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Intervention de Delalonde

Réunion du 16 juin 2011 à 14h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Delalonde, président de l'ANCCLI :

– De 1981 à 2011 : trente ans se sont écoulés depuis la circulaire Mauroy. Ce fut une longue marche vers la concertation, l'information, la transparence en matière nucléaire. Même après Tchernobyl, il a fallu encore 25 ans ! Certains ont agi pour limiter l'accès à l'information, la transparence et ils continuent de le faire. Tchernobyl était un petit accident de parcours, il existe « un risque sur un million » pour que se reproduise un tel accident, quel besoin de promouvoir une préparation au risque et à la menace ? Mais si Tchernobyl est de l'histoire ancienne, à présent il y a Fukushima… A l'époque la perte de confiance était totale, vis-à-vis des exploitants, vis-à-vis des autorités en charge du contrôle. Il fallait réunir EDF, l'autorité de contrôle, les représentants de la société civile, et annoncer que chacun devait s'exprimer en toute transparence ! Entre 1997 et 2000, les informations étaient encore fournies dans un langage largement crypté, qui ne faisait qu'accroître les soupçons. Les membres des CLI, néophytes, ne parlaient pas cette langue technocratique et hermétique. L'ASN, l'exploitant, ont dû faire des efforts pour s'exprimer clairement. Et malgré les moyens insuffisants alloués par l'autorité de sûreté aux CLI et à l'ANCCLI, des formations sont ouvertes aux membres des commissions locales.

En outre, l'Autorité de sûreté et l'IRSN ont fait de gros progrès en mettant à disposition du public un maximum d'informations via internet. Il importe de le reconnaître honnêtement, les CLI ont en trente ans permis de trouver un langage commun, chacun ayant fait un effort pour comprendre le langage de l'autre. Apprendre à s'écouter et se comprendre est indispensable pour être efficace. La qualité d'une intervention ne se mesure pas à sa technicité ; la population et les associations ont une réelle expertise de terrain, mais elles l'expriment avec des mots simples, ce qui les expose à ne pas être prises au sérieux ni comprises. De même que les partenaires de la société civile ont consenti des efforts pour comprendre le langage ésotérique des spécialistes, de même les exploitants et l'ASN doivent poursuivre les leurs pour comprendre les populations qui vivent à côté des centrales. Si chacun garde sa posture, comme le disait le sénateur Guillaume, tout le monde reconnaît maintenant qu'on peut désormais parler de tout dans les CLI sans tomber dans la polémique stérile ou le manque de respect de l'interlocuteur.

Cependant, force est de constater que le rôle de la CLI est celui d'un organe d'information à sens unique ; sa capacité à émettre des connaissances sur l'impact du site a été négligée. Mais les choses évoluent. Sa vocation n'est pas de décider, elle est de discuter pour donner des informations fiables et de formuler des propositions afin d'éclairer l'administration et les exploitants en relayant les préoccupations du territoire.

Les dernières années, avec leurs catastrophes en série, ont fait émerger durablement la préoccupation d'une nouvelle transparence en matière de gestion des déchets et de sécurité nucléaire. Il était devenu indispensable pour l'État de créer une véritable culture de préparation au risque et de donner de nouvelles responsabilités aux collectivités territoriales. La protection de la population et de l'environnement est en effet une mission essentielle des pouvoirs publics, notamment des collectivités territoriales dont les élus voient croître leurs responsabilités. Le Parlement a voté à cet égard trois lois importantes : la loi Bachelot de juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels ; la loi de modernisation de la sécurité civile d'août 2004, qui impose la réalisation d'un plan communal de sauvegarde à toute commune soumise à un risque technologique ou naturel majeur ; enfin la loi TSN de juin 2006. Depuis cinq ans, les collectivités n'ont pas encore pris toute la mesure de leurs nouvelles responsabilités. Grandes ou petites, rurales ou urbaines, elles commencent à s'apercevoir qu'il s'agit d'un transfert d'importantes responsabilités, sans que la plupart d'entre elles disposent de l'expertise – M. Lacoste l'a dit – ou des moyens financiers de les assumer. Alors que la population ne supporte plus la survenue de risques et que la société devient de plus en plus assurantielle, les collectivités locales doivent s'organiser pour maîtriser les risques et relever le défi de faire coexister les activités économiques, la sécurité et l'environnement. C'est encore plus vrai avec la loi TSN qui a deux conséquences : l'indispensable augmentation des compétences des CLI et le profond renouvellement de leur composition, notamment dans le collège des élus. La loi attend de ces commissions une participation plus grande dans le suivi des activités nucléaires, notamment avec la délivrance d'avis.

