Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, nous entreprenons aujourd'hui l'examen du projet de loi ordinaire appelé à instituer les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et à déterminer leur organisation ainsi que leur fonctionnement institutionnel ; dans le même temps, nous nous pencherons sur le projet de loi organique portant diverses mesures relatives aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution pour leur donner les moyens de leur développement, mesures qui sont évidemment indépendantes de l'adoption de la loi ordinaire. Ces deux textes, adoptés par le Sénat en première lecture le 12 mai dernier, nous sont présentés dans la droite ligne de la consultation électorale du 24 janvier 2010, à l'occasion de laquelle les populations concernées ont nettement fait le choix de mettre un terme à l'étrange juxtaposition de deux collectivités sur un même territoire, à cette région monodépartementale qui ne s'est pas révélée un modèle de réussite puisqu'elle était caractérisée, on le sait, par l'enchevêtrement des compétences, des capacités financières partagées et des cofinancements de grands projets dans les domaines essentiels, tout cela étant de nature – j'en ai fait l'expérience – à susciter des politiques redondantes, voire contradictoires.
Le projet de loi relatif à la Guyane et à la Martinique dont nous débattons répond du reste à l'exigence de réparer cette anomalie intervenue en 1982 lorsque, pour appliquer aux départements d'outre-mer la loi créant les collectivités régionales, la solution censée proche du droit commun avait tout simplement consisté à les ériger en régions monodépartementales, faute de pouvoir les regrouper ou de diviser chacun d'eux en deux départements. La réforme constitutionnelle de 2003 portant « organisation décentralisée de la République » a enfin mis un terme à cette curiosité institutionnelle, puisque le nouvel article 73 de la Constitution, celui de l'identité législative, a rendu possible la création d'une collectivité unique fusionnant le département et la région, après consultation des populations.
C'est ainsi que les Martiniquais et les Guyanais, appelés par le Président de la République à se prononcer sur cette nouvelle voie de l'article 73, le 24 janvier 2010, ont clairement consacré le nouveau dispositif. Le Président n'avait d'ailleurs pas manqué de mettre en garde contre le statu quo. Les électeurs ont affiché leur détermination à mettre en oeuvre une évolution institutionnelle comportant une logique d'adaptation pour tenir compte d'irréductibles particularités et pour réussir la décentralisation, une évolution de nature à leur procurer les moyens de s'attaquer aux racines d'un « maldéveloppement » dont les effets sont aujourd'hui bien connus. J'entends rappeler que pour préparer au mieux la mise en place de ces institutions, une commission composée d'élus du conseil général et du conseil régional, en nombre égal, avait été installée d'un commun accord pour se pencher sur l'organisation de la nouvelle collectivité : elle a permis de trouver un consensus sur un grand nombre de points. Certes, des divergences sont apparues, mais sur peu de points. Il nous appartient maintenant, mes chers collègues, de parvenir à un texte cohérent pour que, dans l'esprit de l'article 73, la Martinique puisse, dans les meilleures conditions, prendre le train de la grande réforme territoriale.
Pour ma part, c'est dans le respect du choix des populations et des accords qui sont intervenus, dans la concertation, au cours des mois qui suivirent la consultation, que j'aborderai – pour la Martinique cela s'entend – l'examen des deux projets de loi, qui me paraissent désormais largement lisibles.
Pour le plus grand nombre des élus, la mise en place de la collectivité nouvelle de Martinique doit obéir aux règles et aux principes que je vais m'appliquer à rappeler et que j'approuve sans réserve.
En matière de compétence, conformément à la décision prise par les Martiniquais, la nouvelle collectivité exercera toutes les compétences actuellement dévolues au département et à la région. L'exercice de compétences supplémentaires, dans le cadre déterminé par l'article 73 –c'est déjà le cas pour les régions et départements d'outre-mer comparés à leurs homologues de l'Hexagone –, ne saurait être exclu a priori et pourrait être envisagé dans l'avenir. Seul le Conseil constitutionnel – qui n'a pas eu à se prononcer pour le moment sur cette question – pourrait, le cas échéant, en fixer les limites.
À propos de l'architecture institutionnelle, il y a lieu de considérer comme acquis le principe d'une séparation organisée entre l'assemblée délibérante, dont le président dirige les travaux, et un conseil exécutif. Le président du Conseil exécutif dirige l'action de la collectivité territoriale, il rend compte chaque année à l'Assemblée de Martinique de la situation de la collectivité par un rapport suivi de débats. Il y a donc là un gage de renforcement de la démocratie, consolidé par l'institution d'une motion de défiance, dont le seuil de dépôt maintenu à un tiers des membres de l'Assemblée est de nature à garantir le respect de toutes les composantes de celle-ci. Il convient de noter avec intérêt que le texte institue dorénavant quatre vice-présidents au sein de l'Assemblée, élus à la proportionnelle des groupes, et rend obligatoire une délégation pour chacun des huit conseillers exécutifs. L'Assemblée dispose, comme il était souhaitable, d'un bureau qui aura pour rôle d'organiser tant ses propres travaux que ceux des commissions spécialisées. Elle pourra ainsi préparer dans les meilleures conditions son travail de délibération sur le fond. Le Conseil exécutif, quant à lui, mettra en oeuvre les mesures d'exécution de ces délibérations, dans un parfait esprit de juste équilibre.
