Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, l'exécution budgétaire de 2010 s'est achevée par un déficit du budget de l'État de 148,8 milliards, supérieur de 10,8 milliards à celui de 2009 et de 31,4 milliards à celui prévu par la loi de finances initiale. Comme le rappelle la Cour des comptes, ce déficit représente presque la moitié des dépenses nettes du budget général et la somme des trois plus importantes missions du budget général : « Enseignement scolaire », « Recherche et enseignement supérieur », « Défense ».
J'interviendrai sur cinq points.
Premier point : un déficit structurel historique. Le rapport de la Cour des comptes montre que sur les 140 milliards de déficit de 2010, 100 milliards sont d'origine structurelle. Cela correspond d'ailleurs à l'évaluation réalisée par vos services, monsieur le ministre, puisque vous évaluez le déficit structurel des administrations publiques à cinq points de PIB. Cela signifie que dans les 140 milliards de déficit, 40 sont dus à la crise et 100 milliards aux politiques suivies. S'il n'y avait pas eu la crise, si la croissance avait été égale à la croissance potentielle de l'économie, le déficit de 2010 serait tout de même de 100 milliards d'euros. Ce déficit est malheureusement historique, il n'a jamais été observé depuis que l'on dispose d'une comptabilité de l'ensemble des administrations publiques. Nous savons d'où vient ce déficit structurel. Il résulte, pour l'essentiel, des 70 milliards d'allégements fiscaux réalisés depuis 2002, 40 milliards depuis 2007, en grande partie d'ailleurs pour nos concitoyens les plus fortunés. Ces allégements fiscaux ont été entièrement payés à crédit
La comparaison avec le reste de l'Europe est éclairante : notre déficit atteint 7,1 % du PIB en 2010, quand celui de la zone euro hors France est de 5,8 % et celui de l'Allemagne de 3,3 % du PIB. La raison est claire. Si l'Allemagne n'est pas aujourd'hui très loin des 3 % et si elle y reviendra facilement, c'est simplement parce qu'elle a réduit ses déficits pendant la période de croissance qui précédait la crise. Je rappelle – j'ai déjà eu l'occasion de le faire plusieurs fois, lors de débats budgétaires – que la France et l'Allemagne avaient en 2005 le même déficit. Le déficit allemand était même un petit peu plus élevé en pourcentage du PIB.
L'Allemagne a ramené son déficit à zéro en 2008 ; la France l'a laissé dériver. Elle était en déficit excessif avant d'aborder la crise. C'est la raison pour laquelle notre déficit est aujourd'hui de 7 points de PIB, dont cinq points de déficit structurel.
Dans la période de croissance qui précédait la crise, la plupart des pays européens ont réduit leur déficit. Je rappelle qu'entre 2002 et 2008, l'économie mondiale a connu sa plus forte croissance des vingt-cinq dernières années. La France est restée un peu à l'écart de cette croissance, en raison d'une politique qui n'a pas produit les effets que certains proclamaient, mais le résultat est là : la France a laissé dériver ses déficits dans une période de croissance forte. C'est pour cela qu'elle se trouve aujourd'hui dans cette situation budgétaire.
Ma deuxième remarque est également issue du rapport de la Cour des comptes. Pour la première fois, celle-ci distingue, dans le déficit structurel, ce qui relève de l'État de ce qui relève des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale. La conclusion est claire. Le déficit structurel des administrations publiques, c'est uniquement et pour l'essentiel le déficit de l'État. Le déficit structurel des administrations de sécurité sociale n'est que de 0,1 % du PIB et les collectivités locales connaissent un excédent structurel de 0,1 %.
Cela permet de revenir sur la politique du Gouvernement à l'égard des collectivités locales. Celles-ci ne sont clairement en rien concernées par le déficit des finances publiques. Elles ont un excédent structurel et toute la politique de ces dernières années, qui a consisté pour l'État à se défausser de ses turpitudes sur les collectivités locales en transférant des dépenses sans transférer les crédits, en désindexant des dotations indexées sur l'inflation et sur une partie de la croissance, toute cette politique est totalement injustifiée. C'est l'État, incapable de maîtriser ses déficits, qui se défausse sur les seules administrations qui sont en équilibre et sont obligées de l'être : les collectivités locales.
Je rappelle que la plupart des dotations que vous avez désindexées remplaçaient des impôts d'État, c'est-à-dire des impôts qui augmentaient comme l'inflation et comme le PIB. Nous, nous avions indexé ces dotations sur l'inflation et sur la moitié de la croissance. Ces dernières années, vous avez arrêté d'indexer sur la moitié de la croissance, vous n'avez indexé que sur l'inflation et dans le dernier budget, vous n'avez plus du tout indexé, ce qui est une façon de faire supporter par des administrations vertueuses les vices de votre politique.
