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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

La misère des tribunaux, nous le savons, est intolérable. Le délabrement des locaux, la pénurie des moyens matériels les plus élémentaires n'ont cessé de s'aggraver.

Votre gouvernement se vante d'avoir augmenté les budgets. C'est vrai, mais ceux-ci sont allés essentiellement à l'administration pénitentiaire au détriment des services judiciaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

À ce manque de moyens qui affecte la qualité de la justice, s'ajoute le dénigrement permanent des professionnels du monde judiciaire par celui que la Constitution désigne pourtant comme le garant du respect de la justice. M. Sarkozy n'a en effet cessé depuis 2002, et, plus choquant encore, depuis 2007, d'exprimer sa défiance à l'égard du monde judiciaire dans son ensemble.

Alors que l'urgence serait de donner les moyens à l'ensemble des professionnels de justice pour que la justice soit rendue vite et bien et que ses décisions soient exécutées, vous ne trouvez rien de plus urgent que de proposer des jurés dans les tribunaux correctionnels et aussi – mais vous en parlez moins – de vous attaquer à l'un des piliers du consensus national depuis 1945 : la justice des mineurs.

De prime abord, l'introduction de jurés dits populaires paraît être une idée sympathique. On ne peut qu'être favorable à un rapprochement de la justice et des citoyens. Mais j'ai le regret de vous dire que votre projet a tout de la fausse bonne idée.

Tout d'abord, vos jurés populaires vont désorganiser les tribunaux et paralyser la justice, comme l'étude d'impact l'a montré. À la différence de la procédure en cour d'assises, la procédure en correctionnelle est essentiellement écrite et exige souvent une grande technicité. Juger est un métier. Il faudra donc mobiliser des professionnels, qui ne sont déjà pas assez nombreux, pour former ces jurés. Cela va gravement ralentir la procédure et provoquer un engorgement des tribunaux alors que les audiences sont déjà surchargées. Il va y avoir un effet de bouchon après la phase policière alors même, ne l'oublions pas, que la France fait régulièrement l'objet de condamnations pour absence de jugement dans un délai raisonnable.

Je crois donc que votre projet va détériorer les conditions de jugement au détriment des personnes jugées et des victimes.

Pour ce qui est des décisions d'aménagement des peines, nous savons qu'elles sont déjà le résultat d'un travail d'équipe et qu'elles doivent être l'aboutissement d'un long suivi du parcours des détenus dont les jurés ne pourront être les témoins. Votre réforme ne répond donc à aucun vrai besoin, non plus qu'à aucune demande, ni des victimes, ni d'ailleurs des citoyens eux-mêmes, dont je doute qu'ils soient enthousiastes à l'idée de devoir abandonner leurs activités huit jours ou plus pour siéger dans un tribunal.

Plus grave encore, cette réforme instaurera une justice correctionnelle à deux vitesses : des jurés populaires pour la délinquance quotidienne et une justice sophistiquée pour la délinquance en col blanc, les infractions économiques et financières qu'on estime trop compliquées pour le peuple, des prévenus à qui l'on offre de surcroît la commodité du « plaider coupable », c'est-à-dire d'un arrangement loin de toute publicité.

En vérité, votre projet de loi, monsieur le ministre, répond à une obsession présidentielle : stigmatiser l'action des magistrats en prétextant qu'ils seraient laxistes, ce qui est faux, et en jetant le soupçon sur l'ensemble de l'institution. Cette attitude est insupportable. La Constitution est bafouée. Le parquet est contrôlé tous les jours à travers les instructions, le morcellement des affaires et leur dépaysement mais aussi à travers le jeu des nominations partisanes, la marginalisation des magistrats du siège et la tentative, heureusement avortée sous la pression du scandale, de supprimer le juge d'instruction.

Votre projet ne fera que compliquer le fonctionnement de la justice. On se demande d'ailleurs si vous y croyez vous-même puisque vous avez décidé de l'expérimenter d'abord et dans deux cours d'appel seulement.

Soyez certain que nous ferons tout pour que cette malheureuse expérimentation soit sans lendemain et que de vraies mesures efficaces et économes en moyens soient prises pour améliorer le fonctionnement des tribunaux et rapprocher la justice des citoyens.

Puisque vous réclamez des propositions, en voici.

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