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Intervention de Louis Giscard d'Estaing

Réunion du 5 juillet 2011 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouis Giscard d'Estaing, Rapporteur :

En réalité, M. le Président, l'accord a été facile à atteindre. Si nos points de vue d'origine sont différents, les auditions ont montré notre convergence, et nos conclusions sont pleinement consensuelles.

En France, l'achat de prestations autrefois réalisées en régie n'est pas une nouveauté : le phénomène a pris son essor à la fin des années quatre-vingt-dix avec la suspension du service national, Mais cette politique a connu sa véritable expansion au cours des années 2007 et 2008, dépassant désormais largement le milliard d'euros de prestations externalisées. En 2009, les dépenses d'externalisation représentaient 5 % du budget de la Défense et avaient presque triplé par rapport à 2001.

L'ampleur du phénomène n'est certes pas comparable avec ce qui se pratique chez les Anglo-saxons : les Britanniques ont externalisé 25 % de leur budget Défense, soit environ 10 milliards d'euros. En revanche, les montants externalisés par l'armée allemande (1,6 milliard d'euros, soit 5 % du budget de la Bundeswehr), sont similaires aux nôtres.

Le ministère de la Défense a codifié le processus décisionnel pouvant mener à une externalisation. La première tâche consiste à identifier tous les éléments attachés à une activité en régie, c'est-à-dire de production interne. Le ministère examine ensuite s'il est possible de réaliser, en interne, des économies qui rendraient une externalisation superflue. S'il apparaît malgré tout que le recours à l'externalisation peut être envisagé, la démarche est poursuivie.

Puis, une évaluation préalable est réalisée : le ministère observe la situation dans d'autres entreprises ou entités administratives, et recherche les prix du marché. L'externalisation ne doit pas affecter la conduite des opérations : c'est la « ligne rouge » à ne pas franchir. Mais surtout, elle doit permettre des économies solides et durables.

Le ministère veille à ce que le marché ne soit pas aux mains d'oligopoles et à que la concurrence soit préservée de manière à pouvoir transférer le marché à un nouveau partenaire si le titulaire du contrat venait à défaillir.

La situation du personnel est également prise en compte. Ainsi, la législation a été modifiée et le décret du 21 septembre 2010 a permis la mise à la disposition d'entreprises sous-traitantes, de personnels de la Défense. Ce décret, rapidement surnommé « MALD » – mise à la disposition –, définit les modalités permettant aux personnels civils et militaires du ministère de la Défense d'être mis à la disposition d'une entreprise attributaire d'un marché concernant une activité externalisée.

L'agent mis à la disposition continue de percevoir l'ensemble des éléments de la rémunération afférente à l'emploi qu'il occupait précédemment au sein du ministère. De son côté, l'entreprise d'accueil verse un remboursement égal « à la somme du salaire, des majorations de salaire et des cotisations et contributions dus par l'organisme d'accueil pour l'emploi d'un salarié occupant un poste comparable avec une qualification professionnelle et une ancienneté équivalentes ».

Quel est l'intérêt de ce décret ? En l'absence d'outil juridique permettant le transfert de personnels, les armées devaient jusqu'en 2010 procéder au reclassement de leurs personnels, ce qui occasionnait des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Le décret évite non seulement de tels coûts, mais permet aux personnels de continuer à travailler sur un même lieu géographique, ce qui le rend socialement intéressant.

Au premier abord, ce dispositif fait peser un certain surcoût sur l'État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, ni ne bénéficient d'indemnités de reclassement complémentaires. D'ailleurs, nombre de personnes mises à la disposition des entreprises par le ministère de la Défense rejoignent définitivement ces sociétés au moment où elles quittent l'armée.

Le champ d'intervention de l'externalisation s'est considérablement étendu au cours de ces dernières années. Nous nous sommes intéressés prioritairement aux projets non encore aboutis, sur lesquels le pouvoir politique peut donner un avis de nature à influer sur les décisions finales.

J'en présenterai deux sur lesquels la mission souhaite attirer l'attention de la Commission : l'affrètement aérien et les satellites de télécommunications.

Certains pays membres de l'Otan ont mis des ressources en commun pour affréter des aéronefs de transport lourd partout dans le monde. Le consortium ainsi créé affrète actuellement six Antonov 24 capables d'accueillir des cargaisons hors gabarit. C'est le contrat Salis (Strategic Air Lift Interim Solution, ou Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique). Ce contrat constitue une originalité dans la mesure où l'Otan est liée par un contrat stratégique à une société russe, Volga-Dniepr.

Ces aéronefs sont utilisés comme solution intérimaire pour pallier les lacunes des moyens de transport aérien stratégique de l'Alliance, en attendant la livraison des premiers Airbus A400M ainsi que des ravitailleurs MRTT qui seront également employés au transport de passagers et de marchandises.

