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Intervention de Dominique Tian

Réunion du 29 juin 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Tian, rapporteur :

Après onze mois de travaux, de nombreuses auditions et quelques déplacements en France et à l'étranger – en Belgique et aux Pays-Bas – sous la présidence conjointe de Jean Mallot et de Pierre Morange et avec la participation active des membres de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), me voici en mesure de présenter à la Commission des affaires sociales le rapport d'information que nous avons adopté à l'unanimité la semaine dernière.

Notre travail consistait à tenter de répondre à ces deux questions : la fraude sociale existe-t-elle dans notre pays ? Quelles mesures législatives faudrait-il adopter pour y remédier ?

La fraude sociale existe en effet, même si elle est quelque peu différente de ce que nous pouvions imaginer. Le bilan des travaux de la mission a été largement relayé par la presse et par le Gouvernement, qui a présenté mercredi dernier un plan de lutte contre la fraude. J'ai relevé cette coïncidence, qui montre l'intérêt que suscitent les travaux de l'Assemblée nationale…

La fraude sociale coûte à notre pays près de 20 milliards d'euros, essentiellement dus au travail illégal, qui est un mal endémique dans notre pays, 2 à 3 milliards étant dus à la fraude aux prestations. Les chiffres de la fraude aux encaissements ont été confirmés par le Conseil des prélèvements obligatoires et ceux relatifs à la fraude aux prestations sont issus des travaux de la Cour des comptes. Ils sont donc peu contestables.

Le Gouvernement s'est exprimé sur ces chiffres par la voix de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, qui a indiqué que les fraudes aux prestations et aux prélèvements détectées en 2010 représentaient un montant de 458 millions d'euros. Des organismes ont également communiqué au cours de ces derniers mois : la branche famille, qui a relevé plus de 90 millions d'euros de fraudes en 2009 ; la branche maladie, qui a mis en évidence 156 millions d'euros de fraude ; la branche vieillesse dont la fraude détectée est passée de 3 millions d'euros en 2009 à plus de 10 millions d'euros en 2010. Cette augmentation résulte essentiellement de la fraude au départ anticipé pour carrière longue, les salariés ayant pu en effet reconstituer leur carrière sur simple déclaration sur l'honneur. Cette facilité a fait l'objet d'une scandaleuse fraude massive.

La question de la fraude n'est pas nouvelle et nos collègues membres de la MECSS présentent régulièrement des amendements, parfois avec succès, visant à lutter contre elle. L'Assemblée nationale se penche chaque année sur ce thème lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et certains de nos collègues s'investissent particulièrement en la matière, notamment Michel Issindou, qui siège à mes côtés avec deux sénateurs au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF).

Après 28 auditions et sept déplacements, nous avons le sentiment qu'en matière de lutte contre le travail illégal, les moyens engagés par l'État sont insuffisants. La difficulté vient de ce que ce véritable fléau national est souvent le fait de professionnels de la fraude qui profitent des faiblesses et des lacunes du système. La création d'un fichier national des dirigeants ayant fait l'objet d'une condamnation pour interdiction de gérer, attendue depuis longtemps, serait bienvenue. Si le travail au noir peut avoir un côté marginal lorsqu'il représente un complément d'activité pour des personnes peu fortunées, le silence des uns et des autres lorsque le système est industrialisé est inadmissible. Aussi est-ce de manière unanime que nous souhaitons voir l'État lutter plus efficacement contre le travail au noir.

En matière de lutte contre la fraude, le pilotage national, en particulier celui des caisses, est insuffisant. La loi ou le règlement ne sont pas appliqués de la même manière selon les départements et les régions, et cette disparité nous inquiète. Certains grands chantiers de l'État en matière de croisement de fichiers ont pris du retard – je pense au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), qui ne devrait être opérationnel qu'en fin d'année.

Une autre faiblesse du système tient à la complexité de la réglementation sociale, qui fait l'objet de notes internes quasiment quotidiennes destinées à permettre aux employés des caisses d'allocations familiales d'en comprendre le fonctionnement. Les directives sont souvent comprises différemment selon les régions, ce qui facilite la tâche des fraudeurs.

Les moyens humains et techniques mis à la disposition des caisses et des Urssaf sont notoirement insuffisants. Or, l'on sait que plus on cherche, plus on trouve.

