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Intervention de Marc Dolez

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

J'aborde maintenant le troisième et dernier volet du projet de loi relatif à la justice des mineurs, sur lequel mon collègue Michel Vaxès reviendra plus particulièrement dans son intervention. Je veux cependant, d'ores et déjà, faire part de notre opposition résolue aux dispositions proposées, qui conduisent à vider de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs. Comme le déplore l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille : « le projet de loi achève la déconstruction de l'ordonnance de 1945 et la consécration d'une justice des mineurs qui ne s'intéresse plus qu'aux actes commis par ces derniers et non plus à l'évolution durable d'une personnalité en construction ».

Nous ne comprenons pas la nécessité de procéder à une énième réforme ponctuelle de l'ordonnance de 1945, qui ne sera que la trente-cinquième, alors même que tout le monde s'accorde sur le fait que ces modifications nuisent à la lisibilité et à la cohérence de l'ordonnance et contribuent à un état d'insécurité juridique, tant pour les professionnels que pour les justiciables.

Nous ne comprenons pas non plus le caractère urgent d'une telle réforme, alors qu'un code de la justice pénale des mineurs est en préparation depuis 2008, et que vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, qu'il est « quasiment achevé ».

Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à être dubitatifs, puisque, comme nous, tous les professionnels s'interrogent sur les raisons pour lesquelles on modifie les textes applicables aux mineurs, en urgence, partiellement et sans lisibilité d'ensemble. Vous avez répondu, monsieur le garde des sceaux, devant la commission des lois. que « le terme très proche de la législature » ne permettait pas d'envisager dans l'immédiat la discussion du code de la justice pénale des mineurs. C'est donc bien le calendrier électoral qui justifie cette réforme partielle. C'est là aussi tout simplement inadmissible, tant sur la forme que sur le fond.

Votre réforme vise à supprimer un droit pénal spécifique pour les mineurs. Les dispositions du projet de loi tendent à nier aux mineurs délinquants leur statut d'enfant, d'enfant « particulièrement vulnérable » selon le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, et qui bénéficient, à ce titre, de droits spécifiques en justice : spécificité des juridictions et procédures, traitement éducatif adapté avant tout, détention comme mesure de dernier ressort.

En proposant de mettre en oeuvre une justice plus expéditive, axée sur la seule sanction pénale, le texte porte gravement atteinte à ces principes car, comme le souligne très justement la Défense des Enfants Internationale : « Ces jeunes ont besoin d'une prise en charge rapide et d'un accompagnement humain, pas d'une condamnation rapide et encore moins d'un enfermement plus fréquent. »

C'est ainsi que la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, conçu pour les mineurs récidivistes de plus de seize ans, porte atteinte au principe fondamental d'une juridiction spécialisée pour les enfants et devient de fait une juridiction d'exception pour les adolescents de seize à dix-huit ans.

De plus, la composition de cette juridiction ne garantit en rien la spécialisation de la justice des mineurs puisqu'un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats non spécialisés. Plus inquiétant encore, deux jurés citoyens pourront, dans le cadre des infractions visées à l'article 2 du projet de loi, composer cette juridiction, à l'instar du tribunal correctionnel pour majeurs.

De ce fait, alors que la spécialisation de la juridiction des mineurs est assurée au tribunal pour enfants par la présence de deux assesseurs choisis pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences, cette garantie disparaît purement et simplement : les assesseurs sont remplacés par des citoyens, dont il n'est absolument pas exigé un quelconque intérêt pour les problématiques spécifiques des mineurs.

En réalité, la création du tribunal correctionnel est une nouvelle tentative d'aligner le traitement des mineurs sur celui des majeurs et de parvenir à un abaissement déguisé de la majorité pénale.

Le projet prévoit également la convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants et permet ainsi la saisine directe de cette juridiction, alors même que le Conseil constitutionnel a censuré, le 10 mars dernier, une disposition analogue de la LOPPSI 2, qui prévoyait que le Procureur de la République pouvait faire convoquer directement un mineur par un OPJ devant le tribunal pour enfants, sans saisine préalable du juge des enfants. Il s'agit là encore d'une disposition qui porte atteinte au principe fondamental de spécificité de la justice pénale des mineurs, reconnu par les lois de la République et par les engagements internationaux ratifiés par la France. Le recours accru au placement en centre éducatif fermé des délinquants de moins de seize ans, l'assignation à résidence sous surveillance électronique mobile des mineurs de treize ans, la stigmatisation des parents de mineurs délinquants, l'instauration d'un dossier unique de personnalité sous le contrôle du Parquet sont autant de mesures que nous refusons.

L'idéologie sécuritaire nous enferme dans un cercle vicieux de répression, alors que les professionnels ne manquent pas d'outils juridiques répressifs, mais plutôt de moyens pour faire correctement leur métier et mettre à exécution les décisions qu'ils croient bonnes.

Ce n'est pas d'une nouvelle réforme que ces professionnels ont besoin, mais de moyens en personnels, en temps, en places disponibles dans des structures, en possibilités d'insertion professionnelle. Là est la véritable urgence, et ce texte n'y répond pas. C'est pourquoi nous le combattons. C'est aussi pourquoi, dans la discussion des articles, nous défendrons des amendements de suppression et des amendements destinés à combattre les régressions introduites depuis dix ans dans la justice des mineurs.

Vous l'aurez compris, monsieur le garde des sceaux : les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche sont farouchement opposés à ce projet qu'ils jugent inutile et inquiétant ; un projet qui, pour reprendre, monsieur le garde des sceaux, l'expression de l'un de vos illustres prédécesseurs, « relève du populisme judiciaire ».

Notre assemblée s'honorerait à le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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