Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues, une conjonction de circonstances tout à fait particulière, voire extraordinaire, préside à notre discussion.
En effet, nous débattons du projet de loi de règlement pour 2010, avant d'aborder le débat d'orientation budgétaire, qui définira les perspectives de nos finances publiques pour l'année 2012 et les suivantes. En outre, cette année 2011 est une année de transition du point de vue budgétaire et du point de vue économique : elle est – cela n'aura échappé à personne – la dernière année de sortie de crise et la première de l'ère post-crise. Enfin, c'est aujourd'hui que le Président de la République a fait part des orientations du Grand emprunt, à l'occasion d'une conférence de presse sur la situation et les perspectives de l'économie française.
On le sait, le contexte politique et économique reste dominé par la question de l'endettement public. La France n'est naturellement pas la seule concernée : on ne le dit pas assez, mais la progression globale de l'endettement public entre 2007 et 2011 est de 35 points dans la zone OCDE, de 20 points en moyenne dans la zone euro, et atteint 40 points aux États-Unis. Ce phénomène doit naturellement être mis en rapport avec le déficit moyen constaté en 2010, qui représente 6,5 % du PIB dans la zone OCDE, le stock de dette atteignant 224 % du PIB.
Cette augmentation globale de l'endettement public a rendu vigilants les marchés et ceux qui investissent dans la dette publique. L'inquiétude des acteurs concernés est légitime, qu'il s'agisse des marchés financiers ou de ceux de l'industrie ou des services. Cela explique que, depuis plusieurs semaines, les marchés soient désorientés. La confiance existe, j'y insiste, mais on ne constate pas une amélioration incontestable du climat des affaires.
La confiance devrait pourtant être très solide, voire remarquable. En effet, si l'on décrypte le consensus des analystes économiques, la tendance est plutôt bonne. La croissance mondiale se poursuit à un rythme soutenu. La croissance française, vous le savez, a atteint 1 % au premier trimestre 2011 et son acquis de croissance pour 2011 s'élève à 1,6 %. La croissance américaine est de 1,8 % pendant la même période, chiffre certes inférieur à celui du dernier trimestre 2010, qui atteignait 3,1 %. Mais j'y reviendrai. Enfin, avec 9,7 % au premier trimestre, la Chine continue de caracoler en tête pour ce qui est des objectifs de croissance.
En revanche, la croissance du Royaume-Uni au premier trimestre reste très modeste, ne dépassant pas 0,5 %. Je reviendrai également sur ce phénomène, qui s'explique naturellement par les choix de politique économique du gouvernement de Gordon Brown, lequel était aux affaires au coeur de la crise financière. On se souvient en effet que les Britanniques ont misé sur une relance de la consommation, à la différence de la France – Dieu merci !
Autre bonne nouvelle, l'indice – très observé – des directeurs d'achat est supérieur à sa moyenne depuis 1999, ce qui laisse véritablement espérer le retour de la confiance. C'est d'autant plus vrai qu'il atteint ce niveau malgré les événements survenus au Moyen-Orient et en Afrique et malgré la crise de Fukushima, qui a considérablement amoindri les capacités de production du Japon.
Ces éléments fiables permettent de compter sur une croissance structurée en 2011 et dans les années à venir. Ils devraient donc redonner confiance à tous les acteurs du marché.
Un mot sur le recul de moitié de la croissance américaine entre le dernier trimestre 2010 et le premier trimestre 2011. Trois raisons permettent de l'expliquer.
Premièrement, le recul de la consommation des ménages, qui ne se limite d'ailleurs pas aux États-Unis – j'y reviendrai.
Deuxièmement, la chute des investissements structurants, qu'il faut naturellement mettre en rapport avec la réduction de la capacité d'endettement public des acteurs publics de l'économie américaine, et particulièrement des États.
Troisièmement, la chute libre des dépenses publiques d'entretien, que chacun a pu constater à la lumière des analyses américaines.
Au-delà de la confiance que doit susciter une croissance qui redevient fortement structurée et tend nettement à la hausse, plusieurs questions se posent.
Tout d'abord, cette reprise est-elle saine ? Est-elle durable ? Ensuite, les tensions que suscite l'endettement public sur les marchés financiers auront-elles des conséquences sur les capacités de financement des États ? Enfin, quels effets ces difficultés de financement public auront-elles sur la croissance ?
J'appliquerai chacune de ces questions à la situation française.
Premièrement, je l'ai dit en évoquant le consensus des analystes et l'indice des directeurs d'achat, cette croissance est incontestablement saine et, globalement, elle va durer. Les analyses de la situation mondiale comme de la situation française le montrent, nous pouvons nous appuyer sur elle.
Ainsi, au cours du seul mois de mai, en France, l'activité industrielle a progressé de 1 %, de même que les services et l'utilisation de nos capacités de production – ce qui montre qu'il ne s'agit pas seulement ici de gains de productivité. Après l'atonie du mois d'avril, les carnets de commande ont retrouvé leur niveau de janvier. Cela permet d'ores et déjà de considérer que la croissance atteindra au deuxième trimestre 0,4 %, voire 0,5 %, ce qui est conforme aux dernières estimations du consensus, soit 2,25 % en 2011.
Les derniers succès remportés au salon du Bourget par le consortium EADS, en l'occurrence par Airbus, confirment cette tendance à une croissance solide de notre industrie. Ils traduisent bien sûr le choix stratégique d'investisseurs qui se tournent vers un constructeur aéronautique européen, et spécialement français. Mais il faut y ajouter la stratégie française de soutien aux investissements technologiques et productifs pour rendre compte de ceux, nombreux, qui ont été réalisés au cours des dernières années. J'y reviendrai tout à l'heure.