Les CLI sont-elles adultes ? Cinq ans après la loi, elles ont achevé leur mutation. Leur financement est prévu par des subventions de l'État et des collectivités, et les CLI associatives reçoivent en plus un pourcentage de la taxe INB versée par les exploitants à l'État – plus de 500 millions d'euros par an. Et pourtant, l'ASN ne peut distribuer que 600 000 euros par an aux 37 CLI et aux 15 commissions d'information (CI) présentes auprès des installations nucléaires de la défense nationale, et, cela pour informer quelque 60 millions de citoyens. Les moyens manquent. Le pourcentage sur la taxe INB n'est toujours pas inscrit en loi de finances et la suppression de la taxe professionnelle conjuguée à la réforme des collectivités territoriales crée une incertitude nouvelle pour le financement alors même que la loi de 2006 a donné aux CLI de plus grandes responsabilités dans l'information des populations et la réalisation d'expertises indépendantes. Nous serons incapables de remplir ces missions, sauf à faire la manche auprès d'André-Claude Lacoste – qui répond souvent présent – mais qui ne pourra pas le faire lorsque les 37 CLI et les 15 CI viendront lui réclamer les moyens indispensables. Ce sera impossible !

Nous demeurons optimistes, parce que les CLI sont devenues un maillon essentiel de la nécessaire concertation et de la transparence autour des activités nucléaires. C'est maintenant une spécificité française, garante de la démocratie relative au nucléaire. Plus de 3 000 personnes s'y réunissent régulièrement, dont plus de 1 500 élus ; elles sont riches de leur pluralité. La mission des CLI et des CI n'est pas de décider, mais d'éclairer le débat démocratique. L'expérience de Tchernobyl et de Fukushima montre que, sans l'implication des acteurs locaux, on risque une crise de confiance. L'État sait qu'il devra s'appuyer sur les plans communaux de sauvegarde, les réserves civiles communales et les CLI, mais les territoires touchés resteront confrontés, après la gestion de crise, à des problèmes complexes – gestion des territoires contaminés, des mouvements de population, indemnisation, réanimation des activités. Dans tout cela, l'État a le rôle de soutenir les acteurs territoriaux. Il faut donc construire un dialogue et un partenariat sincère, pluraliste et à plusieurs niveaux, en un domaine où les élus n'ont pas encore réellement pris conscience de la réalité du risque nucléaire et de l'ampleur de leurs responsabilités. Sur ce sujet technique et opaque pour ces élus comme pour la population, un dialogue et un langage commun apparaissent nécessaires, trente ans après la circulaire Mauroy.

Les collectivités et les CLI ont gagné, grâce à ces différentes lois, un droit de cité dans les domaines de la gestion des risques majeurs, de la transparence et de l'information de la population. Cela leur confère des responsabilités civiques, sociétales et politiques, parfois assorties de sanctions pénales. Il faut donc les doter de l'expertise et des moyens nécessaires ; notre devoir est d'y veiller. L'ANCCLI a l'intention d'organiser à l'automne des États généraux afin d'évaluer si nous avons les moyens nécessaires au suivi des installations nucléaires, à la gestion des déchets et des situations accidentelles et post-accidentelles. Et si nous constatons que ce n'est pas le cas, nous dirons à l'État que nous n'avons plus de raison de subsister et demanderons que les problèmes soient désormais résolus par ceux qui savent puisque nous, après trente ans, nous n'aurons pas su convaincre.

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