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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 28 juin 2011 à 21h30
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Néanmoins, j'observais les choses de près. Cela nous rajeunit.

Trente ans, c'est déjà beaucoup mieux que 2008-2009, parce que c'est une revendication constante. Je ne le dis pas juste pour contrarier mais pour que l'on comprenne la densité avec laquelle cette revendication a été portée sur plusieurs générations.

Elle a connu son expression la plus spectaculaire en 1958, à l'occasion du référendum sur l'adoption de la Constitution de la Ve République. À cette occasion, les forces politiques les plus dynamiques appelaient à voter contre cette Constitution – il y en a toujours et encore aujourd'hui. C'est la promesse d'un nouveau statut qui a fait basculer la position de ces forces politiques qui étaient regroupées autour d'un mémorendum. Il y avait là les sensibilités de gauche et de droite de l'époque, mobilisées autour d'un référendum pour demander un statut spécial – c'est ainsi qu'il s'appelait – pour la Guyane.

Cette revendication a connu une tension paroxystique en 1962, avec la déception d'après 1958. Lors de sa venue en Guyane – et en Martinique aussi me semble-t-il –, André Malraux avait promis une modification de statut. Quatre ans plus tard, la modification n'étant pas intervenue, une mobilisation populaire extrêmement forte avait donné lieu à une répression sans précédent.

À l'Assemblée nationale, cette cause fut plaidée par le député Justin Catayée, lequel disparut juste après dans un accident d'avion. À partir de 1962, les forces politiques qui réclamaient ce changement de statut se sont retrouvées un peu cassées par la disparition du député. Pour autant, cette revendication n'a pas disparu.

Déjà Léon Gontran Damas, député de Guyane entre 1948 et 1951, constatant l'impéritie d'une administration envahissante – aussi bien sur le littoral que dans les communes de l'intérieur – et aux résultats catastrophiques, estimait qu'il faudrait se décider à aménager ce territoire ou à l'évacuer. Ces revendications sont donc profondes et elles ont été portées par de grandes figures de l'histoire politique guyanaise.

Dans les années 1970, des remous considérables se produisent. Les départementalistes reculent de façon très importante et, finalement, le débat politique se cristallise entre les autonomistes et les indépendantistes.

En 1981, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, l'espoir renaît. La demande d'assemblée unique – qui n'est pas tout à fait l'aboutissement des combats des trente années précédentes – est entendue ; elle est traduite dans un texte de loi qui sera censuré par le Conseil constitutionnel. Un moratoire est proclamé entre le gouvernement de gauche et ses partenaires des collectivités dans nos pays. Cette revendication statutaire et institutionnelle resurgit dans les années 1990.

Cette profondeur historique, cette trajectoire montrent que, dans ces territoires, il existe une demande d'ajustement non pas administratif mais institutionnel. En Guyane en tout cas, il y a cette demande d'une architecture qui correspondrait davantage à ce territoire d'Amazonie en Amérique du Sud.

Les enjeux sont considérables : exploitation et de mise en valeur des ressources du territoire ; contrôle du territoire lui-même ; relations géopolitiques, économiques et commerciales avec les pays voisins ; réponse aux besoins d'une jeunesse importante – plus de la moitié de la population n'a pas vingt ans. Les grands enjeux économiques sont liés aux richesses terrestres et marines, mais aussi à des activités technologiques innovantes telles que l'activité spatiale. Il s'agit de connecter les activités économiques et la jeunesse de ce territoire.

Le Gouvernement peut se contenter de nous faire croire qu'il s'agit d'une simple réforme administrative, d'un ajustement. Il peut prétendre que nous allons juste rationaliser le fonctionnement de deux collectivités qui étaient sur un territoire commun et que cette réforme est tout à fait neutre, qu'elle n'a aucun relief. Dans ce cas, soit il méconnaît complètement cette trajectoire historique, ce qui serait une faute politique, soit il choisit délibérément de la méconnaître, ce qui serait une ruse incapable de prospérer. Je vous le dis pour que vous le répétiez au Gouvernement, madame la ministre.

Cette réalité-là, je voudrais qu'elle soit prise en compte. Comprenez bien que ce ne sera pas fini. Il ne suffira pas d'adopter ces deux textes – je ne voterai pas en leur faveur, je vous le dis en toute honnêteté – pour clore le chapitre de la revendication institutionnelle, parce que, précisément, ces institutions ne seront pas tellement mieux adaptées que les précédentes.

Venons-en à quelques points importants comme la gouvernance. Vous avez dit à plusieurs reprises, madame la ministre, que la gouvernance telle que prévue dans ce texte était un choix de la majorité des élus de Guyane. Ou bien on évacue les postulats d'Euclide – et cela veut dire que je n'avais rien compris au système décimal – ou alors on fait les comptes arithmétiques.

