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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l'ensemble du projet de loi. Mon collègue Marc Dolez a parfaitement exposé nos positions, en détaillant nos principales objections et inquiétudes relatives à ce texte.

Je concentrerai mes propos sur le dernier volet de ce projet de loi, consacré au jugement des mineurs, lequel est venu se glisser dans le projet sur les jurés populaires.

Une fois encore, votre réforme entend durcir la justice des mineurs en poursuivant l'entreprise de déconstruction de l'ordonnance de 1945, qui a fait déjà l'objet de trente-quatre modifications, dont douze ces deux dernières années

Avec les dispositions que vous proposez, vous rompez définitivement avec les principes fondamentaux posés par le Conseil constitutionnel et les textes internationaux. Vous optez pour l'alignement de la justice pénale des mineurs sur celle des majeurs. Ce faisant, vous niez tout simplement aux mineurs concernés leurs droits spécifiques, liés à leur statut d'enfant ou d'adolescent.

Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée des précédents. Comme le souligne la Défenseure des enfants, Dominique Versini, dans son ultime rapport annuel : « Depuis cinq ans, les reculs successifs de la justice des mineurs, notamment pour les adolescents, conduisent à une sévérité accrue alors que tant le Conseil constitutionnel que la Convention internationale des droits de l'enfant de l'ONU imposent que prime l'éducatif sur la réponse répressive. »

Mais dans un contexte de plus en plus sécuritaire, vous arguez des statistiques policières indiquant que le nombre de mineurs mis en cause par les forces de l'ordre ne cesse d'augmenter pour justifier votre volonté de sanctionner de la façon la plus précoce, la plus rapide et la plus sévère possible.

Or, cette affirmation d'une augmentation continue est à tout le moins « une vérité totalement tronquée », selon le sociologue Laurent Mucchielli, dont je vous cite la démonstration : « Primo, si le nombre de mineurs “mis en cause” par la police et la gendarmerie ne cesse effectivement d'augmenter – il a doublé entre 1990 et 2010 –, c'est également le cas des majeurs, et dans des proportions à peu près équivalentes. Ce n'est donc en rien une spécificité des mineurs.

« Secundo, personne ne semble remarquer le véritable cercle vicieux que traduisent ces statistiques. En effet, lorsque l'on élargit la définition de la délinquance et que l'on donne des consignes pour poursuivre toutes les infractions, même les plus bénignes, la conséquence fatale est une augmentation des procédures réalisées par les policiers et les gendarmes […] Or la statistique policière est précisément un comptage de ces procédures administratives, et non une sorte de sondage permanent sur l'état réel de la délinquance. Dès lors, plus l'on poursuit la délinquance des mineurs, plus elle augmente dans cette statistique, mais cela ne veut pas forcément dire qu'elle augmente dans la réalité.

« Tertio, cet argument pseudo-statistique parle d'un volume mais ne dit rien de la nature de cette fameuse délinquance des mineurs. À partir de chiffres, l'on peut fantasmer tout et n'importe quoi quant aux types d'actes délinquants réellement constatés chez les mineurs. Et de fait, l'évocation de ces chiffres, appuyés par quelques faits divers, suffit généralement pour embrayer sur des affirmations relatives à l'aggravation perpétuelle de cette délinquance, affirmations qui sont purement gratuites. »

Quel est donc le véritable sens, quelle est l'utilité de cette nouvelle réforme ? Pour notre part, nous en contestons à la fois l'opportunité et le contenu.

Sur l'opportunité d'une énième réforme de l'ordonnance de 1945, nous sommes dubitatifs. Alors qu'un code de la justice pénale des mineurs est, nous dit-on, quasiment achevé, il est incompréhensible d'opérer de nouvelles modifications partielles qui ne pourront que nuire à la cohérence et à la lisibilité de l'ordonnance. De plus, déclarer l'urgence pour l'adoption de ces modifications est absolument injustifiable.

Sur le fond, la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, l'instauration d'une procédure de jugement accélérée, le renforcement des mesures de sûreté et l'aggravation des peines apparaissent dès à présent comme des atteintes graves aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars 2011. C'est un constat partagé par l'ensemble des professionnels de la justice des enfants : l'UNICEF, l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, le Conseil national des barreaux, le Syndicat de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats, Défense des enfants internationale dénoncent tous ces dispositions régressives.

Or, si une modification du régime pénal applicable aux enfants s'avère nécessaire, elle ne peut être réalisée que dans le cadre global de l'enfance en concertation avec toutes les parties.

Pour parvenir à un traitement juste et efficace de la délinquance juvénile, la justice des mineurs doit pouvoir s'appuyer sur une prévention sociale et éducative forte, en aval et en amont de l'action judiciaire.

L'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a élaboré un projet de réforme du traitement judiciaire de l'enfance délinquante. Je regrette, monsieur le ministre, que vous ne vous en soyez pas inspiré.

Je vais vous en livrer ici le contenu, auquel je souscris pleinement.