Malgré tout, pour que la croissance française continue, trois inconnues doivent être surveillées.
Il y a d'abord l'instabilité des marchés financiers ; elle a certes tendance à se réduire, car la plupart des groupes cotés ont réalisé des bénéfices importants, ce qui a rassuré les acteurs et les a poussés à investir sur les marchés financiers. Mais la question du marché de l'endettement public, très instable, peut constituer une menace pour la deuxième partie de l'année 2011.
Il y a bien sûr le prix de l'énergie et des matières premières, responsable d'une bonne part de l'inflation observée ces derniers mois.
La dernière inconnue, à l'échelle européenne comme à l'échelle française, c'est le durcissement des conditions du crédit, pour les entreprises comme pour les consommateurs. Quelques chiffres illustreront ce durcissement : au premier trimestre, 4 % des banques – c'est peu, mais c'est une tendance – déclarent avoir durci les conditions des crédits accordés aux entreprises, alors même que, dans le même temps, la demande de crédit des entreprises françaises augmentait de 19 % ; pour le deuxième trimestre, la perspective est une augmentation de 26 %.
La croissance est financée, on le sent bien, par l'investissement productif et l'investissement en recherche et développement des entreprises françaises ; elle doit être financée par l'emprunt. Il faut donc que nous marquions davantage de vigilance vis-à-vis d'un possible durcissement par les banques des conditions du crédit.
Quant au crédit à la consommation, 7 % des banques en ont durci les conditions ; mais le problème est un peu différent, dans la mesure où l'on observe au premier trimestre une réduction de la demande par les ménages de crédit à la consommation de l'ordre de 4 %, et même de 10 % pour les crédits immobiliers. Ces chiffres sont cohérents avec la tendance à la prudence que l'on observe chez les consommateurs français ; nous sommes dans une situation d'attente plutôt que de méfiance. Il y a donc de fortes chances que nous observions une remontée de la consommation au second semestre 2011.
À nous donc d'être très vigilants et de prendre les décisions qui s'imposent, notamment en appuyant le Médiateur du crédit, afin que la croissance française, donc principalement les investissements industriels, soit financée.
Quelles conséquences les tensions sur les marchés financiers auront-elles pour les États ?
Pour les États dont l'endettement se situe dans le haut de la fourchette, ils ne peuvent effectivement solliciter davantage les marchés, sur lesquels il existe incontestablement des tensions.
On observe une réelle instabilité des marchés, comme je l'indiquais tout à l'heure, mais aussi une franche incertitude sur les indications fournies par les agences de notation. Celles-ci dégradent parfois trop rapidement, parfois trop fortement aussi, les notes de certains États : au lieu d'évaluer le risque et de précéder les événements, elles font souvent preuve de suivisme. Des acteurs comme Pimco, BlackRock, State Street, sont aujourd'hui les moteurs réels des marchés de la dette publique. Ce sont les réactions de ces trois interlocuteurs qu'il faut surveiller, afin que les dettes des États, et notamment les dettes nouvelles qui sont nécessaires au financement de la croissance dans de nombreux pays, soient financées.
Bien entendu, les marchés financiers ont beaucoup reproché à la zone euro d'avoir manqué, au coeur de la crise financière d'abord puis de la crise grecque depuis un an et demi, d'outils adaptés, permettant une réaction forte et massive.
On peut, bien sûr, le regretter ; mais cela revient à regretter de ne pas avoir suffisamment anticipé, lors de la signature du traité de Maastricht en 1992, les différences de politiques économiques, ni suffisamment précisé la consolidation des dettes maastrichtiennes et non maastrichtiennes. Il nous manquait donc sans doute des outils de politique économique et budgétaire, et particulièrement de politique monétaire.
En deux ans – à l'initiative, il faut le reconnaître, de Nicolas Sarkozy, car le Président de la République a été l'un des éléments moteurs de la création de ces outils – nous nous sommes dotés d'un Fonds européen, de stabilisation financière ; une démarche de concertation entre les État a été mise en place pour que la Grèce puisse se sortir d'une situation particulièrement difficile, et nous poursuivons ce soutien en collaboration avec le Fonds monétaire international ; il y a eu aussi l'émergence, comme chacun le sait, du semestre européen, c'est-à-dire d'un début de concertation budgétaire qui permet un rapprochement des politiques économiques, afin que celles-ci soient aussi ajustées que possible sans toutefois qu'intervienne un transfert de souveraineté.
Au-delà de ce début de révolution copernicienne de la doctrine budgétaire, ce projet de loi de règlement des comptes pour 2010, qui conclut pour la France la dernière année de la gestion post-crise, comporte plusieurs bonnes intuitions.
Tournons-nous brièvement vers 2007 et rappelons-nous les ambitions de la majorité élue cette année-là. Il fallait d'abord tenir les promesses faites ; elles étaient très importantes, et les Français attendaient avec impatience leur mise en oeuvre. Il convenait aussi de tenir des promesses faites par le passé : ainsi, la baisse de la TVA dans le secteur de la restauration avait été promise depuis des années, y compris, il faut le reconnaître, par de nombreuses personnes aujourd'hui assises sur les bancs de l'opposition ; il fallait donc tenir cette promesse.
Il est à l'honneur de Nicolas Sarkozy d'avoir voulu tenir cet engagement du passé, et à l'honneur de la majorité de l'avoir voté.