lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si 2011 est bien l'année des outre-mers – ce dont je me réjouis –, cette séance marque quant à elle le début de la semaine des outre-mers à l'Assemblée, puisque pas moins de trois projets nous sont soumis : en plus de celui sur la Guyane et la Martinique que nous examinons en ce moment, deux autres projets de loi concernent la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.
Les projets de lois organique et ordinaire que nous examinons aujourd'hui sont le fruit d'une longue concertation, sur laquelle la ministre est revenue tout à l'heure. Ils ont été adoptés par le Sénat le 12 mai et par la commission des lois de notre assemblée le 22 juin. Ils marqueront, j'en suis certain, une évolution très positive pour la Guyane et la Martinique, attendue depuis près de trente ans.
Je ne reviendrai pas sur les difficiles débats de 1982, qui avaient suscité, sur les différents bancs de cette assemblée, des réactions contrastées que tout le monde connaît. Les temps ont changé. Le moment est venu de prendre en compte un certain nombre de particularités, notamment géographiques, ainsi que les soucis de la population.
Le projet de loi organique vise à assouplir les conditions dans lesquelles les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution peuvent être habilitées soit à adapter les lois et règlements nationaux sur leur territoire dans les matières où s'exercent leurs compétences, soit à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire à certaines matières relevant du domaine de la loi ou du règlement.
Le projet de loi ordinaire traduit quant à lui, sur le plan législatif, la mise en place d'une collectivité territoriale unique en lieu et place des départements et régions de Guyane et de Martinique, conformément à la volonté exprimée à une très large majorité par les électeurs guyanais et martiniquais en janvier 2010. En effet, après avoir rejeté par la consultation du 10 janvier 2010 le passage au statut de collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, les électeurs de Guyane et de Martinique ont approuvé, le 24 janvier 2010, la création d'une collectivité unique régie par l'article 73 de la Constitution et qui exercera les compétences du département et de la région. Ils font ainsi montre d'un attachement fort à la République, tout en exprimant un besoin important de reconnaissance de leurs spécificités.
À l'issue des concertations très larges menées avec les élus de ces deux territoires, la Guyane et la Martinique s'apprêtent donc, à la suite de Mayotte, qui a ouvert la marche il y a déjà quelques mois, à devenir des collectivités à statut particulier exerçant simultanément les compétences d'un département et d'une région.
Je ne présenterai pas dans le détail l'ensemble des dispositions de ces deux projets de loi. Je me concentrerai sur cinq séries de mesures, sur l'architecture générale du projet, sur les difficultés que ces mesures peuvent soulever et sur les solutions que la commission des lois a proposées.
Le premier volet concerne la mise en place de deux architectures institutionnelles distinctes pour deux collectivités uniques. À la suite des concertations menées pendant ces derniers mois entre le Gouvernement et les élus locaux, dont le point d'orgue a été, comme on l'a rappelé, la rencontre avec le Président de la République au mois de novembre dernier, les deux territoires ont fait part de leur préférence pour deux architectures institutionnelles distinctes. De fait, les systèmes proposés sont très différents.
Pour la Guyane, le projet de loi ordinaire maintient un schéma institutionnel de type régional, composé d'une assemblée élisant en son sein un président, organe exécutif de la collectivité, et une commission permanente dotée de pouvoirs propres relativement étendus, notamment en matière de marchés publics. On voit bien qu'il s'agit là d'une architecture assez proche du droit commun.
En Martinique, un conseil exécutif de neuf membres sera distinct de l'Assemblée. À l'inverse de ce qui se passe pour la Guyane, le projet de loi ordinaire met en place un modèle original, qui s'inspire, du reste, assez nettement de celui conçu en 1991 pour la collectivité territoriale de Corse. On ne part donc pas de rien. Ainsi, aux côtés de l'Assemblée de Martinique, il y aura un conseil exécutif distinct de neuf membres, chargé de la gestion de la collectivité territoriale. Ce conseil sera élu par l'Assemblée au scrutin majoritaire de liste et pourra être renversé par l'adoption d'une motion de défiance constructive à la majorité absolue.
Afin d'assurer la responsabilité de l'exécutif devant l'assemblée délibérante, tout en évitant bien sûr les alliances de circonstance qui pourraient dénaturer le vote des électeurs, la commission des lois de notre assemblée a adopté un amendement instaurant un seuil des trois cinquièmes – 60 % – pour l'adoption d'une telle motion de défiance constructive. Il s'agit, pour reprendre en d'autres temps et d'autres circonstances l'expression d'Edgar Faure, d'éviter les gouvernements « à secousses » et de faire en sorte qu'une continuité de l'action publique puisse réellement s'instaurer.
Le deuxième volet concerne l'inscription dans la loi de l'ensemble des dispositions électorales. Le mode de scrutin qui s'appliquera demain dans les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique s'apparente à celui en vigueur actuellement pour les élections régionales, à savoir un scrutin de liste à deux tours, avec une représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, assortie d'une prime majoritaire et d'une répartition des sièges par section.
