Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, à travers l'examen du projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique, nous allons débattre d'une évolution institutionnelle majeure souhaitée par les électeurs guyanais et martiniquais, qui se sont prononcés une première fois pour rester dans le droit commun de l'article 73 de la Constitution. Deux semaines plus tard, le 24 janvier 2010, ils ont choisi, à près de 70 % en Martinique et à près de 60 % en Guyane, la création d'une collectivité unique exerçant les compétences d'un département et d'une région.
C'est cette volonté populaire qui a guidé l'architecture institutionnelle qui vous est proposée. C'est cette volonté populaire que nous devons garder à l'esprit tout au long de notre débat, qui peut s'épanouir dans ce cadre. Le Gouvernement a ainsi déposé deux projets de loi.
Le premier, de nature organique, est relatif à la procédure d'habilitation en vue de l'adaptation et de la définition des normes, ces deux facultés étant reconnues aux départements et régions d'outre-mer. Il tend à simplifier la procédure de demande d'habilitation pour en faciliter l'utilisation.
Le second projet de loi définit les institutions capables de mettre en oeuvre la réforme que les électeurs guyanais et martiniquais ont appelé de leurs voeux.
Avant de vous présenter plus précisément ces deux projets de lois, je voudrais formuler deux observations.
En premier lieu, vous pouvez constater que cette réforme s'inscrit dans la préoccupation contemporaine de modernisation et de rationalisation des collectivités territoriales, que la loi du 16 décembre 2010 a consacrée. En effet, pour la première fois depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les populations de la Martinique et de la Guyane ont choisi de fusionner les compétences du département et de la région. Cette ambition est d'autant plus pertinente, sur des territoires monodépartementaux, que la coexistence de deux collectivités a pu apparaître à certains moments comme un frein au développement économique, ou comme une difficulté gênante pour la prise en compte de certains enjeux de santé publique. Je pense en particulier à la gestion des déchets et à l'assainissement de l'eau.
Le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution permet de créer une nouvelle catégorie de collectivité territoriale qui « se substitue » à un département et à une région d'outre-mer. Il faut entendre par là que les compétences des deux nouvelles collectivités résulteront logiquement de l'addition des attributions exercées aujourd'hui par le conseil régional et le conseil général.
La conséquence qui en découle est également logique : les ressources budgétaires des deux collectivités seront cumulées. La Martinique et la Guyane percevront donc les mêmes produits des impôts locaux et des taxes, et les mêmes dotations de l'État qu'aujourd'hui.
Au fond, ce qui me paraît important, c'est de respecter la volonté des électeurs, c'est-à-dire que les nouvelles collectivités n'exerceront ni plus ni moins de compétences que les autres collectivités de droit commun de l'article 73.
Pour conclure sur ce point, j'ajouterai que, comme pour toute réforme d'envergure, l'État aura bien évidemment le souci d'accompagner sa mise en oeuvre en apportant son soutien. Même si, concrètement, les principales mesures à prendre relèvent de la seule responsabilité des collectivités qui fusionnent, le Sénat a souhaité conférer une existence officielle à la commission tripartite, qui permettra de réunir régulièrement les représentants du conseil général et du conseil régional aux côtés des représentants de l'État. J'approuve pleinement les missions que votre commission des lois a souhaité assigner à cette commission à l'article 10.
En second lieu, la méthode que j'ai retenue pour élaborer cette réforme est le produit d'une concertation poussée avec les élus de Martinique et de Guyane, qui a permis de lever plusieurs interrogations.
Ainsi, dans un premier temps, j'ai confié à mes services la mission de rencontrer les élus, toutes tendances politiques confondues, pour les interroger sur l'appellation des futures collectivités, leur organisation, le mode de scrutin, la représentation de la société civile, le périmètre des compétences exercées.
Dans un second temps, j'ai organisé de nombreux rendez-vous d'arbitrage avec les représentants de ces collectivités, dont le point culminant a été, vous le savez, une rencontre avec le Président de la République le 8 novembre 2010.
Cette phase de concertation a permis de consolider les aspects essentiels de la réforme, de conforter les points de vue, et finalement de créer une architecture institutionnelle qui, tout en demeurant conforme aux principes de l'article 73 de la Constitution, réponde aux attentes locales.
Mesdames, messieurs les députés, je voudrais maintenant m'attarder quelques instants sur le contenu des deux projets de lois.
Le projet de loi organique qui vous est soumis vise à améliorer la procédure d'habilitation à laquelle les départements et régions d'outre-mer ont, à ce jour, très peu recouru du fait de sa complexité. Cette procédure, je vous le rappelle, leur permet, depuis 2003, d'exercer pleinement la faculté de définition et d'adaptation des normes au contexte ultramarin, qui leur a été reconnue par la Constitution.
Pour simplifier cette procédure, je vous propose, tout d'abord, que les habilitations à adapter les règlements soient accordées non plus par la loi, comme c'est le cas actuellement, mais par un décret.
J'observe ensuite que la durée d'habilitation est actuellement trop contraignante, puisqu'elle est limitée à deux ans à compter de sa promulgation. Nous en avons débattu au Sénat, et le texte prévoit désormais une prorogation accordée de plein droit dans les six mois qui suivent l'élection d'une nouvelle assemblée, et pour la durée du nouveau mandat.
