Monsieur le premier président de la Cour des comptes, soit par pessimisme soit par une lucidité inhérente au métier de comptable, je partage largement votre analyse. Même si la France a géré de manière remarquable la crise financière et économique, notamment en ce qui concerne les banques, sa première priorité est le rétablissement des comptes publics, qui connaissent un déficit structurel depuis plusieurs décennies.
Les derniers chiffres connus de l'exécution de 2010, favorables en apparence puisque le déficit réel est inférieur aux prévisions, révèlent une aggravation du déficit structurel de l'État – qui joue le rôle de chambre de compensation – de près de 5 milliards d'euros. Par rapport aux prévisions, on constate, outre une augmentation de 2,5 milliards des dépenses structurelles reconductibles, toujours pour la mission « Travail et emploi » et les dépenses de solidarité, un dérapage très préoccupant de 600 millions de la masse salariale. Globalement, cette somme a été financée par des économies conjoncturelles non reconductibles. Les intérêts de la dette se sont limités en 2010 à 40 milliards contre 42 milliards prévus, mais le principe selon lequel plus l'endettement augmente, moins il coûte en intérêts est-il durable ? Par ailleurs, les économies réalisées sur les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales ne se renouvelleront pas.
En ce qui concerne les recettes, on a sous-estimé en 2010, comme on le fait depuis des décennies, le coût des réformes fiscales et sociales, telles que l'allocation personnalisée d'autonomie. Celle de la taxe professionnelle l'a été de 1,2 à 1,5 milliard, à cause surtout de la décision du Conseil constitutionnel. Si l'on y ajoute la baisse de la TVA sur la restauration et la suppression d'une tranche supplémentaire de l'imposition forfaitaire annuelle, l'effet conjugué de l'augmentation des dépenses, qui s'établit entre 4 et 5 milliards, et des diminutions d'impôt dépasse de beaucoup la croissance spontanée de 10 milliards des recettes fiscales pour 2010. J'évalue donc l'aggravation du déficit structurel à 4 ou 5 milliards d'euros. La Cour des comptes partage-t-elle mon analyse ?
Notre dette publique, qui dépasse sensiblement 80 % du PIB, approchera avant deux ans le seuil critique de 90 %. Les études de Kenneth Rogoff et, plus largement, l'observation de 150 ans de crises financières montrent que, quand on franchit ce seuil, on entre dans une zone dangereuse, puisque les intérêts de la dette étouffent les marges de manoeuvre budgétaires, et que l'altération de la confiance fait structurellement baisser la croissance. Il faut donc être particulièrement attentif.
Ces dernières années, le fait que les intérêts n'aient pas accompagné l'évolution de l'endettement a masqué son importante progression. Leur montant, de presque 38 milliards d'euros en 2002 comme en 2009, s'établissait à 40 milliards en 2010. De quel ordre sera la rupture entre la prévision et l'exécution des intérêts de la dette qui interviendra cette année ? À mon sens, il est probable que la prévision de 44,5 milliards sera dépassée.
Puisque la France a géré de manière irréprochable la crise économique et financière, et que la croissance est repartie – ce qui, à l'exception de l'Allemagne, n'est pas vrai dans la plupart des pays européens –, nous devons tout faire pour ramener le déficit au-dessous de 5,7 % du PIB en 2011. À défaut, il sera encore plus difficile de passer en 2012 sous la barre de 4,6 %, ce qui exigera un effort inédit, certaines mesures liées au plan de relance s'effaçant mécaniquement dès cette année. Indépendamment de toute considération sur les critères de Maastricht, qui servent parfois de paravent ou d'alibi, notre niveau d'endettement, notre croissance moyenne et notre taux d'inflation sont tels que seul un déficit inférieur à 3 points de PIB, donc à 60 milliards d'euros, peut stabiliser le ratio dettePIB, critère essentiel pour garantir la crédibilité de la France et lui assurer le moyen de se financer. Sur l'ensemble des comptes, nos besoins s'établissent entre 200 et 250 milliards par an, soit 1 milliard par jour ouvrable. Seule une bonne notation, gage de confiance, permettra de trouver cette somme.
Sous réserve que l'ONDAM soit respecté, j'estime au minimum à 5 milliards d'euros l'effort supplémentaire que nous devrons dégager dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012. À défaut, nous n'atteindrions pas nos objectifs, malgré un bon taux de croissance. Celui-ci sera peut-être remis en cause par certains collègues, mais on doit saluer la prudence du Gouvernement en la matière. Elle est d'autant plus louable que cette prudence n'appartenait pas à la culture française.