La gouvernance par la commission permanente a été demandée par la majorité actuelle du conseil régional : vingt et une voix. Je ne compte pas les absents qui, en général, ont des procurations.

L'opposition du conseil régional – dix voix – s'est prononcée pour une gouvernance collégiale, sous forme d'un conseil exécutif. Le conseil général, récemment reçu par le rapporteur, a quant à lui adopté à l'unanimité, en séance plénière, un mode de gouvernance collégial. Si vous n'avez pas la délibération, madame la ministre, je vous la faxe. À cela, il faut ajouter trois parlementaires sur quatre.

Faisons les comptes : vingt et un de la majorité du conseil régional, dix de l'opposition du conseil régional, trois parlementaires sur quatre et quinze présents au conseil général. Ou bien on évacue le postulat d'Euclide ou bien on admet que, arithmétiquement, la majorité s'est prononcée pour une gouvernance collégiale.

Mais pour la gouvernance comme pour la sortie des sections de la loi, vous avez choisi de n'entendre que la délibération de la majorité du conseil régional. Comme référence, celle-ci a d'ailleurs pris Saint-Martin, une petite commune transformée en collectivité par le choix des électeurs – que tout le monde respecte bien entendu – en 2003.

Voilà la référence pour calibrer la gouvernance en Guyane, un territoire de 91 000 kilomètres carrés, doté d'un espace maritime de 230 000 kilomètres carrés où l'on réalise des forages de pétrole en eau profonde. Voilà comment a été effectué le calibrage, sachant que la commission permanente du conseil régional n'a pas pu se réunir quatre fois, faute de quorum.

S'agissant du calendrier, tout le monde ne s'accorde pas sur la date de 2014 et pour ma part je serais favorable à 2012. On va attendre quatre ans ! Or on a estimé que la consultation était urgente au point de l'organiser avant les élections régionales. On a estimé qu'il était urgent de mettre en place la collectivité au point que le Gouvernement déclare la procédure accélérée pour l'examen des textes. Puis, aujourd'hui, on nous annonce qu'on va attendre le calendrier national. C'est le seul argument ! Sinon, pourquoi pas 2013 ou 2015 ? Il s'agit seulement de s'aligner sur le calendrier électoral national.

Quant à l'article 9, il est aussi choquant que cohérent, madame la ministre. C'est la cohérence de la recentralisation, de la condescendance, de dérogations toujours à notre détriment. Ce sont des précédents pour les outre-mer, comme l'était l'ordonnance Debré de 1960 qui donnait au préfet le droit d'expulser de nos territoires tout fonctionnaire dont on estimait que la parole ou la pensée était de nature à nuire à l'ordre public.

C'est ainsi qu'ont été expulsés Édouard Glissant de la Martinique, Yvon Leborgne de la Guadeloupe, Boris Gamaleya de La Réunion, Marius Miron de la Guyane, sur décision du préfet au nom de l'ordonnance Debré de 1960.

De plus, vous multipliez les préfets. Monsieur Diefenbacher, en qualité d'ancien préfet, vous avez raison de dire qu'il faut être cohérent et renforcer les moyens de la préfecture. Effectivement, puisqu'on recentralise, il faut renforcer les moyens de l'administration déconcentrée, je suis d'accord avec vous. D'ailleurs c'est en cours : nous avons déjà droit à deux ou trois sous-préfets, plus un préfet, plus un directeur du parc amazonien – 40 % du territoire – qui est doté de pouvoirs de police et peut donc être considéré comme un deuxième préfet.

Je voudrais, pour finir, parler des finances locales. Vous avez monté un comité Théodule censé examiner ces questions, mais vous rejetez les solutions qui permettraient à la Guyane de dégager les ressources qui financeraient son développement. Vous refusez par exemple de revaloriser la redevance minière : elle est passée de 8 euros à 11 euros par kilo, alors que, dans le même temps, l'once d'or est passée de 360 dollars à 1 300 dollars. Vous refusez également de nous inscrire dans le dispositif REDD international, avec les puits de carbone et les services rendus par la forêt amazonienne. Vous refusez de créer un cadre fiscal pour les activités minières, qu'elles soient terrestres ou marines – je pense au pétrole. Vous nous refusez des ressources, vous plafonnez nos dotations et vous venez ensuite nous expliquer que nous devons faire des efforts ! Nous le concevons parfaitement, mais sans doute ces efforts pourraient-ils être bien différents, sans doute pourrions-nous avoir des ressources financières normales, qui couvriraient nos besoins et nous permettraient d'apporter une contribution de solidarité aux besoins nationaux.

Pour conclure cette rétrospective historique, je pourrais citer l'un de nos auteurs, car vous savez que notre littérature compte de brillants esprits, à la pensée éblouissante.

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