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Intervention de Jan Blomgren

Réunion du 16 juin 2011 à 14h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jan Blomgren, directeur du Swedish Nuclear Technology Centre :

– La transparence dans l'industrie nucléaire en Suède est une affaire ancienne. Elle n'est pas spécifique au nucléaire mais relève d'une tendance profonde de la société suédoise. La constitution suédoise de 1766 – avant la Révolution française ! – a établi la liberté d'expression et la liberté de la presse et imposé la transparence de tous les actes de l'exécutif. Tous les documents administratifs sont accessibles aux citoyens, sauf motif de sécurité nationale. Cette application très large de la transparence suscite parfois une incompréhension dans les autres pays. Chez nous, la plus anodine note transmise à un agent public, par exemple un professeur d'université, est considérée comme un document administratif adressé à un responsable administratif. Copie peut donc en être réclamée par tout citoyen, par exemple un journaliste.

Cette règle constitutionnelle s'impose uniquement à l'administration publique, mais elle s'est diffusée dans l'ensemble de la société et les entreprises affichent souvent une volonté de transparence bien plus large que ce qui se fait dans les autres pays. En Suède, la transparence est un élément essentiel de la confiance, sans en être l'unique composante. La maîtrise du risque de corruption est une dimension particulièrement sensible pour les autorités de contrôle. Si de nombreuses enquêtes internationales placent la Suède parmi les pays les moins enclins à la corruption, ce n'est pas le résultat d'un tropisme naturel car la Suède était considérée comme un pays très corrompu au XIXe siècle. Preuve que la corruption n'est pas endémique et peut être vaincue.

Les sondages posent souvent cette simple question : « êtes-vous pour ou contre l'énergie nucléaire ? ». La Suède figure généralement au nombre des pays plutôt favorables, mais la première place revient en général à la France. Un sondage récent de l'Union européenne aborde le sujet d'une manière plus large : « Faites-vous confiance à l'industrie nucléaire ? », « Avez-vous confiance dans l'autorité de contrôle ? », « Pourriez-vous envisager de vivre à proximité d'une centrale nucléaire ? ». C'est en Suède que l'on constate le plus haut degré de confiance dans les autorités.

Voyons comment fonctionne le processus de choix d'un site pour le stockage du combustible usé. Les industriels concernés ont formé une société commune, indépendante, SKB, la Compagnie suédoise de gestion des déchets nucléaires. La séparation des rôles est claire : les autorités politiques imposent les objectifs et les contraintes, les industriels proposent des solutions techniques et la responsabilité de la sûreté leur incombe. L'autorité de contrôle ne prescrit aucune solution, mais pose une exigence et vérifie a posteriori le respect du cahier des charges. Deux communes, Östhammar et Oskarshamn, étaient de longue date candidates pour l'installation du site de stockage géologique, avec l'accord de leur population. Il a fallu trente années d'efforts persévérants pour parvenir à un tel résultat.

Seules les collectivités locales volontaires ont été retenues : il était hors de question d'imposer une localisation par une décision venue d'en-haut. Chaque fois qu'un vote local s'est traduit par un veto, SKB s'est retirée. La compagnie a veillé à établir des relations de long terme avec les communes intéressées, ouvrant sur place un bureau tenu par du personnel recruté dans la région, chargé d'informer les habitants. Au lieu de procéder par grand-messes médiatiques, SKB a multiplié les réunions de proximité chez les gens, autour d'une tasse de café, autrement dit des réunions « Tupperware » ! Ce n'est pas une plaisanterie, cela s'est vraiment passé ainsi.

Toutes les études entreprises ont fait l'objet d'une publication très médiatisée. Le stockage géologique était la piste principale, mais l'étude de solutions alternatives, dépôt dans des forages profonds, séparation et transmutation, envoi dans l'espace intersidéral, a bénéficié d'un soutien financier. Ces recherches ont associé un grand nombre de scientifiques et universitaires, ce qui a certainement contribué à la réussite du processus de gestion des combustibles nucléaires usés.

La critique a pu disposer d'une tribune. Les organisations hostiles à l'énergie nucléaire ont reçu des aides financières de SKB pour financer des études indépendantes, dont SKB a publié les résultats dans ses rapports avec cet avertissement : « Les points de vue exprimés ici ne coïncident pas nécessairement avec ceux de SKB ».

La décision d'implantation a été prise essentiellement sur le critère de la qualité du socle rocheux, un critère considéré comme loyal, ce qui a joué un rôle important dans l'acceptation sociale du processus.

Vers 1990, l'enseignement universitaire des questions nucléaires était dans une situation alarmante, petit nombre d'étudiants, corps enseignant vieillissant... En 1992, tous les exploitants ont joint leurs forces avec ABB, Atom (aujourd'hui Westinghouse) et l'autorité de sûreté, ainsi que SKB, pour soutenir financièrement l'enseignement et la recherche dans les universités. Une collaboration unique au monde, et couronnée de succès ! Les jeunes universitaires ont investi et renouvelé la discipline.

La Suède a une superficie presque équivalente à celle de la France, pour une population inférieure à celle de Paris. Elle doit trouver d'autres solutions que celles mises en oeuvre dans les grands pays. Elle ne dispose pas d'un grand organisme de recherche comme le CEA. Les universités, les industriels et les autorités de contrôle sont obligés de coopérer étroitement, par exemple pour fournir le maximum d'information à la population. Fukushima n'a eu qu'une très faible incidence sur l'acceptation sociale du nucléaire et n'a guère relancé le débat politique.

J'en viens aux défis actuels. L'industrie nucléaire suédoise est très ouverte : en vingt ans, près de 10% de la population a ainsi visité une centrale nucléaire – et beaucoup plus parmi les écoliers, car les centrales nucléaires sont très prisées pour les visites de découverte. Les statistiques le montrent, la perception personnelle s'améliore considérablement après qu'on a vu de près l'intérieur des installations. Après le 11 septembre 2001, la sécurité a été sensiblement renforcée. Les formalités d'entrée ont pris un temps tel que l'on a fini par cantonner les visites du public derrière la grille de protection. Je crains que ce repli, aussi justifié soit-il du point de vue de la sécurité, ne soit nocif pour l'acceptation sociale de l'énergie nucléaire.

J'ai évoqué la corruption. Un système reposant sur une forte interaction entre autorités de contrôle, industriels et universités suppose qu'on élimine tout risque de corruption. Il doit y avoir au sein de l'autorité de contrôle une muraille de Chine entre la collaboration avec l'industrie et l'inspection des installations industrielles. La transparence est certainement la clef de voûte de 1'acceptation sociale, mais elle doit s'accompagner d'une organisation stricte des relations entre les acteurs du système.

La France ne doit pas copier la Suède, pas plus que la Suède ne doit copier la France. Nos cultures sont différentes, de même que nos atouts, nos potentialités, nos contraintes. Mais c'est un grand honneur pour moi d'avoir été consulté par des représentants de la Nation française, auxquels je tiens à dire mon très profond respect.

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