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Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 5 juillet 2011 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Cazeneuve, Rapporteur :

L'analyse de la problématique des externalisations du ministère de la Défense attire notre attention sur un certain nombre de difficultés – dont la plupart n'avaient d'ailleurs pas échappé à la Cour de comptes. J'en développerai trois. Je terminerai mon propos en m'arrêtant sur un cas concret cité en exemple par nombre d'observateurs mais qui recèle pourtant sa part d'ombre, le projet Balard.

La première préoccupation est d'ordre quantitatif : les externalisations prolongent-elles sans le dire la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

La déflation des effectifs du ministère de la Défense pendant la loi de programmation militaire, de 2009 à 2014, a été fixée à 54 000 agents civils et militaires. Les externalisations engagées sur la même période portent sur des services regroupant au total 16 000 personnes. Peut-on dire que ces 16 000 postes s'ajoutent aux 54 000 en cours de suppression, portant la déflation totale des effectifs du ministère à 70 000 en six ans ?

La mission a entendu des intervenants très en retrait sur cet objectif de 16 000 postes, d'autres qui en niaient l'existence même. La Cour des comptes reconnaît, elle aussi, avoir du mal à se forger une opinion définitive puisque les magistrats ont écrit qu'« il est nécessaire que l'articulation des projets d'externalisation avec les rationalisations devant aboutir à la suppression de 54 000 emplois soit clarifiée ».

Pour sa part, la MEC a acquis la conviction que les emplois faisant l'objet d'une externalisation viennent bien en sus des 54 000 postes supprimés par restructurations et rationalisations sur la période 2009-2014. Seul le nombre de 16 000, qui semble n'être qu'une évaluation maximale, peut être sujet à caution. En conséquence, la mission demande que soit levée l'ambiguïté entre les gains en effectifs attendus des externalisations et l'objectif général du ministère de réduire ses effectifs.

Notre deuxième préoccupation vient de la difficulté pour le ministère de la Défense de matérialiser le coût et les bénéfices attendus des externalisations. Rarement une mission d'évaluation et de contrôle aura eu à travailler avec aussi peu de données statistiques. Pourtant, dans le domaine de l'externalisation, il est essentiel de s'assurer, évaluation à l'appui, que le service rendu par un prestataire sera économiquement intéressant pour le ministère.

Un exemple : ni le montant du budget des externalisations en 2010 ni les prévisions pour 2011 ne sont disponibles à la date de publication du rapport. Les derniers chiffres disponibles sont ceux de l'année 2009. La Cour des comptes, qui a rendu son rapport fin 2010, a été obligée de travailler sur les chiffres de 2008. Une des propositions de la mission consiste à demander l'information du Parlement en loi de finances initiale sur les montants consacrés chaque année aux externalisations.

Une part importante des externalisations réalisées ces dernières années a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. Lorsque des gains sont annoncés par le ministère, comme c'est le cas pour la gestion des véhicules de la gamme commerciale ou les avions de l'école de pilotage de Cognac, il semblerait que ces gains soient davantage liés à la réorganisation – et à la réduction – des prestations, qu'à l'externalisation.

La troisième préoccupation provient du risque d'une dérive vers une « finance imaginative ». Les externalisations peuvent très certainement permettre de réaliser des réformes en contournant une difficulté importante. Ainsi, le remplacement en une fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale aurait été impossible autrement. Pour autant, l'externalisation ne doit pas devenir un principe général d'administration pour réaliser des réformes qu'on ne sait pas ou ne veut pas mener en interne.

Sur ce point, le MEC et la Cour des comptes partagent le même constat : les externalisations donnent trop souvent l'impression de n'avoir pour finalité que de contourner l'obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement lourd immédiat, pour lequel les financements ne sont pas disponibles sur le titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers retracés au titre 3 du budget.

L'exemple britannique du ravitaillement en vol est révélateur et doit conduire l'armée française à choisir la voie de l'acquisition patrimoniale plutôt que celle de l'externalisation : en 2008, le ministère britannique de la défense a contractualisé avec un consortium créé pour la circonstance, la fourniture, sur 27 ans, d'un certain nombre annuel de ravitaillements en vol ; or, pour des raisons budgétaires, la flotte aérienne de la RAF a été drastiquement réduite en 2010. Le besoin britannique en ravitaillements en vol est donc désormais bien moindre que celui contractualisé. Comment renégocier un contrat tout juste signé ? Avec une acquisition patrimoniale, une telle difficulté aurait été contournée par la revente d'occasion des appareils en question ou par leur utilisation à un autre usage.

Enfin, je souhaiterais conclure mon propos en évoquant un cas concret : le projet de regroupement de l'administration centrale du ministère à Balard.

Il s'agit d'un projet en apparence bien monté et dont les observateurs nous disent unanimement le plus grand bien : fin 2014, grâce à un partenariat public-privé, l'administration prendra possession d'un nouveau ministère prêt à fonctionner incluant de nombreux services (gardiennage extérieur, restauration, entretien, services informatiques, etc.). Le loyer à verser pendant 27 ans permettra d'économiser les frais payés jusqu'à présent par les services éparpillés sur une quinzaine de sites en région parisienne. En outre, ce projet permettra de faire l'économie de lourds travaux d'entretien à venir ainsi que d'une remise à niveau des systèmes d'information.

Pour autant, le tableau, très bien présenté par les responsables du projet, pourrait ne pas être aussi idyllique.

Le calcul du ministère de la Défense peut être ramené à l'équation budgétaire suivante : plutôt que de dépenser pour les infrastructures immobilières des sommes variables et soumises à des aléas, choisissons la stabilité d'une dépense contractuellement définie – 155,4 millions d'euros TTC en euros constants 2011 – et dont la révision, organisée dès l'origine, ne devrait pas présenter a priori de surprise désagréable. Cette enveloppe est non seulement stable, mais porteuse d'économies sur la période couverte par le partenariat. En l'absence de projet, le ministère aurait dû continuer à payer chaque année 226 millions d'euros de fonctionnement et de loyers budgétaires correspondant aux agents transférés à Balard. À cette somme se seraient immanquablement ajoutés les coûts de remise à niveau des systèmes d'information ainsi que d'importants travaux de rénovation immobilière estimés très approximativement à 600 millions d'euros.

La difficulté provient du fait que les hypothèses économiques réalisées sur un terme de trente ans comportent nécessairement des prises de risque. Même si le ministère paraît relativement bien protégé par le contrat, que se passerait-il si le partenaire était mis en difficulté par des aléas imprévisibles au moment de la signature, voire s'il venait à faire défaut ?

De plus, la base de comparaison repose sur des hypothèses de dépenses actualisées que la MEC n'a pas été en mesure de passer au crible : il est trop tôt pour procéder à une évaluation contradictoire.

En outre, le projet Balard doit permettre la libération et donc la vente d'un certain nombre d'emprises parisiennes, dont la plus importante est l'îlot St-Germain. A cette occasion, une recette exceptionnelle d'environ 600 millions d'euros doit être dégagée ; cette recette, nous assure-t-on, n'est pas liée à la réalisation du projet, dont la viabilité est gagée par la réduction annoncée des frais de fonctionnement. La recette exceptionnelle, annoncée depuis 2009 et sans cesse repoussée, fait pourtant partie de l'équation économique globale puisqu'elle doit être entièrement affectée au budget de la Défense. Sa non réalisation jusqu'ici pose donc un nouveau questionnement sur la maîtrise globale de « l'équation budgétaire » du projet Balard.

Toute l'attention du Parlement devra donc continuer à être mobilisée pour porter un jugement documenté sur le bien-fondé du choix de financement retenu.

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