Quant aux contrôles des assurés et aux sanctions pénales et administratives prononcées à l'encontre des fraudeurs, ils nous semblent trop rares pour constituer un signal suffisamment fort.

J'en viens à quelques-unes des propositions de notre rapport d'information, qui devrait d'ailleurs s'intituler « La fraude sociale : une menace pour la solidarité ».

Tout d'abord, le pilotage de la politique de lutte contre la fraude – sujet qui n'est plus tabou – doit être renforcé. Il faut lutter contre les disparités locales, notamment en adoptant une définition nationale de la lutte contre la fraude ainsi que des conventions d'objectifs et de gestion plus contraignantes – c'est d'ailleurs l'une des recommandations de la Cour des comptes. Il faut également développer la formation des agents.

Il convient, en outre, de sensibiliser les assurés et les entreprises aux enjeux de la fraude, comme cela a été fait à plusieurs reprises. Il faut renforcer le plan national de communication, à l'instar de la plupart des pays européens. Il semble nécessaire, à cet égard, de mettre en place des sanctions pénales plus dissuasives, notamment pour les récidivistes, et de développer le recours aux sanctions administratives, plus rapides à mettre en place.

La réglementation applicable à certaines prestations sociales doit être réformée. Il est ainsi proposé de simplifier le critère d'attribution du revenu de solidarité active (RSA) majoré – l'ancienne allocation de parent isolé (API) – en le basant sur le seul isolement économique. Il s'agit de vérifier l'absence de mise en commun des ressources et de toute aide financière – qui paie les charges du ménage, le loyer, la cantine des enfants ? – au lieu de prévenir les personnes à l'avance par courrier recommandé que l'on vient vérifier si elles vivent seules. Sans aller jusqu'au renversement de la charge de la preuve, la notion d'isolement économique nous paraît plus logique et plus acceptable sur le plan intellectuel.

Il est primordial de renforcer les moyens de contrôle. Il faut à cet effet augmenter le nombre de contrôleurs des organismes de sécurité sociale, les doter d'outils tels que les détecteurs de faux papiers, et mettre en place un fichier national interrégimes des personnes ayant commis une fraude en matière sociale. Cette disposition a fait l'objet de longues discussions. La plupart des pays européens ont choisi de concentrer leur action sur les personnes qui présentent un risque de fraude plutôt que de se lancer dans d'importantes missions de contrôles qui se révèlent souvent inopérantes, et des expérimentations de datamining – qui, par un meilleur ciblage des fraudeurs potentiels, permet de gagner du temps et de l'efficacité – sont menées par plusieurs caisses.

Les Urssaf doivent être dotés de moyens supplémentaires pour lutter contre le travail illégal, par exemple la mise en place d'un fichier national d'interdits de gérer. En l'absence de connexion des greffes des tribunaux de commerce, un dirigeant frappé d'une interdiction de gérer peut, en effet, déclarer une société dans un autre greffe. Cette absence de contrôle est condamnable, et les greffes ont une réelle responsabilité à prendre en la matière.

Parmi les recommandations auxquelles la mission tient particulièrement figure la procédure de « flagrance sociale ». En matière de lutte contre le travail illégal, les réponses administratives et pénales sont trop longues ne permettant pas la mise en oeuvre immédiate de mesures conservatoires. Ainsi, dans le secteur du bâtiment, des chantiers continuent alors même que du travail illégal a été détecté. La procédure de « flagrance sociale » entraînerait l'arrêt immédiat du chantier.

La lutte contre la fraude passe par l'interconnexion des fichiers. La mise en place du répertoire national commun de protection sociale doit être achevée et l'accès des organismes de sécurité sociale au logiciel d'application des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF) doit être finalisé. La France est en retard sur ce point par rapport aux autres pays européens.

Certaines expériences innovantes méritent d'être généralisées. Les réseaux de professionnels de santé pourraient s'inspirer de l'expérimentation conduite à Toulouse pour lutter contre le trafic des substituts aux opiacés – le Subutex en l'occurrence – qui a entraîné la diminution sensible des détournements. Pourquoi la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés n'a-t-elle pas généralisé cette expérience ?