Voici le préalable posé par l'association : « une réflexion globale sur le renforcement de la prévention est indissociable d'une réforme de la justice des mineurs. » Elle fait le constat que l'activité des juridictions pour mineurs, en particulier dans les ressorts très urbanisés, atteste d'un engorgement qui conduit à une gestion anarchique et à une perte de sens.

Aujourd'hui, le dogme de la tolérance zéro aboutit à un taux de poursuites contre les mineurs supérieur à celui atteint pour les majeurs – plus de 90 %. L'orientation donnée aux procédures se fait « en temps réel », sur la base d'un rapport policier téléphonique par extension du traitement de l'urgence à toutes les situations.

Dans ces conditions, la réponse judiciaire se fonde sur des critères systématiques, trop simples pour s'ajuster à la complexité de la compréhension des besoins des adolescents. Elle ne permet pas d'orienter vers d'autres instances – familiales, sociales, scolaires – les procédures de moindre gravité, qui viennent encombrer inutilement les tribunaux.

Face à un tel constat, l'AFMJF considère qu'il est nécessaire d'inscrire la réponse judiciaire dans une logique réfléchie, lisible et comprise par le mineur, sa famille et les professionnels.

Tout d'abord, par transposition de la règle applicable en matière de finances publiques, le nombre d'affaires traitées ne devra pas dépasser les moyens alloués à la justice.

Par ailleurs, le juge des enfants doit pouvoir maîtriser l'audiencement des affaires, pour veiller à une cohérence des réponses données et les adapter au mieux au parcours et à l'évolution du mineur.

Ainsi, le mineur faisant l'objet de poursuites sera convoqué par le juge des enfants avec sa famille et son avocat dans un délai raisonnable et contraint – deux mois au maximum – pour une audience au cours de laquelle seront examinés les éléments de fait et de personnalité ; elle permettra de déterminer l'orientation de la procédure. Le mineur sera donc rapidement confronté à son juge ; le parquet, avisé à chaque étape, exercera son rôle d'impulsion et de contrôle.

Ensuite, l'AFMJF appelle à une réponse judiciaire réellement éducative. Elle propose ainsi l'adoption d'une procédure qui puisse s'adapter à la fois à la majorité des mineurs qui occupe les juges des enfants et à la minorité de ceux en grande difficulté, qui les préoccupe. Elle oppose la recherche de la « progression » d'une personnalité en construction, à la prise en compte, à titre principal, de la « progressivité » des actes.

Elle propose de concilier une intervention judiciaire rapide tout en ménageant une phase d'investigation et un accompagnement éducatif dans le cadre d'une mise à l'épreuve d'une durée de six mois modulable. Durant cette période déterminée, l'ensemble des infractions – dans l'hypothèse d'une réitération – sera réunie dans une procédure unique. Les mesures d'investigation et d'éducation, ainsi que les mesures répressives s'il y a lieu, seront ordonnées et modifiables dans ce cadre, en fonction de l'évolution du mineur.

À l'issue d'un délai de six mois, renouvelable une fois, l'orientation de la procédure et le jugement du mineur s'appuieront sur l'évaluation d'un parcours. L'objectif sera donc de juger un cheminement, soutenu par un suivi éducatif, tout en réagissant aux événements qui peuvent le jalonner. Cette procédure sera appliquée par un juge des enfants qui doit être spécialisé, sa formation et sa sensibilisation aux enjeux de l'enfance en difficulté offrant la garantie d'un suivi attaché à la personne du mineur.

L'AFMJF entend également concilier une juste réparation des droits des victimes et le temps de l'évolution du mineur. Il faut à la fois concilier des rythmes et des attentes différents et veiller à ce que le mineur bénéficie d'une période suffisante pour évoluer et réparer, en s'appuyant sur un soutien éducatif soutenu dans un délai néanmoins contraint.

Dans ce sens, l'intervention du juge des enfants à l'égard de l'enfance en danger, dans le cadre de l'assistance éducative, complète naturellement sa compétence en matière pénale et constitue un des leviers essentiels dans le champ de la prévention.

Il s'agit d'un projet très intéressant que je ne vous ai exposé que très partiellement.

Ce projet, à l'opposé du vôtre, monsieur le ministre, tient compte des attentes sociales et des préoccupations dont l'actualité se fait l'écho, tout en tirant les conséquences des dysfonctionnements que les praticiens constatent quotidiennement dans la prise en charge des mineurs délinquants.

Il s'inscrit donc dans une tradition et cherche à remédier aux incohérences induites par une succession de réformes impulsives qui ont apporté des mauvaises réponses à un vrai questionnement.

Ces propositions opposent à la fuite en avant de lois de circonstances un projet souple, pragmatique, conforme aux valeurs d'une justice des mineurs humaniste, éducative et spécialisée.

Elles entendent concilier des intérêts régulièrement présentés comme contradictoires : l'intérêt du mineur, l'intérêt de la victime et l'intérêt de la société.

Au final, permettez-moi de vous renvoyer à la lecture attentive du projet de l'AFMJF. Vous vous reprochiez tout à l'heure à l'un de mes collègues, monsieur le ministre, de critiquer beaucoup et de proposer peu : voilà des propositions ; je vous invite à les examiner avec attention, car elles me paraissent dignes d'un grand intérêt.

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