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Intervention de Robert Namias

Réunion du 28 juin 2011 à 17h00
Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Robert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière :

Je vous remercie de m'avoir invité. J'en suis à la fois très honoré et très heureux. Alors que je dirigeais la rédaction de TF1, je m'intéressais à de nombreuses questions de société mais pas particulièrement à la sécurité routière. En 1994, le ministre des transports, Bernard Bosson, m'a demandé de présider une commission extraparlementaire, laquelle comprenait des parlementaires, issus de l'Assemblée nationale et du Sénat, et des représentants du ministère de la défense, dont dépendait à l'époque la gendarmerie, du ministère de l'intérieur et de l'ensemble des acteurs de la sécurité routière – associations de victimes, constructeurs automobiles ou encore assureurs. J'ai accepté et durant trois mois, à raison de deux séances par semaine, nous avons étudié l'accidentologie au regard de la vitesse et les rapports entre sécurité routière et vitesse. Ces travaux ont donné lieu à un rapport, édité par la Documentation française, consacré à la vitesse et à la sécurité routière.

Ce rapport proposait un certain nombre de mesures susceptibles d'améliorer la situation. Il convient de rappeler les chiffres : en 1994, la route faisait plus de 12 000 morts par an – mais ce chiffre était de 17 500 en 1973, lorsqu'ont été prises les premières mesures telles que le port de la ceinture de sécurité et les limitations de vitesse. En vingt ans, le nombre de victimes n'avait baissé que de 5 000.

La situation était suffisamment alarmante pour nous amener à nous interroger sur l'efficacité des limitations de vitesse en vigueur à l'époque – elles ont d'ailleurs été maintenues – et sur les mesures qu'il convenait de prendre. Pendant dix-sept ans, toutes les mesures préconisées dans ce rapport ont accompagné la politique de sécurité routière. Toutes sauf une, à laquelle je continue de croire, qui n'a pas été mise en oeuvre à l'époque compte tenu de la difficulté administrative qu'aurait entraîné le travail conjoint de deux ministères - le ministère de l'intérieur et celui de la défense : il s'agit de la création d'une police de la route, dédiée à la sécurité sur la route.

Le rapport préconisait la mise en place de radars automatiques. Les experts de la police et de la gendarmerie que nous avions consultés estimaient qu'il était nécessaire d'installer 5 000 radars automatiques fixes pour assurer le contrôle effectif de la vitesse sur l'ensemble du territoire. Nous en sommes encore loin aujourd'hui ; et lorsqu'on voit les réactions que cela provoque, on peut se demander si nous pourrons un jour parvenir à ce résultat.

Je vous remercie d'autant plus de m'avoir invité que, depuis trois ans, je ne suis plus président du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), après l'avoir été pendant cinq ans. Ce qui m'inquiète, c'est que je n'ai pas de successeur et qu'il n'y a plus, de facto, de Conseil national de la sécurité routière.

Ce conseil, créé par le Gouvernement Jospin en 2001, a été présidé par l'un d'entre vous pendant les deux premières années. En 2003, le Gouvernement Raffarin, découvrant que la politique de sécurité routière était pour l'essentiel basée sur le rapport que j'avais produit en 1994, m'a demandé si je voulais en assurer la présidence, neuf mois après que le Président de la République eut décidé de faire de la sécurité routière une grande cause nationale. J'ai donc terminé le premier mandat avant d'assumer le second mandat de trois ans, de 2005 à 2008.

Le Conseil de la sécurité routière, à vocation consultative, était alors considéré par certains, dont le Gouvernement, comme l'un de ces nombreux comités Théodule qui n'ont qu'un intérêt relatif. Sa composition était presque identique à celle de la commission que j'avais présidée en 1994. J'avais souhaité qu'il en soit ainsi mais j'avais demandé aussi aux services du Premier ministre d'élargir la composition du Conseil aux représentants de différents secteurs. La totalité des acteurs de la sécurité routière y était représentée puisqu'il était composé de parlementaires, de représentants des ministères intéressés, dont le ministère des transports directement en charge de la sécurité routière – Gilles de Robien, qui fut un ministre très efficace, nous a beaucoup soutenus –, le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense. Étaient également représentés au Conseil tous les acteurs de la société civile dont les associations, y compris celles avec lesquels j'ai eu des rapports très conflictuels – je suis allé jusqu'à suspendre pendant un temps la participation de l'association des Motards en colère –, mais également les associations d'aide aux victimes, les associations des usagers de la bicyclette et des deux-roues, les représentant des piétons, enfin les constructeurs automobiles et les compagnies d'assurances.

Le Gouvernement avait confié au Conseil la mission de réfléchir, d'évaluer les effets – positifs et négatifs – des mesures en vigueur et de faire des propositions, inspirées notamment par les exemples étrangers. Le Conseil comprenait un comité d'experts qui nous a apporté ses lumières. Durant les trois premières années de vie du Conseil, jusqu'en 2007, tout a très bien fonctionné grâce aux acteurs impliqués en matière de sécurité routière, qu'il s'agisse du Gouvernement, en particulier des ministères des transports et de l'intérieur, du Président de la République, mais aussi de la Délégation interministérielle, en la personne de Rémy Heitz, qui a accompli un travail remarquable. Je me dois de dire que la politique de sécurité routière a été durant toutes ces années conduite de concert par le Gouvernement, le Président de la République, le délégué interministériel, qui appliquait avec beaucoup de conviction les mesures prises dans le cadre du comité interministériel, allant parfois jusqu'à en proposer d'autres, et le Conseil lui-même. Cela a permis d'éviter les cafouillages comme ceux auxquels nous assistons depuis quelques semaines.

Si le Conseil a permis d'éviter de tels cafouillages, particulièrement déplorables, c'est qu'il entendait les avis des uns et des autres et qu'il était capable d'évaluer la façon dont seraient accueillies les mesures qui pouvaient être envisagées.

Nous avons fait un certain nombre de propositions spectaculaires, dont certaines, qui n'ont pas été retenues, me paraissent plus que jamais d'actualité.

Si j'ai tant insisté sur le fonctionnement du Conseil, c'est qu'il traduisait une volonté politique extrêmement forte et courageuse permettant d'éviter les pièges, de mesurer les seuils d'intolérance de l'opinion publique et de prévoir la façon dont serait acceptée telle ou telle mesure – ce qui est primordial en matière de sécurité routière car le seuil d'acceptabilité évolue en permanence, en fonction de l'environnement dans lequel la mesure a été prise et de la façon dont elle est portée, expliquée et communiquée dans la durée.

Je considère que cette volonté politique n'existe plus au plus haut niveau de l'État. Certes, tout le monde affirme, la main sur le coeur, qu'il faut tout faire pour que le nombre de morts diminue, mais, derrière ces mots, je ne vois aucun acte, sinon des décisions contradictoires, très souvent prises à l'emporte-pièce et contraires à une politique efficace, utile et acceptée par tous.

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