La loi Grenelle II est un des textes les plus importants adoptés ces dernières années. Avec pas moins de 257 articles, portant sur une kyrielle de sujets – transports, énergie, agriculture, biodiversité, santé, etc. –, elle se présente comme la traduction concrète de la loi Grenelle I. L'une, adoptée à l'unanimité, assignait des objectifs, définissait des orientations, invitait à la mobilisation des moyens financiers requis. L'autre a établi le socle juridique nécessaire à la traduction empirique de ces objectifs, afin de donner tout son sens et toute son efficacité à un engagement de notre majorité. Le but est de faire de l'environnement une préoccupation essentielle des Français et de l'intégrer pleinement au sein de nos politiques publiques.
Cependant, après avoir élaboré et adopté la loi Grenelle II, il convenait de vérifier si les décrets d'application étaient conformes à ses dispositions. C'est pourquoi Philippe Tourtelier et moi-même avons été désignés, par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire et sur le fondement de l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale, rapporteurs sur la mise en application du texte. Vu l'ampleur de la tâche qui nous incombait, onze groupes de travail thématiques ont été constitués, répartis entre trois binômes de députés, issus de la majorité comme de l'opposition, et de la Commission du développement durable comme de la Commission des affaires économiques.
Nous tenons à souligner l'originalité de la méthode employée, consistant à réunir collectivement l'ensemble des partenaires concernés par ce texte. Nous nous sommes appuyés sur une structure déjà existante, le Conseil national du développement durable et du Grenelle de l'environnement (CNDDGE), réunissant environ 80 acteurs de la société civile. La dernière réunion du Conseil, qui a eu lieu la semaine dernière en présence de Dominique Dron, la nouvelle commissaire générale au développement durable, a donné lieu à des échanges particulièrement instructifs. Des rencontres individuelles avec les organisations – qui toutes défendent leurs propres intérêts, ce qui est bien naturel – nous ont par ailleurs permis de bénéficier de visions différentes. Au final, les conclusions de notre note d'étape nous semblent donc partagées par la société civile, ce qui ne peut qu'en renforcer la valeur. Je forme le voeu qu'une méthode similaire soit utilisée pour suivre l'application d'autres lois.
Au fil des auditions menées par les différents animateurs de groupe thématique, nous avons tous pu constater qu'une bonne partie des décrets prévus par la loi Grenelle II n'avait pas encore été publiée, même si beaucoup sont en voie de l'être. Cela ne nous a pas vraiment surpris : le travail est particulièrement fastidieux et la concertation exige du temps. D'ailleurs, si certains, parmi les organisations, estiment que le processus ne va pas assez vite, d'autres, au contraire, estiment qu'il faudrait consacrer plus de temps à la discussion des projets de décret.
Sur les 199 décrets pris en application des articles de la loi, 189 devront être publiés pendant cette législature, le Gouvernement ayant pris pour échéance la fin de cette année. À ce jour, 20,1 % des décrets ont été publiés, 22,75 % sont devant le Conseil d'État et 31,75 % font l'objet d'un arbitrage interministériel. Si l'on additionne les décrets déjà publiés, ceux examinés par le Conseil d'État et ceux qui devraient être pris dans les prochaines semaines, le total atteint 51 %. Cela traduit la volonté de l'administration d'aller vite, et c'est pour nous un sujet de satisfaction – même si tout ne fonctionne pas comme nous l'aurions désiré.
Pour résumer, certains décrets importants ont été pris – relatifs à la réglementation thermique 2012, aux filières de récupération de déchets pour les meubles, les seringues ou les pneus –, d'autres connaissent un retard préjudiciable, comme celui concernant les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), et d'autres encore tardent à être publiés, au point de remettre en question l'application de la loi en 2011. C'est le cas, par exemple, pour l'application du régime des installations classées aux éoliennes terrestres.
Si la plupart des décrets pris ou en voie de l'être respectent scrupuleusement la loi, certains l'ont écornée en raison de difficultés d'application, du poids des lobbies ou de l'influence d'autres ministères. Je pense notamment au crédit d'impôt accordé pour la réalisation de travaux liés à un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) – dont le taux a été ramené de 40 à 30 % –, à l'absence de prise en compte des émissions indirectes de gaz à effet de serre dans les bilans d'émission de CO2 ; ou à l'article relatif à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, modifié en catimini au Sénat à la faveur d'une loi sur les banques.
