Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question de l'adaptation des régimes juridiques nationaux aux départements d'outre mer est lancinante depuis les premiers temps de la départementalisation.
Elle a connu un début de règlement au début de la Ve République : ce que l'on appelait « le décret de 1960 » était un décret simple, pas même un décret en Conseil d'État, qui prévoyait les conditions dans lesquelles la loi et le règlement pouvaient s'affranchir de règles nationales. C'est en application de cette curieuse institution qu'un certain nombre de mesures d'adaptation fondamentales ont été prises dans les années 60 et 70, dans des matières aussi importantes que la politique familiale, la politique sociale ou la politique fiscale.
Au-delà de la fragilité de ses bases juridiques, le décret de 1960 comportait deux imperfections. Il ne permettait d'adapter ni les institutions d'outre mer ni le partage des compétences entre l'État et les collectivités territoriales aux nécessités locales. Ces lacunes ont été comblées par les différentes modifications apportées à la Constitution, en particulier depuis 2000, qui ont notamment conduit à la rédaction actuelle des articles 73 et 74 de la Constitution.
C'est en application de ces dispositions que les populations de la Martinique et de la Guyane ont écarté le statut d'autonomie de l'article 74 avant de demander à bénéficier des mesures d'adaptation prévues par l'article 73.
Les nouvelles collectivités se définissent par trois caractéristiques : ce ne seront pas des territoires autonomes ; ce seront à la fois des régions et des départements ; elles pourront bénéficier d'un régime particulier en ce qui concerne à la fois le système institutionnel et les domaines de compétence. Tout le débat qui va nous occuper ce soir me paraît devoir porter sur ce régime particulier, c'est-à-dire sur la nature et sur l'ampleur des adaptations nécessaires pour répondre aux problèmes de développement économique, social et culturel, problèmes particuliers que l'on rencontre dans chacune de nos collectivités d'outre-mer.
Je veux d'abord féliciter le Gouvernement pour la méthode suivie pour l'élaboration de ce texte. Cette méthode est fondée sur une très large concertation, comme l'a rappelé Mme la ministre. Le Président de la République en personne a d'ailleurs souhaité y participer en organisant une réunion à l'Élysée, le 8 novembre dernier, avec les principales parties prenantes. Cette méthode repose également sur le fait que le Gouvernement n'a pas souhaité avoir d'a priori, mais qu'il voulait plutôt trouver des solutions simples et concrètes, adaptées aux problèmes particuliers que rencontrent nos collectivités d'outre mer. Cette méthode est caractérisée, enfin, par la recherche d'un consensus, et j'ai le sentiment après avoir écouté les différents intervenants depuis le début de nos débats que, s'il existe encore des points de vue particuliers, ce qui est normal dans un débat comme le nôtre, d'une manière générale, un consensus est un train d'émerger.
Tous ceux qui observent la vie politique de l'outre-mer depuis plusieurs décennies ne peuvent que se féliciter du chemin parcouru depuis l'époque pas si lointaine où toute dérogation aux règles nationales était ressentie comme une sorte de menace pour l'intégrité de notre territoire national.
Madame la ministre, pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra sans réserve le projet du Gouvernement. Qu'il me soit toutefois permis d'évoquer trois points : le premier sous forme d'observation, le deuxième sous forme d'interrogation et le troisième pour exprimer ma satisfaction.
Je ferai d'abord une observation concernant le régime juridique qui, demain, sera applicable à la Martinique. Je suis très frappé de constater que les mesures d'adaptation prévues pour la Martinique sont particulièrement importantes et dérogatoires par rapport aux régions et aux départements non seulement de métropole, mais aussi d'outre-mer. Elles le sont en particulier sur deux points : sur le plan des institutions et en matière de régime électoral.
En matière institutionnelle, il est prévu de dissocier en Martinique les fonctions de président de l'assemblée délibérante et de chef de l'exécutif. Ce système inspiré du modèle corse est très différent de ce qui existe partout ailleurs.
En matière électorale, l'adaptation va également très loin. Le nouveau dispositif s'appliquera à partir de 2014, or à cette date, les représentants des régions et départements seront élus selon le même scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Or, en Martinique et en Guyane s'appliquera un système très différent de représentation proportionnelle appliquée à des sections électorales. La justification de ce nouveau système électoral est, à mon sens, plus aisée pour la Guyane que pour la Martinique. La Guyane est en effet un très vaste territoire, les cantons s'étendent sur des espaces considérables et il est manifestement difficile pour un seul élu de couvrir de tels ensembles. Le cas de la Martinique est incontestablement différent. Notez bien que cette observation n'a en aucun cas pour objet de remettre en cause un consensus établi. J'estime en revanche qu'il est important que nos travaux établissent clairement, notamment pour le Conseil constitutionnel qui examinera ces textes, que ce nouveau régime à la fois institutionnel et électoral est justifié par des caractéristiques particulières, historiques, géographiques, économiques, sociales, culturelles et politiques. Je ne doute pas que nos débats seront tout à fait éclairants sur ce point.
Je souhaite, ensuite, évoquer un autre point sous la forme interrogative. L'article 9 du projet de loi relatif aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique concerne le pouvoir accordé au préfet qui pourrait, dans certains cas particuliers, en cas de carence, se substituer aux autorités locales élues. À ce sujet, j'ai relu avec beaucoup d'attention les débats du Sénat et ceux de la commission des lois, et j'ai écouté il y a un instant le raisonnement de notre collègue Serge Letchimy. Même si je simplifie un peu, j'ai le sentiment que deux arguments principaux ont été invoqués à l'appui de l'article 9.
Un premier argument est celui du juste équilibre. La fusion des deux collectivités entraînera une fusion des institutions : il est évident que, demain, l'assemblée unique, que ce soit en Martinique ou en Guyane, aura beaucoup plus de pouvoir que les deux assemblées qui coexistent séparément aujourd'hui. Il est donc apparu que les autorités locales élues disposant de davantage de pouvoirs, il serait nécessaire que le représentant de l'État ait, lui aussi, des pouvoirs renforcés.