J'y suis favorable, car l'assemblée nouvellement élue, quelle que soit sa tendance politique, pourra ainsi reprendre à son compte une demande votée tardivement par l'assemblée précédente et mettre en oeuvre les mesures qui en découlent.
Au final, le projet de loi organique qui vous est soumis est, je crois, bien équilibré et de nature à répondre aux objectifs poursuivis.
L'architecture et le fonctionnement institutionnels des deux nouvelles collectivités sont régis par les dispositions du projet de loi ordinaire.
Je voudrais, au préalable, rappeler que le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution n'impose aucun choix d'organisation institutionnelle.
Chacune de ces collectivités sera ainsi dotée d'une assemblée de cinquante et un membres, mais la configuration de l'exécutif sera différente pour tenir compte des choix exprimés pendant la phase de concertation : tandis que les élus de la Guyane ont opté dans leur grande majorité pour un modèle d'organisation proche de celui des régions, en conservant une commission permanente, les élus de la Martinique ont souhaité, sur le modèle corse, mettre en place un système différent, avec un conseil exécutif collégial élu par l'Assemblée et responsable devant elle.
Ce sont donc bien des dispositions de droit commun qui régiront, pour l'essentiel, le fonctionnement des institutions de Martinique et de Guyane, avec quelques adaptations.
Ainsi, pour la Guyane, la commission permanente se voit attribuer des compétences propres, notamment en matière de commande publique, compétences que l'Assemblée pourra toujours modifier ou reprendre par délibération.
Mais pour la Martinique, conformément au souhait de la majorité des élus, les neuf conseillers exécutifs seront élus parmi les cinquante et un membres de l'Assemblée au scrutin de liste. La fonction de conseiller exécutif étant incompatible avec le mandat des membres de l'Assemblée, ce sont les suppléants de ces derniers qui siégeront à l'Assemblée.
Ce choix d'organisation institutionnelle implique que soit prévu un mécanisme pour encadrer la procédure de mise en cause de l'exécutif devant l'Assemblée. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu, au titre de la motion de défiance, des seuils qui, tout en permettant l'expression du débat démocratique par une recevabilité fixée au tiers des membres de l'Assemblée, ne conduit pas à une trop forte instabilité, en fixant la majorité requise pour l'adoption de cette motion à hauteur des trois cinquièmes de ces mêmes membres.
Je me réjouis que votre commission des lois ait adopté ces seuils, qui éloignent le risque de modifier trop aisément les équilibres politiques, et surtout les résultats du suffrage populaire.
Mesdames, messieurs les députés, je veux maintenant évoquer la question du découpage électoral, en soulignant à nouveau la qualité du travail de votre commission des lois, qui s'est montrée soucieuse des principes constitutionnels de répartition des compétences entre le Parlement et le Gouvernement.
Le projet initial, s'inspirant des dispositions appliquées pour les découpages des collectivités territoriales de droit commun, conférait au Gouvernement l'entière compétence en matière de découpage électoral et de répartition des sièges.
Les débats au Sénat ont eu le mérite de mettre en lumière l'originalité des circonscriptions électorales de ces nouvelles collectivités territoriales. Ils ont aussi permis de rappeler, à juste titre, que l'encadrement du régime électoral de ces nouvelles collectivités uniques relevait du domaine de la loi.
À cet égard, la rédaction de l'article 6 proposé par votre commission me paraît répondre à cette double préoccupation. La Guyane et la Martinique formeront chacune une circonscription unique, composée de sections électorales, dont la délimitation sera fixée par décret en Conseil d'État, pris après avis des conseils généraux et régionaux. Ce décret fixera également le nombre de sièges respectifs par section, ainsi que la répartition des sièges attribués à la liste majoritaire.
Sur ce point, je partage aussi l'analyse de votre commission, qui a souhaité porter la prime majoritaire à hauteur de 20 % des sièges à pourvoir dans les deux collectivités, au lieu de fixer une fois pour toutes un nombre en valeur absolue.
En fin de compte, et d'un point de vue constitutionnel, le texte qui vous est proposé répond bien à la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire, avec quatre conséquences.
D'abord, la fixation par la loi du nombre de sections électorales, des principes de leur délimitation et d'une règle stricte de calcul du nombre de sièges attribués à chaque section, découlant mécaniquement de son nombre d'habitants ;
Puis, la fixation par la loi d'une règle stricte de calcul de la répartition de la prime majoritaire en fonction de la population des sections et des modalités de la répartition des autres sièges attribués à chaque liste ;
Ensuite, la fixation par la loi d'un mécanisme permettant d'actualiser les précédentes données en fonction de l'évolution démographique de la collectivité de Guyane sans exiger au préalable l'adoption d'une nouvelle loi ;
Enfin, le renvoi à la procédure traditionnelle des découpages cantonaux pour la seule délimitation des sections, procédure qui s'accompagne de la consultation préalable du conseil général et du conseil régional de Guyane comme de Martinique.
Je fonde donc beaucoup d'espoir sur cette solution, qui est équilibrée et qui préserve la faculté du Parlement d'encadrer le pouvoir réglementaire.
Je veux maintenant évoquer les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de substitution du préfet qui sont prévues à l'article 9 du projet de loi ordinaire. Nous en avons longuement débattu au Sénat car certains ont pu y voir une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.