Ma troisième remarque concerne les recettes conjoncturelles qui sont légèrement favorables, puisque 10 milliards de recettes n'étaient pas prévues. Vous auriez dû normalement, comme l'a rappelé M. le rapporteur général dans son rapport, affecter ces 10 milliards de recettes non prévues au déficit. Mais vous faites le contraire : non seulement vous les affectez à la dépense, mais les dépenses supplémentaires sont très largement supérieures à ces 10 milliards, puisque, face à cette somme, on trouve 17 milliards de dépenses nouvelles ; 4,3 milliards de dérapage des dépenses, de sorte que le respect apparent de la norme de dépense ne résulte que des économies conjoncturelles, notamment sur la charge de la dette. La réforme de la taxe professionnelle laisse un déficit de 9,2 milliards auquel s'ajoutent 3,6 milliards de mesures structurelles nouvelles, dont 1,6 milliard de baisse de la TVA dans la restauration. Une bonne gestion aurait dû vous amener à affecter ces recettes à la réduction des déficits, mais vous avez augmenté, une fois de plus, le déficit structurel de près de 17 milliards d'euros.
Ma quatrième remarque concerne les investissements d'avenir. En gonflant artificiellement le déficit de 2010 de près de 34 milliards d'euros, le grand emprunt donne une vision trompeuse de la réalité du déficit de l'État pour 2011 en comptabilité budgétaire. En effet, 34 milliards sont comptabilisés dans le déficit de 2010, alors que les dépenses effectives sont inférieures à un milliard d'euros. De plus, elles ne figurent pas dans la norme. Selon la Cour des comptes : « Rien ne justifie que ces dépenses qui ont été imputées sur des programmes budgétaires soient soustraites à la norme. » Mais surtout, la réduction apparente du déficit que l'on va observer en 2 011 par rapport à 2010 sera très largement fictive, puisqu'elle résulte de la disparition comptable des 34 milliards du grand emprunt et un peu de la fin du plan de relance.
La situation à venir de nos finances publiques – nous y reviendrons dans le débat d'orientation budgétaire – est beaucoup moins favorable que ce qu'en décrira la lecture des documents budgétaires.
Ma cinquième remarque est relative au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C'est une proposition absurde que la direction du budget a pratiquement faite depuis vingt ans à tous les gouvernements et que les plus sensés ont toujours refusée ; une proposition absurde dont Philippe Séguin disait, en décembre 2009, quand elle commençait à être appliquée, quand vous vouliez la reprendre : «L'État se révélant incapable d'analyser les besoins et de programmer ses effectifs en conséquence, ajoutait-il, sa politique du personnel est dictée principalement par des considérations budgétaires de court terme. » Quelle clairvoyance ! « Cette démarche, concluait-il, ne profite qu'aux administrations pléthoriques et sous-productives » : elle ne s'apparente en rien à un effort de productivité.
J'ajoute l'effet catastrophique sur le fonctionnement des services publics. On voit à quel résultat catastrophique aboutit la suppression de 30 000 postes dans la fonction publique, dont la moitié à l'éducation nationale. Cette politique démoralise complètement les agents de l'État. Le rapport que j'ai consacré à la RGPP m'a fourni l'occasion d'auditionner les syndicats : tous nous disent être favorables à un État efficace, mais pas à une politique aussi absurde et aussi méprisante envers les fonctionnaires. Et pour quel résultat ? La Cour des comptes comme le rapport du rapporteur général en montrent bien l'inefficacité : l'économie réalisée n'a jamais atteint le milliard d'euros, ni même les 800 millions d'euros. Avec des mesures catégorielles compensatoires, elle s'établit à 260 millions d'euros, comme l'a indiqué le rapporteur général à la tribune. Comme le rappelle la Cour des comptes, « les économies résultant du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d'État pendant huit ans » sont exactement du même montant que le coût annuel de la baisse de la TVA sur la restauration. J'invite mes collègues siégeant à droite de cet hémicycle à réfléchir à cette remarque. En une journée d'annonce, le Président de la République a augmenté le déficit structurel de l'équivalent de l'application pendant huit ans de cette politique absurde. Et il voudrait nous faire croire aujourd'hui qu'abandonner cette politique ferait exploser la dette !
Puisque le Président de la République évoquait son bilan ce matin, je vais y revenir. II tient en trois mots : une explosion de la dette, une explosion du chômage et une explosion des inégalités.