Quant au mode d'élection de l'assemblée délibérante, la démarche a consisté à adopter un mode de scrutin combinant les principes de proximité, d'efficacité, d'équité et de légitime représentation des différentes composantes territoriales. La population dans son ensemble ayant adhéré à un projet indissociable du vrai développement qu'elle ne cesse d'appeler de ses voeux, il importe qu'elle soit impliquée dans sa mise en oeuvre et qu'elle se retrouve dès lors dans le mode de scrutin : celui-ci doit garantir la représentation de l'ensemble des forces politiques de la Martinique de façon à consolider un espace de débats démocratiques tout en permettant d'assurer un fonctionnement efficace des institutions et d'arrêter des choix clairs. Seul un scrutin de liste sur la base d'une circonscription unique, découpée en sections dans des conditions désormais affichées, et assorti d'une prime majoritaire significative attribuée à la liste arrivée en tête, telle qu'elle est prévue dans le projet de loi, est de nature à répondre à ces objectifs. Cela n'est ni nouveau ni singulier. Les institutions fonctionnent selon une dynamique majoritaire. La prime a pour but de contribuer à l'efficacité et d'assurer une stabilité politique ; elle ne saurait menacer l'équité dans la représentation.
S'agissant de la date de la mise en oeuvre de cette réforme, qui s'inscrit dans le droit commun, j'entends réaffirmer ici mon option en faveur de l'installation de la nouvelle collectivité en 2014. Une telle option, qui ne bouleverse pas le cycle démocratique, est de nature à nous procurer l'opportunité d'assurer la fusion dans les meilleures conditions d'efficacité car la plus grande vigilance sera de mise. Il faut donc se réjouir, madame la ministre, que le Gouvernement ait proposé par voie d'amendement que « les premières élections auront lieu au plus tard en 2014 pour respecter le choix des Guyanais et des Martiniquais de rester dans le droit commun ». Il convient dès lors, mes chers collègues, de planifier la mise en place de la nouvelle collectivité dans ce délai qui me paraît approprié et propice au succès d'une réforme institutionnelle d'une telle importance.
À propos du renforcement des pouvoirs de substitution du préfet dans les collectivités régies par l'article 73, s'il peut paraître nécessaire que le représentant de l'État soit appelé à intervenir dans l'urgence au nom de l'intérêt général, ce ne peut être bien sûr que de manière exceptionnelle et, quoi qu'il en soit, dans le cadre des compétences exclusives de la collectivité. Le rôle du préfet, prévu par le code général des collectivités territoriales, ne peut être remis en cause, mais il ne saurait devenir exorbitant du droit commun. La tutelle des préfets a d'ailleurs disparu en 1982, avec la loi de décentralisation, au bénéfice de l'accompagnement. Si dans ces conditions le préfet, dans le cadre du rôle qui lui est dévolu, peut procéder à l'état des lieux et demander au Gouvernement d'intervenir, surtout dans le cas où la responsabilité de l'État est en cause, par simple décret après une mise en demeure de la collectivité restée sans effet, ce doit être pour accompagner la collectivité au plus haut niveau dans la mise en place des mesures nécessaires dans les domaines énumérés dans le projet de loi. L'efficacité demeure évidemment l'objectif, mais l'essentiel consiste à préserver le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Quelques mots concernant le conseil consultatif instauré dans le cadre de la mise en place de la collectivité unique de Martinique. Le Conseil économique, social et environnemental est heureusement étendu à la culture, à l'éducation et au sport ; deux sections spécifiques sont clairement identifiées, préservant ainsi les acquis majeurs de la décentralisation pour nos régions d'outre-mer, notamment la reconnaissance de problématiques spécifiques en matière de culture et d'éducation.
Enfin, pour ce qui est du régime des habilitations, le projet de loi organique allège la procédure d'habilitation des collectivités territoriales par l'État, et c'est tant mieux : il prévoit un décret en Conseil d'État et non une loi pour une habilitation dans le domaine réglementaire, et allonge, comme les élus martiniquais l'ont vivement souhaité, la durée d'habilitation jusqu'à la fin du mandat de l'Assemblée qui en a fait la demande. Le Sénat a ouvert la possibilité de proroger cette habilitation de deux ans après le renouvellement de l'Assemblée et adopté plusieurs dispositions de nature à éviter un contrôle d'opportunité de la part du Gouvernement sur les demandes d'habilitation dans le domaine législatif, ce contrôle devant revenir au Parlement lui-même, ce qui me paraît de bon aloi. Il s'agit de permettre aux collectivités locales régies par l'article 73 d'exercer pleinement leurs facultés d'adaptation et de définition des normes, facultés qui leur ont été reconnues depuis 2003 par la Constitution.
Je conclurai, mes chers collègues, en remerciant le Gouvernement de nous avoir accompagné dans une telle démarche de responsabilité et en soulignant que les dispositifs que ces textes visent à mettre en oeuvre supposent une coopération intelligente des groupes politiques de la représentation nationale pour leur adoption définitive. C'est ainsi que cette réforme voulue par nos concitoyens, sur la base de consultations électorales, sera enfin une réalité. Il est temps de simplifier le système trop complexe d'aujourd'hui pour favoriser véritablement l'efficacité des politiques publiques et parvenir enfin, à travers plus de responsabilité, aux conditions du vrai développement.
C'est avec enthousiasme que, sur la base des observations que j'ai formulées, je voterai ces projets de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)