Au risque de surprendre, je n'ai pas grand-chose à ajouter sur le constat sur lequel nous n'avons pas de désaccord.
Il me semble cependant qu'il importe de bien distinguer l'évaluation et les préconisations, sur lesquelles M. Gorges et moi-même sommes d'ailleurs aussi partiellement d'accord.
Nous souhaitons qu'à l'avenir, de telles mesures fassent l'objet d'une étude d'impact, ou que, à tout le moins, on utilise les études qui existent déjà. En l'occurrence, le Conseil d'analyse économique en avait réalisé une, où il se montrait très réservé : il est regrettable, pour employer une litote, qu'elle soit restée confidentielle jusqu'après le vote du projet de loi.
Cette étude d'impact, nous avons en quelque sorte voulu la faire a posteriori. L'objectif général de la mesure était de revaloriser le travail, d'augmenter le pouvoir d'achat et, si possible, d'encourager l'emploi.
La mesure présente cinq aspects. Le premier est la défiscalisation de la rémunération des heures supplémentaires. J'insiste sur ce point, car c'est la rémunération de l'heure entière qui est défiscalisée, et non, comme dans certains pays, la seule majoration de 25 %. Le deuxième aspect est la réduction de cotisations sociales salariales ; le troisième, la hausse de la majoration des heures supplémentaires dans les entreprises de vingt salariés au plus, majoration que la loi de 2005 avait portée à 10 % – cette disposition devait prendre fin au 31 décembre 2008.
Quatrième aspect : la déduction forfaitaire sur les cotisations patronales – 0,50 euro par heure supplémentaire, et 1,50 euro dans les entreprises de vingt salariés au plus.
Enfin, le dispositif modifie le mode de calcul de l'allégement Fillon sur les bas salaires.
L'effet d'aubaine, massif, était prévisible, puisque ces mesures s'appliquaient aussi aux heures supplémentaires existantes – 730 millions en 2007. Or les heures supplémentaires sont déjà, parmi les heures travaillées, les plus rentables pour les entreprises et les plus rémunératrices pour les salariés. Elles offrent donc un double avantage.
Les effets sur l'emploi sont mitigés. Le dispositif ne crée guère d'heures supplémentaires au-delà de 39 heures et, en période de crise, il donne au chef d'entreprise un moyen alternatif à l'intérim, au CDD ou à l'embauche. Il ralentit donc la réduction du chômage.
La mesure donne, par définition, du pouvoir d'achat aux salariés – mais il en irait de même si l'on distribuait directement de l'argent à la sortie du métro. La question qu'il faut en conséquence se poser est celle de son efficacité. Or, si la mesure coûte 4,5 milliards aux finances publiques, soit 0,23 % du PIB, elle n'augmenterait celui-ci que de 0,15 %.
D'autre part, elle accroît les inégalités. La défiscalisation, par exemple, ne concerne que les personnes imposées sur leur revenu ; or elle est financée par une dette qui, par définition, repose sur tous les contribuables.
Le dispositif est aussi paradoxal, puisque, comme M. Gorges l'a montré, elle a « cristallisé » les 35 heures et a eu plus d'effets dans la fonction publique que dans le secteur privé.
Nous partageons plusieurs préconisations.
La première est de supprimer les réductions de cotisations patronales : soutenir les heures supplémentaires alors qu'elles sont déjà les plus avantageuses pour l'entreprise est en effet une incongruité économique. Cette suppression permettrait de récupérer 1,3 milliard d'euros – 700 millions au titre de la réduction des cotisations et 600 millions au titre du calcul de l'allégement Fillon.
Quant aux cotisations salariales, je comprends l'argument de M. Gorges : il est délicat de revenir sur les gains octroyés aux salariés. J'estime pour ma part que les 2,4 milliards d'euros correspondant pourraient subventionner les « première heures » plutôt que les heures supplémentaires, afin d'encourager l'embauche.
Nous n'avons pas non plus le même avis sur la défiscalisation, qui me semble très injuste et que je propose donc de remettre en cause. Une variante serait de plafonner l'avantage fiscal, ou d'appliquer la défiscalisation uniquement à la partie majorée de l'heure supplémentaire.
Par ailleurs, nous sommes tombés d'accord pour dire que, si la loi doit fixer la durée du travail, notamment en instituant un plafond maximal notamment pour préserver la santé des salariés, les adaptations relèvent de la négociation par branche. Il convient cependant selon moi de respecter la hiérarchie des normes, donc de revenir sur la loi de 2008 qui l'a inversée : l'accord de branche devrait primer sur l'accord d'entreprise – M. Gorges pense le contraire, mais il faut bien que nous ayons quelques désaccords.
Nous préconisons enfin de supprimer graduellement les 12 milliards d'aides publiques consenties pour accompagner la réduction du temps de travail : depuis dix ans, les entreprises ont eu le temps de s'adapter.