Il est également impératif de mettre en place une carte de sécurité sociale sécurisée, qui contiendrait l'ensemble des données de sécurité sociale de l'assuré. Cette carte, d'une durée limitée, serait délivrée par les services d'état civil des mairies dans le cadre d'un face-à-face. Le fait que la photo de la carte Vitale peut être adressée par courrier nous a beaucoup choqués, car cela ne présente pas les garanties de sécurité nécessaires et facilite la tâche de celui qui a l'intention de frauder. Ces cartes de sécurité sociale ne seront pas biométriques, comme le seront bientôt les cartes d'identité lorsque nous aurons voté la proposition de loi adopté par le Sénat relative à la protection de l'identité que nous examinerons les 5 et 6 juillet prochains. Étendre le face-à-face à un certain nombre de documents ne coûterait pas beaucoup plus cher et rendrait la fraude impossible.

Nous souhaitons également réduire la circulation des ordonnances falsifiées. La situation est assez absurde et les syndicats de pharmaciens ont appelé notre attention sur ce point. Un certain nombre d'ordonnances sont anonymes, et si celles qui sont délivrées à l'hôpital font apparaître le nom du chef de service, il est extrêmement difficile pour les pharmaciens d'en vérifier le signataire. C'est pourquoi nous préconisons les prescriptions électroniques ou, à défaut, l'apposition d'une signature électronique sur les ordonnances.

Nous nous sommes intéressés, tout comme le Gouvernement et la Cour des comptes, au million d'assurés qui perçoivent une prestation de retraite de la Caisse nationale d'assurance vieillesse à l'étranger. Il semble que la fraude massive des centenaires algériens soit une légende. La question n'a pas semblé primordiale à la mission, mais nous ne pouvons continuer à nous contenter du certificat de vie annuel, dont il est impossible de vérifier l'authenticité. Nous avons trouvé un accord sur la création d'une carte de sécurité sociale biométrique pour les assurés partant à l'étranger. La biométrie est utilisée par la plupart des pays européens et d'autres pays du monde, comme en Afrique du Sud où les prestations de retraite peuvent être versées par le biais d'un document biométrique, ou encore aux États-Unis où, à New York, les personnes sans domicile fixe détiennent un document biométrique qui permet de les identifier. Cette solution serait facile à mettre en place, car la France a une grande expertise en la matière. En outre, la biométrie connaît un développement très rapide.

Il est également nécessaire de revoir la procédure d'attribution des numéros de sécurité sociale – ou numéros d'inscription au répertoire (NIR). Certaines personnes ont du mal à prouver leur identité car leur état civil est contestable, voire inexistant. Un texte de loi devrait préciser l'organisme compétent en matière d'attribution du NIR et poser le principe de la nécessité d'avoir un numéro de sécurité sociale certifié pour bénéficier du versement de prestations de sécurité sociale. Il serait pertinent de limiter la durée du numéro d'inscription d'attente à six mois afin de limiter le risque d'attribuer des prestations à des personnes qui n'en auraient pas le droit, délai au terme duquel les services de l'État décideraient si le NIR doit être certifié ou non au vu des documents transmis et de la situation de l'assuré. La MECSS a adopté cette disposition à l'unanimité.

Enfin, les contrôles des arrêts maladie doivent être impérativement développés. Après de longues discussions, nous sommes parvenus à un accord sur la nécessité de multiplier les contre-visites à l'initiative de l'employeur, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Il est intéressant de noter que le nombre des arrêts maladie dans la fonction publique territoriale ne cesse de croître et qu'il est nettement supérieur à celui du secteur privé. Il faut donc trouver une solution. Des primes de « présentéisme » ont fait leur apparition, notamment dans la fonction publique hospitalière. Mais, le fait d'accorder une prime aux personnes qui recourent peu souvent à un arrêt de travail peut paraître relever d'un raisonnement par l'absurde. Pour certains, qui ont exprimé leurs réticences, ce serait du même ordre que payer les collégiens pour qu'ils aillent au collège… Nous nous sommes abstenus de porter un jugement sur ces initiatives, mais nous avons noté que les syndicats et les directeurs d'hôpitaux ont signé cette disposition et que le recours à l'intérim a alors diminué de façon importante, ce qui est une bonne chose pour les finances publiques – comme quoi un raisonnement par l'absurde peut être source de réflexion…

Je remercie les coprésidents du temps qu'ils ont consacré pendant onze mois à cette mission, ainsi que l'ensemble des membres de la MECSS pour leur participation à ses travaux.

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