La France représente 25 % des demandes contractuelles adressées à Salis. Notre pays est l'un des plus engagés hors de son territoire national et ne dispose pas d'une flotte de gros porteurs stratégiques, contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Parallèlement au contrat Salis, mais séparément de l'Otan, un groupe de nations européennes a mis au point un mécanisme de coopération original permettant l'échange de prestations de transport de passagers et de marchandises sur la base d'un troc d'heures de vol. Il s'agit de l'accord Atares, conclu par douze pays.

Dans les deux cas, Salis et Atares, l'externalisation est subie et non choisie : l'armée de l'air française n'a plus les capacités de transporter avec ses moyens patrimoniaux les matériels nécessaires au soutien de nos Opex : ainsi, en 2010, l'armée de l'air n'a transporté avec ses moyens propres que 46 % des acheminements stratégiques de fret. Et pour la première fois, plus de 50 % des acheminements de fret de nos forces ont été réalisés par des appareils russes, principalement les Antonov du contrat Salis sans lesquels le soutien de nos 4 000 hommes en Afghanistan ne serait pas possible. Autant que la Cour des comptes, la MEC s'alarme de cette très forte dépendance.

Bien que le contrat Salis courre jusqu'en 2012, la société Volga-Dniepr a annoncé son souhait de se désengager. Elle a porté unilatéralement le prix de l'heure de vol à 30 200 euros, soit une majoration d'environ 20 %, et le volume d'heures a été fortement réduit. Pour compenser le désengagement de son partenaire, l'armée française a conclu, dans l'urgence, un contrat bilatéral avec un autre partenaire, la société ICS. Cet événement illustre parfaitement les dangers d'une dépendance de nos forces à l'égard d'une société en position oligopolistique.

L'une des propositions de la MEC est donc de veiller à ce que les armées, sans renoncer complètement aux contrats d'externalisation, conservent un socle minimal de capacités patrimoniales qui leur permettent de ne pas devenir dépendantes de partenaires privés. C'est la raison pour laquelle, notamment, nous appelons le ministre de la Défense à commander aussitôt que possible l'avion de ravitaillement et de transport MRTT.

J'en viens aux satellites de télécommunications. L'objectif de l'opération Nectar consiste à céder à titre onéreux à un opérateur privé l'usufruit des satellites de télécommunications militaires Syracuse.

En échange, l'opérateur privé s'engagera à gérer, moyennant un loyer qui lui sera versé, les communications satellitaires du ministère de la Défense, client privilégié. Les capacités non utilisées par les armées pourront être proposées à d'autres clients, mutualisant les moyens et augmentant les sources de revenus possibles. En revanche, en cas de pertes de capacités des satellites, c'est à l'opérateur qu'incomberait la charge de trouver des solutions de rechange : le ministère de la Défense louerait ainsi un service global de télécommunications.

La Mission attire l'attention du Gouvernement sur les dangers induits par une perte de compétence dans un domaine aussi essentiel pour le caractère opérationnel des armées. À la lumière des expériences étrangères, notamment britannique, ils constatent qu'une compétence perdue l'est généralement de manière irréversible. Ainsi, la compétence « maître de satellite », détenue par des militaires possédant un savoir-faire très spécialisé pour diriger la charge utile, s'éteindra en 2012. La question de la réversibilité se pose, car il faudrait de nombreuses années pour retrouver cette compétence.

Mais au-delà de cette question de compétence, la rentabilité globale du projet est en cause en raison du retard pris par cette opération, évoquée depuis 2008 mais sans cesse retardée.

La durée de fonctionnement résiduelle des deux satellites Syracuse en orbite est limitée à 2017 ou 2018 : tout retard dans la signature du contrat entraîne mécaniquement une réduction du prix d'acquisition qui sera proposé par les opérateurs. La DGA elle-même n'est pas sûre que la somme proposée par les candidats soit supérieure aux loyers à payer et que, par conséquent, l'opération sera rentable. La durée de contrat envisagée, huit ans, paraît incompatible avec la durée de vie résiduelle des engins (6 à 7 ans) et la mise en oeuvre risque désormais d'intervenir trop tard.

C'est pourquoi la MEC demande au ministre de la Défense de renoncer à la cession de l'usufruit des satellites de télécommunications qui s'apparente davantage à une opération de trésorerie destinée à engranger une recette exceptionnelle, qu'à un réel partenariat public-privé.

En conclusion, je ne voudrais pas donner une impression trop négative des partenariats public-privé. Des opérations telles que l'externalisation des véhicules de la gamme commerciale, la mise en oeuvre de avions de l'école de Cognac, l'achat d'heures de vol d'hélicoptère au profit de la base école de Dax semblent donner de bons résultats pour un moindre coût. De la même manière, il est probable que l'opération Balard n'aurait sans doute pas été possible sans partenariat.

Toutefois, la Mission ne serait pas dans son rôle si elle n'attirait l'attention de la commission sur les dérives qui peuvent être induites par certains projets. C'est l'objectif que nous nous sommes fixés.

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