée ou sur le Conseil de la Baltique. Pourquoi ne pas adopter un partage des tâches, en nous reconnaissant mutuellement la capacité de les mener à bien ?

Nous avons également des traditions différentes en matière d'implication du Parlement. Dans le système constitutionnel allemand, le Parlement joue un très grand rôle, mais cela ne nous fait pas perdre pour autant notre capacité d'action : on a pu le vérifier cette semaine s'agissant du Soudan. Réciproquement, j'ai entendu dire que l'influence du Parlement français avait été renforcée. Peut-être sommes-nous en train de nous rapprocher, l'Allemagne donnant davantage de poids à l'exécutif et la France au législatif ? Certes, nos systèmes restent très différents avec un régime présidentiel dans un cas et un gouvernement de coalition dans l'autre, mais on peut fort bien s'en accommoder.

J'aimerais maintenant vous présenter quelques sujets de réflexion pour le dialogue stratégique entre nos deux pays. Il faudrait d'abord faire un bilan critique de nos très nombreuses instances de dialogue. Sont-elles toutes efficaces ? Quand j'étais chef de la Chancellerie, j'ai participé à plusieurs réunions du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité qui ne duraient que quelques minutes parce que tout avait été décidé en amont ! Peut-être faudrait-il en tirer les conséquences.

Par ailleurs, nos réalisations communes restent trop souvent symboliques. Nous sommes très fiers de la brigade franco-allemande, mais elle n'est jamais partie en opérations. Ne faudrait-il pas réfléchir à un concept d'engagement ? Cela suppose des formations, des exercices, des équipements en commun ainsi qu'un partage des tâches.

S'agissant de l'armement, il existe des projets européens, des projets franco-allemands et des projets nationaux. Or, nous ne parvenons même pas à faire un hélicoptère qui soit parfaitement identique dans nos deux pays ! Il en est de même pour beaucoup de grands projets, ce qui allonge les délais, augmente les coûts et complique le fonctionnement commun.

Sur certains projets, nous sommes réellement partenaires et nous faisons tout ensemble. Sur d'autres, nous préférons conserver nos capacités nationales ; en Inde, par exemple, nous sommes en concurrence sur un projet d'avion. Pourquoi ne pas l'assumer ? Si nous parvenions à discuter de ces approches différentes avec honnêteté et franchise, nous ferions un grand pas vers une stratégie commune.

Il faudrait également mieux se partager le travail au plan international, en se répartissant les différentes régions du monde et en définissant les rôles de chacun dans les structures de coopération internationale ; cela pose des problèmes de langue, de compétence interculturelle, de préparation des engagements, de soutien économique et financier.

Voilà une partie des questions que nous pourrions aborder ensemble. Je ne crois pas que nous puissions d'ores et déjà y répondre. Aboutira-t-on à un document conjoint des ministres de la défense, à une résolution commune entre nos deux pays, à une modification du traité de l'Élysée ou simplement à un agenda pratique ? Je l'ignore ; l'important, c'est d'engager le dialogue.

Pour conclure, je rappellerai un propos du général de Gaulle, adressé à Konrad Adenauer : « Tout ce que les Français et les Allemands pourront faire dans le domaine de la défense nous rapprochera et nous fera avancer. Si nous ne faisons rien dans ce domaine, bientôt nous n'aurons plus rien à nous dire non plus au plan politique. ».

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