La Guyane et la Martinique formeront alors chacune une circonscription électorale unique, composée, pour la première, de huit sections électorales et, pour la seconde, de quatre. La commission des lois du Sénat, à l'initiative de son rapporteur, M. Cointat, a souhaité inscrire dans la loi le découpage en sections des circonscriptions de Guyane et de Martinique, la composition de ces sections ainsi que la répartition des sièges entre elles.
À mes yeux, la solution retenue par le Sénat n'est pas sans inconvénients. En premier lieu, elle modifie la répartition traditionnelle des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire en matière de délimitation des circonscriptions électorales des assemblées locales, celle-ci ayant toujours été effectuée par décret en Conseil d'État pour les collectivités territoriales régies par l'article 72 comme pour celles régies par l'article 73 de la Constitution.
L'inscription dans la loi de la délimitation des sections électorales et de la répartition des sièges entre elles ne permet pas, en second lieu – et cela me semble plus important encore –, la consultation officielle des assemblées délibérantes actuelles de Guyane et de Martinique, tout en rendant possible à l'avenir l'adoption d'un nouveau découpage par simple voie d'amendement adopté dans le cadre d'une loi relative à l'outre-mer, sans qu'il puisse y avoir de consultation préalable de l'assemblée délibérante concernée. Une telle absence de dialogue me semble réellement fâcheuse.
C'est pourquoi la commission des lois – Mme la ministre l'a souligné à l'instant – a renvoyé à un décret en Conseil d'État, pris après avis des conseils généraux et régionaux de Guyane et de Martinique, le soin de fixer les limites des sections électorales et le nombre de leurs sièges respectifs pour l'élection des conseillers aux deux assemblées. Au fond, cela ne modifie pas ce qui a pu être dit sur la répartition. Seul le vecteur est un peu différent. Il présente de plus l'avantage de revenir dans le droit commun.
Le texte issu de la commission des lois de notre assemblée consacre également la règle suivant laquelle la répartition des sièges entre les sections se fera proportionnellement à leur population, suivant la règle de la plus forte moyenne, avec un minimum de trois sièges pour toute section comptant expressément plus de 5 000 habitants en Guyane et plus de 10 000 habitants en Martinique.
S'agissant plus particulièrement de la Martinique, la prime majoritaire avait été ramenée par le Sénat de onze à neuf sièges. Ce nombre nous semblait insuffisant pour constituer des majorités stables. La commission des lois de notre assemblée a donc fait passer le niveau de cette prime majoritaire à 20 % des sièges à pourvoir, soit onze sièges. La prime sera donc plus importante.
Le troisième volet concerne l'encadrement des pouvoirs de substitution du préfet, qui, je le sais, font débat. Afin de garantir la continuité de l'action de toutes les collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution, le projet de loi ordinaire met en place, conformément d'ailleurs à une décision du Conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009, un nouveau pouvoir de substitution du préfet dans ces collectivités. Je rappelle que ce n'est pas là une nouveauté : même s'il fait débat, ce pouvoir n'est pas propre à l'outre-mer. Comme vous le savez, mes chers collègues, il existe depuis déjà longtemps en métropole, notamment pour les communes, mais aussi, dans un certain nombre de cas, pour les départements.
À l'initiative de son rapporteur, la commission des lois du Sénat a préféré à une procédure de mise en demeure la mise en place d'une procédure de constat de carence, initiée par le préfet et subordonnant la mise en oeuvre de ses pouvoirs de substitution à un décret en Conseil des ministres constatant l'état de carence. Soucieuse de tenir compte de la volonté du Sénat, qui confie au Gouvernement la décision de substitution du préfet, la commission des lois de notre assemblée a simplifié ce dispositif. Nous en conservons l'esprit, tout en prévoyant le recours à un décret simple – et non en conseil des ministres –, qui semble plus approprié à la procédure d'urgence prévue en pareille situation.
Le quatrième volet concerne l'élargissement du congrès des élus locaux aux maires. La commission des lois du Sénat, à l'initiative de son rapporteur, a souhaité rénover en Guyane et en Martinique le congrès des élus locaux qui conservera, avec la mise en place de la collectivité unique, un rôle de proposition, notamment et pour l'essentiel en matière d'évolution institutionnelle.
Ce congrès des élus, réunissant, avec voie délibérative, les seuls conseillers à l'Assemblée et, avec voie consultative, les parlementaires, ayant peu de sens, il a été élargi aux maires qui n'avaient toutefois, dans le texte issu du Sénat, qu'une voie consultative. Afin d'assurer une prise en compte plus équilibrée sans doute de toutes les positions sur les questions institutionnelles, la commission des lois de notre assemblée a attribué une voie délibérative à l'ensemble des membres composant ce congrès, maires et parlementaires inclus, et pas simplement aux membres de l'Assemblée territoriale.