Il nous est donc apparu opportun de vous proposer un rapport d'étape faisant le point, au 30 juin, sur l'avancée de l'application de la loi Grenelle II. Un rapport final sera proposé fin janvier 2012, quand la majorité des décrets – on nous annonce un taux de 96,82 % – auront été publiés. Il reste toutefois à comprendre pourquoi certains décrets ont été regroupés ou jugés superflus.
Au 20 juin 2011, la situation était la suivante : en matière d'habitat et d'urbanisme, sur 44 décrets attendus, 12 ont été pris et 3 sont en cours d'examen au Conseil d'État ; en ce qui concerne les transports, 6 décrets sont au Conseil d'État ; pour le titre III – énergie et climat –, sur 22 décrets attendus, 5 sont sortis et 6 devraient l'être prochainement ; en matière de biodiversité et d'agriculture, sur 40 décrets, 12 sont parus, 1 est au Conseil d'État et un autre a été jugé inutile ; pour le titre V – risques, santé et déchets –, sur 45 décrets attendus, 23 ont été publiés et 12 sont au Conseil d'État ; enfin, en matière de gouvernance, 7 décrets sont parus et 15 sont examinés par le Conseil d'État.
Si la publication des décrets va à un bon rythme, on peut constater un manque d'organisation quant au suivi de la loi. De nombreux rapports prévus par les lois Grenelle I et Grenelle II n'ont toujours pas été présentés au Parlement, presque deux ans après la publication de la première. Ainsi, l'article 26 de la loi du 12 juillet 2010 prévoit la présentation d'un inventaire des dispositions fiscales défavorables à la biodiversité et des propositions pour procéder à un basculement vers une fiscalité mieux adaptée. Quand le Gouvernement s'engage, au cours de débats sur des problèmes compliqués, à publier des rapports, il doit tenir parole.
Après un démarrage très difficile, il convient de souligner la généralisation de la concertation à l'ensemble des acteurs. Il est toutefois nécessaire de définir une stratégie durable en ce domaine et de tenir compte des frustrations exprimées. Certains n'ont pas été consultés sur des décrets concernant leur champ de compétence, et la plupart des parties prenantes le plus souvent sollicitées – comme le MEDEF, FNE ou les grands syndicats – constatent une confusion avec la procédure de consultation du public. Celle-ci ne doit pourtant pas suppléer à la concertation en amont.
Les organisations reconnaissent qu'elles sont désormais systématiquement consultées, mais regrettent un manque de méthode et des délais – quinze jours en moyenne – beaucoup trop courts, d'autant que les supports techniques mis à leur disposition ne sont pas toujours lisibles. Enfin, que la réponse soit négative ou positive, elles n'obtiennent aucune explication sur le devenir de leurs propositions. Le Gouvernement semble avoir conscience de ces problèmes et souhaite améliorer sa façon de procéder.
En raison de l'absence de toute stratégie en matière de publication des décrets, les textes n'ont pas fait l'objet d'une hiérarchisation en fonction de leur importance ou de leur complexité. Certains décrets pourraient ne pas être publiés avant l'échéance prévue et faire l'objet d'une concertation plus longue. Par ailleurs, le fait de ne pas anticiper les délais d'application prescrits par la loi elle-même peut entraîner des situations délicates. Ainsi, alors que les régions devraient disposer d'un SRCAE avant le 13 juillet 2011, le décret concerné n'a été publié que le 16 juin. Les régions avaient pourtant travaillé en amont afin de prendre de l'avance en ce domaine.
Le Conseil d'État vient de préconiser la généralisation des études d'impact aux décrets d'application. Nous nous associons à cette recommandation. Pour l'instant, si de telles études ont été réalisées, leurs résultats ne sont pas portés à la connaissance des acteurs.
Une dernière remarque : lors des auditions, les moyens humains mis à notre disposition se sont révélés insuffisants. Afin d'effectuer notre mission de suivi de la loi dans de bonnes conditions, nous appelons donc à leur renforcement. Même si leur travail est de grande qualité, il est en effet difficile de suivre 200 décrets d'application et un millier de textes réglementaires avec une équipe réduite. Si nous jugeons que le contrôle de l'application de la loi est une mission importante du Parlement, il faut en tirer les conséquences.