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Intervention de Jean Chapelon

Réunion du 29 juin 2011 à 14h00
Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Jean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière :

Principalement, à l'infrastructure et aux véhicules. Une étude a mis en évidence que le risque d'accident doublait selon que les véhicules avaient moins de quatre ans d'âge ou plus de huit ans, à distances parcourues égales, et en neutralisant l'âge du conducteur. Pour les comportements, on ne peut pas remonter trente ans en arrière. Au cours des dix à quinze dernières années, les facteurs positifs tels que l'amélioration du port de la ceinture ou le recul de la vitesse ont été contrebalancés par les effets négatifs du téléphone portable. Pour ce qui est de l'alcool, cela ne bouge pas.

Le net ralentissement des infractions observé aujourd'hui était prévisible. En 2002, M. Chirac avait simplement ouvert le chantier alors qu'en 2007, M. Sarkozy a voulu se fixer un objectif très ambitieux, avec 3 000 victimes par an. Pour y parvenir, j'avais mis en avant plusieurs conditions, notamment en matière de communication.

Les infractions pour excès de vitesse, qui ont fortement chuté à partir de 2002, se décomposent en infractions décelées à l'occasion de contrôles aléatoires et infractions détectées par des radars fixes, installés à partir de décembre 2003.

L'analyse des courbes montre que la baisse des vitesses est bien antérieure à la mise en place des radars fixes. En matière de sécurité routière, l'effet d'annonce est courant. Ainsi, en 1978, les infractions ont baissé avant l'autorisation donnée aux forces de l'ordre de pratiquer des contrôles d'alcoolémie sans passer par le procureur ; puis elles ont remonté quand les gens se sont rendu compte que les contrôles n'étaient pas si nombreux. De même, la vitesse a diminué avant que les radars ne soient en service.

Les infractions constatées par contrôles aléatoires – pourtant plus rares que les autres car ils mobilisent du personnel – sont paradoxalement beaucoup plus nombreuses que celles enregistrées par les radars fixes fonctionnant 24 heures sur 24, et qui révèlent un taux d'infraction extrêmement bas : 0,3 %.

D'après l'étude de 2006 sur les effets du contrôle sanction automatisé, l'impact des radars fixes n'excède pas trois kilomètres, et ils ne font pas baisser la vitesse de plus de 5 % à 6 %. En fait, même si l'attention s'est focalisée sur les radars fixes, c'est à la complémentarité entre les deux types de radars et à l'apprentissage des radars fixes que l'on doit la baisse des vitesses. Certains contestent la conclusion au motif que les accidents peuvent baisser sans radars, mais, s'il y a une baisse globale de la vitesse en France, c'est à cause des contrôles de vitesse. La répartition autour de la vitesse moyenne fait apparaître un effet de peloton : tout le monde roule moins vite, ceux qui commettent des infractions, ceux qui n'en commettent pas ; il en va de même pour les étrangers.

Conclusion : le gros succès des radars fixes a été lié au fait qu'ils ont permis d'arrêter de raisonner en « grand excès de vitesse » ou en « récidive de grand excès de vitesse ». Ces dispositions n'ont pas marché car le contrôle en était excessivement difficile et elles n'étaient pas bien ciblées sur le gros du trafic. Or c'est quand le peloton réduit sa vitesse que le nombre d'accidents diminue. Quant au lien entre vitesse et accident, il est démontré par des centaines d'études. Les mesures concernant les radars expliquent les trois quarts de la baisse des vitesses observée de 2002 à 2006.

Je vous mets en garde contre le fait d'être plus accommodant avec les petits excès de vitesse, surtout s'agissant des retraits de points – l'amende n'est pas dissuasive. Ne plus punir les petits excès de vitesse reviendrait à relever la vitesse autorisée de 10 ou 20 kilomètres à l'heure. Autrement dit, on referait en sens inverse le chemin parcouru de 2002 à 2006 puisque les vitesses ont diminué de 8 % ; le nombre des tués augmenterait de 30 à 40 %.

Nos concitoyens, dit-on, supporteraient de moins en moins les radars. Mais il existe d'autres moyens pour faire baisser la vitesse : les infrastructures telles que les chicanes ou les ralentisseurs à l'entrée des villages ; ou le LAVIA, le limiteur de vitesse s'adaptant à la vitesse autorisée, lié au GPS, pourvu qu'il soit aussi facile à un conducteur de s'en servir qu'à un chauffeur de taxi de changer de zone de tarif sur son compteur. Il faudrait que le conducteur qui veut respecter la réglementation puisse le faire sans difficulté.

Le nombre d'infractions, qui était passé de 1 million à près de 6 millions entre 2002 et 2007, plafonne depuis cette date, après la décision de diminuer la durée nécessaire pour récupérer des points perdus à l'unité. Cette stabilisation globale dissimule une très forte augmentation, qui se ralentit toutefois, des infractions à un point et, corrélativement, une diminution des infractions à deux points et plus. La dureté du système a donc été considérablement atténuée avec cette réforme. Plus des trois quarts des conducteurs ont douze points sur leur permis, et ceux qui ont moins de six points représentent moins de 2,5 % – ces derniers sont donc très peu nombreux.

La comparaison des causes de la perte des points entre l'ensemble des conducteurs et ceux qui ont vu leur permis invalidé en 2006 ou 2007 pour solde nul est instructive : si les excès de vitesse sont à l'origine de près de 30 % des points perdus par l'ensemble des conducteurs, c'est l'alcool ou les stupéfiants qui sont, dans les mêmes proportions, la cause de la perte des points chez ceux qui ont perdu leur permis, ce qui n'est pas très surprenant puisque la sanction est de 6 points. Dans cette seconde catégorie, la vitesse n'explique pas plus de 8 % des points perdus.

Pour améliorer la sécurité routière, il est plus facile de réduire la vitesse que d'agir contre l'alcool, qui est pourtant à l'origine de plus de 25 % des accidents. Un chiffre parle de lui-même : la part des personnes tuées depuis 2002 dans des accidents où l'alcool est en cause est étonnamment stable – autour de 30 % – alors que les règles se sont durcies en même temps que les sanctions.

L'analyse de la répartition du nombre des conducteurs impliqués dans des accidents mortels en fonction de leur taux d'alcoolémie met à mal l'idée reçue selon laquelle les accidents seraient dus à de petits excès d'alcool. Le taux d'alcool moyen de cette population est de l'ordre de 1,8 gramme par litre. Tout le monde n'est pas capable d'en absorber autant.

On a tort de penser que l'alcool ne concerne que les jeunes. En se focalisant sur eux, comme dans la campagne vantant les capitaines de soirée, on déresponsabilise les autres conducteurs. Ensuite, il ne faut pas se cacher que la solution des problèmes d'alcool passe par la médecine – au stade curatif pour supprimer la dépendance et au stade préventif par une détection précoce. Il faudrait aussi être plus rigoureux dans le suivi des retraits de permis. Une autre piste intéressante est l'éthylotest anti-démarrage, autorisé depuis la LOPPSI, dont les tribunaux pourraient imposer l'installation, et qui est facile à vérifier et à contrôler. La suppression du permis ne sert à rien, les gens continuent de rouler. Les États-Unis installent tous les ans environ 20 000 éthylotests anti-démarrage. Il s'agit de modèles sophistiqués puisqu'ils identifient la personne qui souffle, indiquent le jour, l'heure et le taux d'alcoolémie.

En conclusion, ce qui nous différencie des autres pays est surtout le management de la sécurité. Beaucoup de pays ont opté pour des plans pluriannuels, arrêtés par une instance ad hoc, et non pour des mesures au coup par coup.

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